«Seuls les gens de Tizi Ouzou et le président de la JSK, M.Hannachi, sont venus les premiers pour nous apporter leur aide, ensuite sont arrivés les pompiers et l'armée.» Douleur aiguë sur champ de ruines, le tout saupoudré d'une indicible colère contre ce sentiment d'abandon de la part de l'Etat. Ou encore doit-on écrire ce que fut la ville de Bordj Menaiel. Oui, Bordj a souffert et souffre encore, notamment du fait de certains comportements aussi maladroits qu'incompréhensibles. C'est le cas de cette autre «gaffe» de M.Zerhouni, une «gaffe» qui reste gravée dans beaucoup de mémoires. Un jeune homme de Bordj raconte. Vendredi, vers 16h, le ministre, devant les dégâts incommensurables et morts d'hommes, a eu une phrase terrible ; une phrase voulue apparemment comme un encouragement et qui a dévié de son but. Devant cette catastrophe, M.Zerhouni aurait dit: «Ce n'est pas grave!» C'est là que le sang de certains n'a fait qu'un tour et des jeunes ont failli commettre l'irréparable. Heureusement que le ministre a vite quitté les lieux. En entrant en ville, par la gare routière, en contrebas de la daïra, on est immédiatement saisis par le choc. La bâtisse de la cité La Plaine est un amas de gravats, dont une partie tient encore debout par miracle. L'immeuble est pratiquement détruit à 90%. Les familles habitant La Plaine ont été recueillies au Cnet Boualem-Bouini. Un groupe de jeunes, assurant la vigilance, nous assure: «Seuls les gens de Tizi Ouzou et le président de la JSK, M.Hannachi, sont venus les premiers, pour nous apporter leur aide, ensuite sont arrivés les pompiers et l'armée.» Plus haut, au lieu dit les HLM, après la barrière de chemin de fer, seules deux ailes de bâtiment, accrochées dans le vide restent debout. Les autres bâtiments ne sont plus que gravats. Des engins, des pelles mécaniques et de nombreux bénévoles aidés de militaires étaient à la recherche de survivants ou de cadavres. Tout autour, tant dans la cour de la daïra que dans les terrains vagues, des familles rescapées campent, qui sous une tente, qui sous un abri de fortune. Dans cette zone, les morts et les blessés ne se comptent pas. Outre cela, les gens ont été privés de gaz, d'électricité et d'eau. Heureusement que les Tizi-Ouzéens, ont pensé au pain, à l'eau, au lait..., mais la tâche est immense ! Rencontré au niveau de la daïra, un jeune, encore sous le coup de la terrible émotion, dira: «On compte à l'heure où je vous parle (vers 11h hier ndlr) plus de 300 morts. Les cimetières de Sidi Smid et Lalla Aïcha sont complets.» On creuse les tombes au poclain! Sur les gravats de la cité HLM où tous les engins s'affairent, deux drapeaux nationaux flottent au vent. Sur les trottoirs faisant face, les rescapés, hommes, et enfants regardent, les yeux hagards, les gens s'affairer. A l'entrée Est de la ville, un peu plus haut que la cité HLM, la grande mosquée est très endommagée. Mais c'est la rue principale, la rue Colonel-Amirouche, qui montre un spectacle apocalyptique. De chaque côté de cette rue, ce ne sont qu'immeubles affaissés, villas détruites, commerces soufflés. Au niveau de la place de la mairie, face au commissariat de police, un immeuble entier s'est effondré. Les équipes de secours, apparemment des Allemands, s'affairent. Les chiens et les engins des travaux publics essayent de sauver les gens coincés et/ou de retirer les morts. La rue Lounès-Ziani n'existe plus, plus de 6 villas et l'ancien magasin des galeries algériennes ne sont plus que gravats. En face, le marché couvert de la ville, rempli de monde à l'heure du séisme, nous dit-on, n'est plus qu'un monceau de poutres, de dalles affaissées, un imbroglio indescriptible. Là aussi, les secours s'affairent. Sur l'avenue principale près du siège de la poste réduit à une étrange vision d'une superstructure délabrée, un téléphone, sorti sur le trottoir, est mis gracieusement au service des citoyens. Rue Ali-Benour, un immeuble s'est carrément affaissé sur les commerces du rez-de-chaussée. Le propriétaire Belkaïd a compté 2 morts - 1 jeune homme de 16 ans et une jeune fille invitée de la famille. Dans la librairie du rez-de-chaussée trois clients sont morts, dont une jeune étudiante, préparant sa soutenance. Face à la Badr, une autre famille est, semble-t-il, décimée. Quelqu'un, ayant perdu des membres de sa famille, nous aborde: «S'il vous plaît, dites que la mère de M.Farouk Belkaïd (joueur de la JSK) est saine et sauve!» A l'hôpital de la ville, l'atmosphère est à la mobilisation. Venues de partout et, principalement, de la wilaya voisine, Tizi Ouzou, des équipes médicales et chirurgicales, renforcées par celles de l'ANP qui a mis en place près de 7 tentes (hôpitaux de campagne) font admirablement face aux nombreux blessés. Le Dr Tafat, qui nous a accueillis, montre des signes d'épuisement, mais tient encore le coup. Ce qui manque à cet hôpital c'est l'eau qui n'était pas encore rétablie, hier vers 13h. Devant l'hôpital de Bordj Menaiel, M.Abdelmadjid Bonagat, laisse exploser sa colère devant l'absence de l'Etat. «Si c'était une manifestation, on aurait envoyé 30 à 40 camions et engins de répression. Que font nos élus? Où sont-ils? Nous sommes sans pain, sans lait, aucune aide... J'ai perdu mon frère, j'ai été seul, à mains nues à le retirer des décombres.» Au niveau du quartier Ettahrir, des dégâts, avec des morts et des blessés, sont également signalés. A la cité Bousbaâ, au niveau des 200 Logements, c'est une vision d'enfer. Plusieurs bâtiments sont lézardés, d'autres couchés et plusieurs effondrés. Là aussi, les secouristes se démènent. Là aussi, les citoyens sont dehors. Heureusement pour eux que les populations «notamment celles de Tizi Ouzou, tiennent-ils à nous faire remarquer, nous ont apporté les premiers secours». Hier vers 14h, la cité Bousbaâ n'avait encore ni eau ni gaz, l'électricité étant rétablie dans une partie de la cité. Rencontrée sur place, Kabylia, une jeune ingénieur, les traits tirés, nous dira : «Nous sommes abandonnés, on n'a même pas de tente pour nous abriter.» Pour reconstruire, il faudra d'abord songer à panser les plaies béantes et laisser le temps aux citoyens de faire leur travail de deuil. Bordj Ménaiel, la petite ville commerciale, est désormais : Bordj de la douleur, de l'angoisse et de la colère !