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Des oliviers et des maisons ravagés par les flammes
AIt Yahia Moussa a frôlé la catastrophe
Publié dans Liberté le 13 - 09 - 2008

Les pertes enregistrées ont provoqué la colère des riverains. Après un début d'émeute qui a fait craindre le pire, une délégation de citoyens de la région sera reçue par le wali de Tizi Ouzou, entouré de son exécutif et en présence des autorités militaires locales.
La commune d'Aït Yahia Moussa, à 30 km au sud-ouest de Tizi Ouzou, est l'une des communes les plus touchées par les incendies qui ont ravagé la Kabylie ces dernières soixante-douze heures. Jeudi matin, nous avons pris la direction de cette municipalité dévastée par les flammes. “Notre commune est la plus pauvre de la wilaya. La carte sociale établie l'an dernier nous a classés en première place en ce qui concerne la pauvreté”, tels sont les premiers mots prononcés par les jeunes furieux. En effet, dès notre arrivée à l'entrée de l'ex-Oued-Ksari, des voix s'élèvent de partout pour relater ce qui s'est passé depuis mardi dernier. Ce modeste chef-lieu de commune, bien que créé au début des années 70, n'a pas connu un quelconque développement. Des pneus enflammés encerclaient le cantonnement militaire. Des pierres et autres projectiles sont lancés en direction de cette bâtisse dont la plupart des vitres sont brisées. Ce décor nous rappelle cette date fatidique du 28 avril 2001 quand l'enceinte de cet immeuble était détruite par les manifestants. C'était alors le Printemps noir. Côté ordre public, un important dispositif a été déployé tout autour. L'une des personnes gardant les barricades nous invite à faire “une visite” à l'intérieur des villages fantômes sur le versant ouest. Nous prenons alors le CW 152 reliant les villages et hameaux de ce versant au chef-lieu de la commune. Notre guide nous montre les quelques troncs d'oliviers qui continuaient à fumer, des gourbis servant de hangars, d'étables ou encore de poulaillers et les quelques maisons dévorées par les flammes.
Arrivés au niveau du village Imoulak, un point culminant, notre compagnon fait une halte pour nous montrer les deux villages les plus touchés, à savoir Afir et Ath Slimane. Ces deux localités sont classées en première position en matière de misère et de pauvreté. Ce que confirment les propos du chef de service social de l'APC, rencontré récemment. “Ces deux villages ont eu le plus grand nombre de colis alimentaires”, nous confiait-il. Troncs d'arbres calcinés, dépôts de cendres partout, en somme, c'est l'enfer, la désolation. “Nous sommes ruinés.” Ce sont les mots qui revenaient le plus souvent. “Il ne nous reste rien à attendre dans cet enfer,” clame une autre voix. Notre guide nous relate alors la journée de mardi et la nuit de mercredi. “Les villageois ont lutté contre les flammes, mais les vents violents et le manque d'eau ont été à leur défaveur. Il a suffi de quelques heures pour que les flammes détruisent tout sur leur passage. Les pompiers ne sont arrivés que lorsque les maisons étaient déjà touchées par le feu”. Un autre villageois qui a sauvé sa famille in extremis ajoute : “Vraiment, je remercie les jeunes qui nous ont aidés à sortir du village, sinon nous aurions péri à l'intérieur.” Ici, tout le monde parle de la volonté et du courage de cette jeunesse de faire barrage aux flammes avec des moyens matériels rudimentaires. Plus loin, comme dans le film l'Opium et le Bâton, une vieille pleure ses oliviers : “C'est la seule ressource qui nous permet de vivre. C'est fini, c'est la mort pour nous. Ces oliviers qui sont une partie de nous-mêmes ne repousseront plus. Ceux qui n'ont pas d'oliviers sont partis depuis longtemps. Pourquoi sommes-nous punis de la sorte ?” hurle-t-elle en sanglotant. “Dieu soit loué que des personnes ne soient pas mortes”, dira-t-elle encore, comme pour se consoler. De part et d'autre de ce chemin de wilaya, c'est le même décor qui s'offre aux yeux. On dirait que la vie a déserté ces montagnes. Un autre citoyen nous raconte comment un automobiliste, au volant de son fourgon, a été encerclé par les flammes. La carcasse du véhicule calciné est toujours là. De l'autre côté, le village d'Ivouhrène, limitrophe de Tachtiouine et en face des maquis de Sidi-Ali Bounab, a lui aussi subi d'énormes dégâts : des poulaillers brûlés, des arbres fruitiers ravagés par le feu. C'est la même désolation et les mêmes lamentations. Là encore, des maisons ont été détruites par le feu. Impossible de consoler ces pauvres montagnards. Notre guide a beau essayer, en vain. Les dégâts sont énormes. Pour le moment, ils ne sont pas encore estimés. Après un tour dans ces villages, nous revenons au chef-lieu de la commune.
Les jeunes en furie…
“Cela fait trois jours que nous sommes ici. Nous attendons toujours l'arrivée du wali ou d'un haut fonctionnaire de l'Etat”, dit l'un des jeunes faisant partie du groupe en face du camp militaire. Après décliné notre identité, tout le monde voulait intervenir. Depuis mardi dernier, le chef-lieu de la commune est entièrement paralysé. Parfois, les jeunes lancent des pierres vers le bâtiment qui abrite le cantonnement militaire. Dans l'après-midi de mercredi, des brigades de la BMPJ et des CRS ont été dépêchées sur les lieux car la situation devenait très critique. On parle même d'un blessé parmi les jeunes. Originaire du village de Tachtiouine, ce jeune a eu des blessures au niveau du pied. Il aurait été opéré en urgence et aurait regagné son domicile. Des pneus continuaient à brûler. “Nous voulons des décisions et des solutions urgentes”, s'élève une autre voix. La grogne monte, mais la sagesse des uns l'emporte devant l'excitation des autres. Il y a lieu de signaler le déplacement du premier responsable de la sûreté de daïra de Draâ El-Mizan sur les lieux durant la journée de jeudi. Vers la mi-journée, une délégation représentée par un député de Tizi Ouzou, des membres de l'APW et du mouhafadh est arrivée à Aït Yahia Moussa-centre. Les pourparlers ont alors commencé. Les jeunes insistent sur la venue du wali. Après d'âpres négociations, une délégation de treize représentants de la population a été dégagée pour être reçue par le wali.
Après les émeutes, l'apaisement…
Selon des sources concordantes, le wali ainsi que son exécutif au grand complet, en présence des autorités militaires, ont ouvert un dialogue serein avec ces représentants. Ces derniers ont exposé alors tous les problèmes et la situation dramatique que vit la population après ces incendies qu'ils disent provoqués de manière volontaire. Le wali a fait preuve, dit-on, d'une grande patience, écoutant longuement les doléances des citoyens reçus. Les discussions ont duré plusieurs heures avant que des solutions d'urgence ne soient dégagées. Les pouvoirs publics ont installé des commissions auxquelles seront confiées toutes les tâches à entreprendre en commençant par l'évaluation des dégâts. Il a été décidé d'indemniser toutes les pertes. Les deux parties ont convenu de recenser les besoins des populations sinistrées. De son côté, la Direction de l'action sociale a décidé de distribuer mille cinq cents colis alimentaires pour les familles résidant dans les zones touchées par les incendies. L'autre point qui n'est pas encore tranché est le déplacement du camp militaire vers un autre lieu. Il faudra cependant attendre car cela est étroitement lié à la lutte antiterroriste. Il sera tout de même possible de remettre cet immeuble à l'APC, telle est l'autre solution envisagée. L'on se rappelle que lors de la visite de travail effectuée par le précédent wali de Tizi Ouzou en 2005 à la daïra de Draâ El-Mizan, les comités de villages de la commune d'Aït Yahia Moussa avaient demandé dans leur rapport de transférer ce camp afin de récupérer l'immeuble initialement destiné aux citoyens. Le premier magistrat de la wilaya et son exécutif ont pris acte des dégâts enregistrés, après quoi le wali a instruit les commissions de suivi de passer à l'action sur-le-champ. Le wali a même promis de mettre toute la lumière sur cette affaire. Ainsi, dans l'après-midi, le calme est revenu au chef-lieu de l'ex- Oued-Ksari. Dans le cadre d'un recensement réalisé en 2006 pour les besoins de l'établissement de la carte sociale de la wilaya, les responsables de cette municipalité ont avancé le chiffre de 7 000 familles démunies ou sans ressources, éparpillées sur tout le territoire de la commune. Une phrase par laquelle un citoyen a tenu à conclure son intervention est certainement à méditer : “Krim Belkacem qui est né ici, et qui a paraphé les accords d'Evian pour que l'Algérie vive en paix, doit se retourner mille fois dans sa tombe quand, quarante-six ans après l'indépendance, les fils d'Aït Yahia Moussa perdent tout, jusqu'à leurs oliviers.”
O. G.


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