La vieille ville de Sidi-Daoud n'existe plus. Le séisme de mercredi dernier est venu à bout de cette localité, où seules quelques demeures sont restées debout, tout en gardant de sérieuses séquelles. Partout, des amas de gravats qui ont emprisonné les occupants. Tout a été soufflé en quelques instants. Désertée par les survivants, elle ressemble à une ville fantôme où l'on sent encore les âmes de ceux qui ont été retirés sans vie. 82 habitants, dont l'un a eu la chance d'être retiré en vie, ont péri sous les décombres de leurs maisons, nous ont signalé nos guides. Selon leurs propos, les deux derniers décès (deux enfants) ont été enregistrés hier matin à l'hôpital de Tizi-Ouzou. Le vent qui soufflait hier a accentué cette impression que nous avions d'évoluer en plein décor de film d'horreur. A mesure que nous avancions sur les débris de béton qui jonchent le sol, nous découvrions l'ampleur des dégâts. Rien ne subsiste. Les quelques villas encore debout ont un étage enfoui sous terre. Un poteau électrique barre presque le chemin. Dans sa chute, il s'est adossé à une habitation. Des câbles électriques pendent lamentablement. Le spectacle est horrifiant, apocalyptique. Devant chaque amas, nos guides nous signalent des morts. Ici, un vieil homme, là un enfant, là encore une adolescente qui révisait ses cours en prévision des examens du baccalauréat. Des traces de sang sont visibles sur le parpaing qu'elle a reçu sur la tête. Devant ce qui était le bureau de poste de la ville, on nous a appris que le receveur, un de ses fils et son petit-fils sont décédés. Non loin de là, des gendarmes, dont le siège a été réduit à une montagne de gravats, semblaient constater les dégâts. Ils étaient encore sous le choc, après la mort de 3 des leurs. 5 corps y ont été retirés, ceux des trois gendarmes et de deux enfants (leurs familles y logeaient). Les habitants que nous avons trouvés dans une aire qui devait accueillir un marché n'ont pas manqué de fustiger les autorités qu'ils ont affirmé ne pas avoir vues depuis le sinistre, comme ils ont déploré le fait que “l'attention se focalise sur Boumerdès et Réghaïa alors que nous sommes les plus touchés”. Ils en voulaient pour preuve que “Sidi-Daoud est sinistrée à 100 %”, comme ils l'ont relevé. Nos interlocuteurs ont souligné l'aide de l'ANP qui a mis à leur disposition des tentes et qui leur distribue des vivres dont le dépôt, surveillé par des éléments de l'armée, est mitoyen. Ils ont également relevé la solidarité des citoyens qui viennent de partout, notamment de la wilaya de Tizi-Ouzou, nous ont-ils dit. Ceux dont les habitations ne se sont pas écroulées refusent de s'éloigner des lieux du sinistre, craignant des actes de vol. “Nous voulons rester ici pour surveiller nos biens, nous demandons des tentes”, ont-ils indiqué. Un peu plus bas, la cité des 48-Logements a subi le même sort. On dénombre ici 45 morts. Dans la mosquée complètement fissurée, des vivres y sont entreposés. Des hommes en qamis s'affairaient à organiser la distribution, palliant ainsi l'absence de l'Etat. Nous avons quitté Sidi-Daoud, abandonnée à un sort qui semble laisser indifférentes les autorités. A Bordj-Menaïel, toujours la colère A Bordj-Menaïel, sur les traces de notre collègue, les sinistrés de la cité des 50-Logements APC-CNEP étaient hier encore à l'abandon. “L'Etat est absent”, nous a-t-on dit là encore. “Rien n'a changé depuis le passage du journaliste de votre quotidien”. Ici, une colère sourde gronde. Les autorités locales n'ont pas jugé utile de se rendre sur les lieux. Ni le wali, ni le chef de daïra, ni le P/APC. “Ils sont partis avec Zerhouni à Baltimore”, ironisait, non sans amertume, un sinistré. Rien n'est venu atténuer le malheur de ces familles qui se retrouvent dans la rue “sans aide ni soutien moral”. Là aussi, on dénonce le fait que seul Boumerdès a droit de cité. “C'est Bordj-Menaïel qui a été plus affectée, avec 500 morts”, ont-ils tenu à indiquer. Réagissant à l'information donnée par le quotidien El-Khabar affirmant que Zerhouni a été chassé par les sinistrés, tous ceux que nous avons rencontrés dans cette commune ont justifié leur geste par “le mépris” du ministre de l'Intérieur. “Lorsque nous l'avons abordé, il nous a demandé de ne pas lui parler, arguant qu'il était débordé. Pourquoi est-il venu alors ?” ont-ils interrogé. La télévision a eu droit à sa part de reproches pour son absence. Les sinistrés ont également dénoncé le fait que les vivres ne parviennent pas jusqu'à eux et qu'ils sont détournés en cours de route au profit de familles non nécessiteuses, des propos confirmés par un habitant de la cité des 250- Logements venu rejoindre le groupe. “C'est vrai, j'en bénéficie moi-même alors que j'occupe toujours mon appartement”. Nos interlocuteurs ont souligné que seuls les particuliers, de Tizi-Ouzou et d'Alger surtout, leur viennent en aide. “Où est passée l'aide humanitaire internationale ?” ont-ils interrogé. Faute de tentes, les familles s'abritent sous des couvertures et des draps. L'absence de sanitaires et d'éclairage a été relevée. “Arrachez un câble, je vous brancherai aujourd'hui de chez moi”, leur a suggéré le même habitant. Beaucoup de colère non contenue et des reproches à l'endroit des autorités devant tant d'incurie. Nous les avons relevés aussi bien ici qu'à la cité des 250-Logements dont 3 bâtiments se sont effondrés sur leurs occupants. Cinq autres, bien que restés debout, sont inhabitables, les piliers — de 20 centimètres, nous a-t-on signalé — étant cisaillés. Le président de l'APC, qui n'est venu que pour prendre les tentes octroyées par l'ANP, a demandé aux sinistrés de rentrer chez eux. Nous prenant à témoin, les habitants dont un technicien en bâtiment ont crié leur colère. “Constatez par vous-mêmes, regardez ces piliers, pensez-vous que ces immeubles soient encore habitables ?” R. M.