1ere partie Il est très jeune, d'allure frêle. De loin, on le prendrait pour un gosse. Allal est issu d'une famille nombreuse et très modeste. Mais il est heureux auprès des siens. Il aime vivre avec eux. Il croyait que le monde se limitait juste à son quartier et puis quelques années plus tard, il pensait que les frontières de tout ce beau monde étaient sa petite ville natale. Jusqu'au jour où il commence à s'ennuyer sérieusement. Ses copains partaient passer des vacances au bord de la mer. Lui, il n'en connaissait que le nom. Une obsession le saisit et s'empare de lui, ne le quittant plus. Allal n'en parlait pas à son entourage. Il est de nature timide et agité. Il est rebelle mais garde tout enfoui en lui. L'idée de s'évader lui est montée à la tête. Et c'est sur un coup de tête, avec un ami à lui, qu'il monte dans le bus à destination d'une grande ville qu'il n'avait jamais vue auparavant. Juste entendu le nom : Alger, Dzayer. La capitale que tous rêvaient… Son objectif était de passer un séjour à Alger, comme ses égaux, au bord de la mer. Le voyage fut long, très long. Plus de quinze heures de route. À trois heures du matin, Allal arriva à Port Saïd (le Square), le ventre creux et la bouche sèche. Le jour avait du mal à se lever. Le jeune garçon ne savait ni où il était ni quelle destination prendre. Il attendait le lever du soleil, il piaffait d'impatience. Enfin, quelques heures après, il voit la mer juste en face de lui où quelques bateaux étaient parsemés en rade. Tout à coup, la ville se réveille et il voit ses voitures qui vrombissent et des gens dont il ne comprend ni l'accent ni le langage. Une peur étrange s'empare de lui, lui qui n'avait jamais vu autant de monde, même à la télé. Il réalise alors qu'il venait de s'engager dans une périlleuse aventure. Mais que faire ? Trop tard pour faire machine arrière. - Tu as toujours ton diplôme de moniteur de vacances ? demande son ami Naoui. - Oui. Et toi ? - Bien sûr, et même nos affectations… - Je veux voir la ville, dit Allal. - On n'a pas de quoi se payer un casse-croûte ! Tu ferais mieux de faire comme moi et de travailler. - Moi, j'étais affecté où ? - À Lapérouse ! Moi, je vais du côté de Tipasa. Naoui et Allal s'échangent une poignée de mains. - Souviens-toi “La Pérouse” ! Allal ne cesse de le répéter. Il craignait de l'oublier. Au cas où il s'égarerait, il saurait quoi dire. “La Pérouse”. Subitement, il trouve ce nom bizarre et en même temps très joli. Dans le bus, tout le monde parlait. Il les écoutait, mémorisait et enregistrait des mots nouveaux dans un accent algérois. Il en faisait en secret une collection. Le premier mot qu'il entendit fréquemment était “tabaâ”. Il apprit quelques jours après que “tabaâ” voulait dire “pousse” ou “bouscule”. Debout, il ne sentait plus ses jambes. Et il s'accrochait pour ne pas perdre l'équilibre ou se coller aux autres tant il y avait des passagers, dans le bus. - Quatre chemins, terminus ! crie une voix cassée par un tabac puissant. C'est le receveur. Allal descendit et découvrit de vastes champs de roseaux obstruant sa vue. - Monsieur ! “Lapérouse”, s'il vous plaît ? demande-t-il à un passant. - "Rouh kbala”, juste après les trois chemins. (Kbala voulait dire direct et sans détour). Avec le peu de force qui lui reste, il avance sans se retourner, indifférent aux klaxons des voitures qui passaient à toute vitesse et aux cris des gosses qui rentraient chez eux, après une journée passée au bord de la mer. Cette mer dont il a tant rêvé… A. K. (À suivre)