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Des familles encore au milieu des décombres
LES MAISONS INDIVIDUELLES ET LES HAOUCH ENDOMMAGES
Publié dans Liberté le 14 - 06 - 2003

Dans le beau dispositif de réhabilitation de la ville de Aïn Témouchent, il est un vrai casse-tête : les maisons des particuliers. Il faut savoir que si aucune famille n'est sous la tente, en revanche, des dizaines d'entre elles sont terrées dans des demeures qui n'offrent aucune sécurité, et qui attendent désespérément un geste fort de l'Etat.
86, rue Maghni-Sandid-Fatna. Dans cette bâtisse, onze familles partageaient un haouch, une maison collective façon dar sbitar. Trois sont restées, bien que le CTC eût été classé bâtisse orange 3. Les escaliers se sont effondrés, et les colocataires se sont cotisés pour élever un escalier métallique très abrupte et particulièrement dangereux pour les enfants. Les femmes étaient en train d'asperger la cour à grande eau quand nous avons fait irruption. Partout où l'on passe, ces braves mères de famille nous expriment chaleureusement leur solidarité. “Fatat âlina (nous avons vécu ça)”, lance une femme d'un certain âge. Une vieille de 62 ans est souffrante. Sa maison est lézardée. Le plancher vacille. Les infiltrations des eaux de pluie suintent à travers les murs. La bonne dame et son mari étaient tombés du premier étage. Le mari, un vieux sans emploi ni pension de retraite se souvient : “La rampe avait cédé. L'escalier s'est effondré et je me suis retrouvé en bas.”
Le vieux restera onze jours à l'hôpital. Le vieux couple passera quelques mois chez leur belle-fille avant de se résigner à réintégrer la maison. “Regardez. C'est fissuré partout, partout, partout. À ce jour, nous n'avons rien reçu. Elli ândah ârf âtaoulou, ou loukhrine enssaouhoum (Ceux qui sont épaulés, on s'est bien occupé d'eux, les autres, on les a jetés à l'oubli)”, se plaint la vieille. Elle et son vieux mari attendent toujours de voir la lumière. “Nous voulons un logement décent. Nous ne pouvons plus moisir ici”, exige-t-elle. Les locataires du 86, rue Maghni estiment que c'est à l'Etat qu'il incombe de prendre en charge la réhabilitation de leur bâtisse. “Il y en a qui ont touché 50 millions. Nous, ils nous ont promis des sommes dérisoires variant entre 2, 5 et 10 millions.” Ils affirment n'avoir pas touché cet argent. “On fait dossier sur dossier et on attend”, soupire une ménagère. Une autre a perdu son mari dans le séisme. Elle-même a le pied enflé, séquelle du drame. “Même l'escalier que vous voyez là, c'est nous qui l'avons installé à nos frais. Nous nous sommes cotisés, chacun 2 500 DA. Mais nos enfants sont en danger. Nos conditions de vie sont précaires. Ceux qui ont des appuis ont le logement et les approvisionnements. Nous, idjib rabbi ! Le Président est venu mais on n'a pas voulu lui montrer notre cas”, affirment-elles. Direction : rue Abid Djelloul. Les Témouchentois l'appellent “Faubourg”. C'est dans ce quartier qu'il a été enregistré le plus de morts. Ce qui est impressionnant, c'est que les séquelles du séisme sont encore visibles. Le visiteur ne manquera pas de voir des tonnes de gravats bondir aux yeux, donnant la nette impression que le séisme vient de frapper il y a seulement quelques jours. Ainsi, au 21, rue Abid Djelloul, on tombe sur trois familles qui ont choisi de rester dans leurs biens, au milieu d'un décor apocalyptique, avec un monticule de décombres. C'est le cas de Azzouz Okacha. Lui, il a choisi de reconstruire sa maison sur les décombres de l'ancienne. Celle-ci avait été classée rouge et fut démolie. La commission d'évaluation des dégâts lui a attribué 25 millions de centimes d'aide. “Moi, je suis né ici, j'ai grandi ici, alors il n'était pas question pour moi de sortir d'ici”, dit Azzouz. Avec de la volonté et du bricolage, il a pu quand même reconstituer le rez-de-chaussée. Petit à petit, il va refaire le premier étage. “Est-ce que vous avez consulté un ingénieur pour vous aider à construire parasismique ?” risquons-nous. Question idiote, bien sûr. Pour notre homme, c'est du charabia tout ça. “J'ai construit comme on a toujours construit, avec nos propres moyens et notre propre savoir-faire”, assène-t-il, sûr de lui. Comme tous les sinistrés qui habitaient dans des maisons ruinées par le séisme, Azzouz réclame une aide conséquente. Pourtant, dans l'esprit des pouvoirs publics, il ne s'agit pas de “rembourser” les dommages subis mais simplement d'aider les propriétaires à conforter leurs maisons. “Qu'est-ce que je vais faire avec 25 millions ? C'est à peine si j'ai pu élever les piliers et les dalles. Pour le reste, j'ai dû me débrouiller tout seul”, lâche-t-il d'une voix coléreuse. “Encore que nous avons peiné avant de toucher cet argent. Ils nous ont payés par tranches, au compte-gouttes. La première tranche était fixée à 60 000 DA. J'ai dû attendre une année entière avant de toucher cette somme dérisoire. Les gens de l'administration sont des sangsues. Ils pratiquent le terrorisme administratif”, peste Azzouz. Il affirme que son voisin a refusé l'aide de l'Etat. “Il a une boulangerie toute massacrée, ils lui ont donné 9 millions. C'est scandaleux !” tempête-t-il.
Dans le même quartier, on nous disait d'aller voir des gens qui étaient encore sous la tente. Il n'en était rien. En fait, il s'agit de quatre familles occupant un site rasé, et végétant sous des bicoques érigées avec des matériaux de fortune et recouvertes de sacs noirs en plastique. Tabboul Abdelkader, 54 ans, vit ici depuis deux ans avec ses enfants. Renseignement pris, il semblerait que ces familles soient des cas sociaux selon le maire, M. Boussif Touil, qui nous dira : “Nous avons fait notre enquête et nous savons que ces familles ne sont pas de Témouchent. Ce sont de faux sinistrés. Il y a des gens qui sont venus squatter des bâtisses classées rouge pour ensuite se faire passer pour des sinistrés. Mais, à titre humanitaire, nous allons étudier leur cas.”
67, boulevard Chouiraf-Salah. Nous sommes chez Abdelhafid Mohamed. Si Abdelhafid est un gendarme à la retraite depuis 1985, année où il était devenu hémiplégique. Si Abdelhafid a un passé des plus enviables. Sur une photo d'époque, il pose entre Ben Bella, Boumediène et… Bouteflika. Il était alors lieutenant au MALG que dirigeait Abdelhafid Boussouf, l'ancêtre de la Sécurité militaire. “Vous avez des anecdotes à raconter au sujet du Président ?” interrogeons-nous malicieusement. “J'ai de quoi écrire des livres”, soupire-t-il. La photo racontait à elle seule la prise du pouvoir par l'armée des frontières. Si Abdelhafid, lui, n'a rien voulu prendre, ni honneur, ni privilège, et sa maison témoigne, si besoin est, de son honnêteté. “J'ai fait la guerre pour l'honneur de la patrie, pas pour avoir un quelconque privilège”, martèle-t-il en fronçant les sourcils. Cet homme qui avait déserté les rangs de l'armée française en 1955, a une drôle d'histoire avec la mort. Par deux fois, il a été enterré vivant, et par deux fois, il a été miraculeusement retiré de sa fosse. Traînant une blessure au genou gauche, il ne marche qu'en s'appuyant sur une canne. D'ailleurs, dans sa chambre, que des cannes. Sa maison est fissurée, et elle a été passablement enduite de ciment. “Ils ne m'ont donné que 4 millions de centimes alors que mes dégâts sont de 50 millions”, fulmine notre hôte. Excédé, il a décidé de saisir pour la première fois Bouteflika par lettre.
Nihar, une informaticienne de 24 ans, nous a conduit dans la maison de sa grand-mère, une imposante bâtisse sise au 3, rue Larbi-Ben-M'hidi. “Sa maison est d'une valeur de 200 millions minimum. Ils ne lui ont rien donné. Qui plus est, ils ont détruit l'escalier qui mène vers le haut de sorte que nous ne pouvons rien faire pour entamer les travaux par nous-mêmes, et nous ne pouvons même pas récupérer les meubles”, dit la jeune fille. Elle nous apprend que leur propre maison est sévèrement touchée. “Nous louons chez un particulier. Il n'a rien fait pour réhabiliter sa bâtisse. Notre appartement est resté tel quel. Nous sommes obligés d'aller nous trouver une autre maison à nos frais”, confie Nihar. Dans cette même rue, on a l'impression que tout va bien. Pourtant, en poussant une porte basse, l'on s'engouffre dans un véritable capharnaüm de décombres et de gravats, d'où émergent trois familles qui végètent dans des conditions difficiles. “Nos enfants sont exposés à une faune de rats qui sortent de partout la nuit”, se plaint un sinistré. “Nous sommes en proie à toutes sortes de maladies. Nous n'avons même pas de sanitaires depuis qu'une partie du haouch a été rasée. Nous sommes sans gaz non plus. Nous vivons sous terre et personne n'est venu s'enquérir de notre situation”, râle-t-il de plus belle. Dans la même rue, un commerçant abonde dans le même sens en affirmant qu'aucun commerçant de la ville n'a obtenu réparation pour la perte de son gagne-pain, regrettant que cette catégorie ait été tout bonnement ignorée.
M. B.
Demain : une formidable expérience citoyenne.


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