L'ambassadeur, qui reconnaît la souffrance des Algériens pendant la colonisation et leurs sacrifices pendant les deux guerres mondiales, estime qu'il s'agit aujourd'hui d'aller plus loin en participant à la formation des cadres de l'Algérie de demain. Les relations algéro-françaises se sont invitées à la cérémonie traditionnelle du 14 Juillet organisée par l'ambassade de France à Alger. Son Excellence l'ambassadeur, Bernard Bajolet, qui doit incessamment quitter l'Algérie pour un poste éminemment important à l'Elysée, n'a pas manqué l'occasion de lundi soir pour aborder l'évolution des relations qu'il considère fondées “pour le meilleur et pour le pire” entre les deux pays. Dans son discours d'adieu dans lequel il qualifie sa mission en Algérie “d'inachevée, même si c'est pour une autre mission de responsabilité que le président Sarkozy me fait l'honneur de me confier”, Bernard Bajolet affirme sa conviction que les choses ne peuvent aller désormais que dans le sens de l'intérêt des deux nations. Il n'a pas manqué de revenir sur le Sommet fondateur de l'Union pour la Méditerranée (UPM) qui vient d'avoir lieu à Paris. “Le sommet nous a confortés dans notre conviction que l'avenir de l'Europe se trouve bien au sud de la Méditerranée. L'Algérie, à la jonction de la Méditerranée et de l'Afrique, est un partenaire-clé, et c'est pourquoi sa participation était et reste si précieuse à nos yeux”, a-t-il affirmé. Après que l'hymne national algérien eut été une nouvelle fois chanté au sein de la résidence de France à Alger, l'ambassadeur a déclaré : “Nous devons poursuivre nos efforts avec ténacité, sans nous laisser impressionner par la surenchère de ceux qui, de part et d'autre de la Méditerranée, ne souhaitent en réalité pas les voir aboutir, de crainte que ne disparaisse un fonds de commerce si aisé à exploiter.” Ainsi, après la “tragédie inexcusable” de Colin de la Verdière à propos des massacres du 8 Mai 1945, le discours du président Sarkozy à Constantine le 5 décembre dernier, Bernard Bajolet va plus loin : “La voie a été tracée au plus haut niveau depuis l'élection du président Sarkozy dont l'un des premiers gestes a été d'appeler son homologue algérien, puis de lui rendre visite. Sous l'impulsion des deux chefs d'Etat, le sillon a été creusé et semé. Il faut maintenant irriguer, puis récolter, tout en faisant attention aux mauvaises herbes.” Pour l'ambassadeur, les “mauvaises herbes”, c'est apurer le passé. Condition sine qua non “pour bâtir des relations solides au profit des nouvelles générations”. Comment ? Bernard Bajolet qui reconnaît cependant le caractère tardif des mesures décidées par la France estime que “des gestes audacieux ont été faits dans ce sens du côté français, entre autres la remise des plans de pose des mines, intervenue bien tardivement il est vrai, mais accompagnée d'autres engagements dans ce domaine des propositions de coopération en matière d'archives, la remise des archives audiovisuelles de l'INA, qui sera suivie de celle des archives audiovisuelles de l'armée françaises”. Le prochain ambassadeur prendra ses fonctions à la mi-septembre Tout en annonçant la prise de fonction à la mi-septembre de son successeur à Alger, Bernard Bajolet annonce également que “d'autres avancées dans ces domaines sensibles font actuellement l'objet de discussions”. Et de reconnaître que la France “a perdu beaucoup de temps, trop de temps qu'il faut rattraper” en Algérie, l'ambassadeur a saisi ainsi l'opportunité du 14 Juillet pour remettre en cause toute la politique de colonisation de la France dans ce pays. “Comment la République a-t-elle pu perdre de vue pendant les 132 ans de sa présence en Algérie, les valeurs fondatrices de liberté, d'égalité et de fraternité qu'elle a fait rayonner ailleurs dans le monde depuis plus de deux siècles ? En se posant cette question, il ne s'agit pas de verser dans la repentance ni l'autoflagellation, mais de faire preuve d'honnêteté pour le passé, de lucidité pour le présent et de vigilance pour l'avenir”, a déclaré l'ambassadeur qui considère que “la relation franco-algérienne n'est pas banale”. Et d'ajouter : “Il faut certes, je le disais, assainir cette relation notamment en ôtant les épines du passé. Mais la normaliser non, je ne le crois pas.” Pas de devoir de mémoire, mais une repentance qui ne dit pas son nom Revenant sur l'histoire sans évoquer le “devoir de mémoire”, rejeté par les Algériens qui demandent ni plus ni moins une reconnaissance des tragédies commises pendant la colonisation, Bernard Bajolet poursuit : “Cette relation est faite de passion, de sentiments parfois mêlés mais jamais d'indifférence. Elle a été soudée par le sang et les larmes, le sang que des milliers d'Algériens ont versé pour notre liberté pendent les deux guerres mondiales, le sang de l'injustice versé par tant d'Algériens pendant la période coloniale, puis celui de la dignité qu'il leur a fallu reconquérir mais aussi le sang de soldats français versé pour une cause qui n'était pas la leur, les larmes des milliers de pieds-noirs arrachés à leur terre qui les avait vu naître, qu'ils aimaient et qu'ils avaient travaillée avec tant d'ardeur. De ce passé douloureux et dramatique, faisons une force positive pour l'avenir, un gage de fraternité et d'amitié retrouvée.” Et d'aller plus loin : “La relation algéro-française, ce sont aussi les 6 millions de français d'origine algérienne ou descendants de Français d'Algérie qui ont un lien avec ce pays et les dizaines de milliers de binationaux au regard du droit français qui vivent en Algérie. Les uns et les autres constituent pour les deux pays une formidable richesse, un atout incomparable.” Sur le plan de la coopération bilatérale, l'ambassadeur est revenu sur les accords conclus entre les deux pays et a affirmé qu'“il faut maintenant aller plus loin en participant massivement à la formation des cadres de l'Algérie de demain et à la création de nouveaux pôles d'excellence franco-algériens comme l'Ecole supérieure de technologie et, je l'espère, l'université algéro-française en encourageant les investissements français en Algérie”. Séjour des Français en Algérie, Bajolet appelle à la réciprocité Sur un autre registre, en l'occurrence les conditions de séjour et de circulation l'ambassadeur, qui reconnaît la sensibilité de ce dossier des deux côtés de la Méditerranée, considère que “la France y travaillera dans un esprit à la fois d'ouverture et de réciprocité”. Ainsi, ajoute Bernard Bajolet, le maintien du principe d'un régime dérogatoire pour les Algériens séjournant en France, justifie l'élaboration d'un régime dérogatoire pour les Français qui viennent travailler en Algérie. De même, conclut l'ambassadeur, que “l'octroi par nos consulats de visas de circulation qui représentent désormais le tiers du total, appelle des mesures dans le même sens du côté algérien”. Salim Tamani