Hassi-Dellâa est le nom d'une vieille commune située à 130 km au sud-est du chef-lieu de la wilaya de Laghouat, frontière naturelle séparant cette wilaya de celle de Djelfa. Hissée au rang de commune suite au découpage administratif de 1984, elle dépend de la daïra de Hassi-R'mel, zone industrielle située à 120 km au sud de Laghouat. Pour se rendre dans cette commune où vivent quelque 15 000 âmes, il faut emprunter la RN1 menant vers le grand Sud serpentant à travers plusieurs bourgades, collines et des étendues de terres jaunes, arides et rocheuses, entrecoupées de lits d'oueds clairsemés mais secs en cette période de canicule. Une centaine de kilomètres de trajet au rythme du ronflement de la voiture est parcourue de Laghouat et nous quittons la RN1 pour bifurquer à gauche et amorcer “la descente… aux enfers”. Accompagné d'un autostoppeur de la région, nous avons parcouru péniblement ce tronçon de 37 km pour rejoindre Hassi-Dellâa. La route est goudronnée mais totalement cabossée et parsemée de nids-de-poule, de crevasses et de larges fissures tracées dans le bitume, probablement, par le ruissellement des eaux pluviales. Sous un soleil de plomb, le chef-lieu de commune apparaît de loin, telle une contrée du Far West ou un village ayant survécu à une catastrophe naturelle ! Pour se faire une idée sur la région, nous engageons durant le trajet la conversation avec le chauffeur du taxi clandestin : “Wach, ça va à Hassi-Dellaâ ?” La tête enveloppée dans un long turban, celui-ci ne tarde pas à répliquer car il n'en fallait pas plus pour provoquer sa colère : “Ouach men sava yarhem baabak, le citoyen se meurt chaque jour davantage à cause de la hogra et la misère. Je suis natif d'ici, Allah yestar quant à l'issue de ce qui se passe.” En arrivant, la vue du paysage, attristant, en disait long sur les souffrances que pouvaient endurer les citoyens de cette commune. Des maisons construites avec les moyens du bord (argile, pierre, terre glaise et parpaing) occupent un immense terrain rocailleux. Il existe des maisons récemment construites mais au détriment des normes architecturale ou urbanistique. La chaleur écrasante et les rues désertes donnent l'impression d'être dans une époque du moyen-âge. Aux environs de 14h, seules les administrations publiques sont ouvertes à un public ayant déjà déserté les rues, pour fuir la canicule. Un candidat malheureux aux élections municipales de l'année passée nous accueillera avec l'hospitalité coutumière de la région. Dans une modeste demeure, où nous attendaient eau et café, une réunion est improvisée. Avec une extrême sagesse et une certaine sérénité, il nous fait part des difficultés quotidiennes des citoyens, des maux qui rongent la région : “Je passe mon temps à calmer les esprits. Mais jusqu'à quand ?” Dans la région de Laghouat comme dans toutes les régions du sud du pays, le mercure a atteint son pic cette première semaine de juillet. À la faveur du relief, les habitants Hassi-Dellâa rencontrent d'énormes difficultés pour faire leurs courses quotidiennes au-delà de 10h du matin. Les commerçants sont contraints de baisser rideau à partir de 11h. Les citoyens attendent le coucher du soleil et l'adoucissement du climat pour sortir. Ceux qui ne disposent pas de système de climatisation (la plupart) se contentent de dormir à la belle étoile, nous dit-t-on. À dire que la commune de Hassi-Dellâa est une commune comme les autres, ses citoyens ne tarderont pas à relever la nuance, arguant par le défaut d'infrastructures socioculturelles et d'un environnement vital, nécessaires à leur épanouissement. Outre les quelques citoyens qui travaillent dans les sociétés pétroliers implantées à Hassi-R'mel, Hassi-Dellaâ est comme la majorité des régions du Sud, par une jeunesse à la recherche en vain, d'un gagne-pain. Le chômage bat son plein, nous dit-t-on. Une bonne partie de cette catégorie de la population est dans le besoin urgent d'être délivrée de cette précarité qui semble s'éterniser. Elle est fragilisée par le désespoir de sentir déjà son avenir derrière elle. Comme le riche patrimoine de poissons existant en Méditerranée et très mal exploité, il s'agit d'une jeunesse qui risque de mourir de vieillesse. Le ras-le-bol, la haine de soi et l'absence de soutien et de prise en charge par les pouvoirs publics, conjugués au désert culturel criant, sont des facteurs exogènes et endogènes menant droit à la manifestation de comportements collectifs pouvant atteindre l'ampleur de graves incidents. Ne dit-on pas que “l'oisiveté est mère de tous les vices” ? Ces gens-là saisissent la moindre occasion pour vous raconter ce mal de soi qui les guette en s'accrochant à l'espoir d'un relogement dans des programmes qui tardent à venir. Concernant ce registre, nous n'avons presque pas cru nos oreilles quand on nous a indiqué : “En dépit de la démographie galopante, la commune n'a bénéficié que de 69 logements depuis l'indépendance à ce jour.” Environs 400 familles se plaignent du non-achèvement du projet de raccordement au réseau domestique de gaz de ville. Un projet qui devait toucher l'ensemble des foyers de cette commune déjà très enclavée. Pour quelques-unes d'entres elles, il ne reste qu'à installer les compteurs à proximité de leurs demeures. Une deuxième catégorie de foyers, celle-ci n'est pas du tout raccordée, tandis que pour d'autres, se sont les difficultés pratiques rencontrées à l'intérieur du tissu urbain qui est à l'origine du non-raccordement au réseau domestique. Pourtant la commune de Hassi-Dellâa dépend de la daïra de Hassi-R'mel, une localité qui abrite le plus vaste gisement de gaz naturel. À la veille de chaque échéance électorale, les politiques ne cessent de miroiter le bonheur aux citoyens. La liste des promesses électorales s'allonge jusqu'au jour du scrutin pour retourner à la case départ. Accompagnés par H. M., nous commençons notre visite à travers les dédales des ruelles étroites et totalement délabrées sous les yeux intéressés d'une meute d'enfants en bas âge. Les habitants rencontrés se précipitent à nous faire part du calvaire de la rareté de l'eau potable à longueur de l'année. La commune ne pose que de 4 puits d'une capacité de 12 litres/seconde. Leur gestion, toutes charges comprises, coûte à la commune la bagatelle de pas moins de 20 millions de centimes par mois, nous dit-t-on. De quoi aménager quelques écoles en équipements nécessaires. La commune compte un château d'eau d'une capacité de 500 m3 , en exploitation. Le paradoxe est qu'un deuxième château d'eau réalisé depuis 2007 n'est pas encore mis en service. Avec le sourire plaisantant, un homme d'un certain âge nous a révélé que “nos politiques attendent, comme à l'accoutumée, la veille des élections pour son inauguration”. Cinq forages de 800 m chacun ont été vainement réalisés par la commune et l'Agence nationale des ressources hydriques. Un état de fait vécu comme une malédiction par les citoyens. Ces derniers sont parfois tentés de quitter leur commune vers des contrées plus clémentes. La couverture de la commune de Hassi-Dellâa, en matière d'infrastructures sanitaires, est loin d'être satisfaisante. En effet, la polyclinique ne compte qu'un médecin généraliste pour 15 000 habitants, aidé par un personnel paramédical dépassé par le plan de charges. Cette infrastructure souffre de sous-équipement et d'absence de laboratoire d'analyses médicales. Des citoyens nous ont confirmé que bon nombre d'accouchements se déroulent à la traditionnelle. “El qabla'' traditionnelle remplace la sage-femme. En l'absence d'une permanence nocturne, les malades nécessitants une prise en charge urgente se voit orientés vers le centre de santé du chef-lieu de la daïra de Hassi-R'mel distant d'environs 40 km au sud de Hassi-Dellâa, ou bien parcourir une distance de 130 km vers l'hôpital Ahmida Benadjila du chef-lieu de la wilaya de Laghouat. BOUHAMAM AREZKI