L'Algérie a subi hier le plus meurtrier des attentats à l'explosif qu'elle a connus durant la quinzaine d'années de terrorisme, si l'on excepte l'attentat du boulevard Amirouche à Alger en janvier 1993. En d'autres termes, hormis les massacres collectifs du GIA du “takfir”, l'attentat des Issers est le plus meurtrier depuis plus de treize ans. Bien sûr, le pouvoir ne verra aucun lien entre la relance de l'action terroriste et la politique qui a permis au terrorisme de se redonner les moyens techniques et financiers, et de renforcer ses effectifs, et à sa tutelle islamiste de se refaire une santé politique. Pourtant, la relation de cause à effet est éclatante d'évidence : en privilégiant la démarche d'arrangement à la logique d'autodéfense, l'Etat a substitué une atmosphère de permissivité à un élan de résistance. Le terrorisme islamiste, on le voit, ne s'est pas fait prier pour exploiter l'évolution politique et psychologique réalisée en sa faveur. Dans la société, il bénéficie du recul de l'Etat qui a fait que la vigilance intégriste violente tient lieu de campagne d'ordre public. À la veille du carnage des Issers, alors que se succédaient à un rythme de campagne de guerre les attaques qui ont fait des victimes parmi les soldats de l'ANP, les agents de la Sûreté nationale et les éléments de la Gendarmerie nationale, nous eûmes à apprécier un débat “civilisé” entre l'ancien chef du GIA et l'ancien ministre de la Défense nationale (dans l'ordre d'intervention). À l'origine de la polémique, une scène surréaliste qui se passe, il y a quelques mois à peine, dans un décor inattendu, le carré officiel du plus grand cimetière du pays : un chef terroriste définitivement absous de tous ses crimes par loi référendaire et un général qui faisait partie de la direction de l'Etat se parlent sur la tombe fraîche d'un général de son vivant responsable du contre-espionnage. Le terroriste immunisé et dédommagé, d'un analphabétisme tout aussi notoire que ses talents criminogènes, se déniche, il y a quelques jours, des supports parmi la presse pour y répandre ses “révélations” et “sa pensée”. Le général Nezzar répond, à son tour, en apportant des précisions anecdotiques sur l'objet de leurs échanges dont la futilité n'a d'égale que la gravité politique du fait que de tels tête-à-tête soient possibles. Une controverse assumée sur la question de qui de l'“émir” ou du général doit pardonner est l'expression d'un renoncement défaitiste de la république devant l'agression arrogante de l'entreprise terroriste. Le président de la République a admis récemment l'échec de sa politique économique sur le simple fait qu'elle a permis l'évasion légale de quelques milliards de trop. La perte, devenue quotidienne, de dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants, ne mérite-t-elle pas qu'on s'arrête un moment sur une démarche politico-sécuritaire qui, sous prétexte de calmer l'ardeur terroriste, ne fait que saigner toujours plus le pays ? Depuis le pic du milieu des années 1990, l'activité terroriste n'aura jamais été aussi entreprenante que ces deux dernières années, comme dans une espèce de renouveau cyclique. En refusant d'assumer une guerre jusqu'à sa conclusion, l'Algérie s'est probablement condamnée à la refaire. Ou à la perdre. M. H. [email protected]