Résumé : Après un voyage décevant à Marseille, Mouhoub rentre au bled déçu et complètement désorienté. Sa fierté l'empêche d'avoir recours à quiconque pour l'aider. Yasmina en parle à sa mère… 66eme partie Razika hoche la tête. - Une fierté mal placée. Après tout, tu es notre fille, et nous aimerions nous occuper nous-mêmes de nos petits-enfants. - Je sais, maman, l'interrompt Yasmina. Mais Mouhoub est comme ça. Il ne veut compter que sur lui-même. Razika s'entretient le soir même avec son mari. Elle lui demande de faire office d'une grande discrétion pour intervenir auprès de ses connaissances afin d'aider leur fille et sa famille. Mohamed comprit amplement la situation. La fierté, il en connaissait un bout. Dès le lendemain, et sachant que Mouhoub avait envoyé des demandes d'emploi à quelques administrations portuaires, il s'adressa à un ami qui s'occupait justement du recrutement du personnel. Deux jours plus tard, Mouhoub est convoqué au bureau d'embauche du port. On lui proposa un poste de journalier. Le salaire n'était pas motivant, mais le jeune homme est content de pouvoir enfin entretenir sa famille sans l'aide de qui que ce soit. Bien sûr, il ne savait pas encore, que sans l'intervention de son beau-père, sa demande d'emploi n'aurait jamais abouti. Faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, Mouhoub se rendait tous les matins au port pour gagner sa journée. Il revenait le soir épuisé, mais content de pouvoir nourrir sa famille. Il avait loué une maison qui faisait face à celle de ses beaux-parents et mitoyenne à celle de sa tante Malika. Cette dernière, qui vivait seule depuis le mariage de sa fille, leur avait proposé sa maison. Mais Mouhoub et Yasmina voulait avoir un chez-eux où les enfants pourraient gambader, jouer et crier sans déranger personne. La vie s'écoulait. Une année passe. 1930 – LA DECADENCE Sid-Ali et Mustapha, qui avait respectivement cinq et six ans, contractèrent la rougeole. Yasmina avait vite fait de reconnaître les premiers symptômes et avait préféré éloigner Malek et Farid, bien que ces derniers avaient déjà souffert de cette maladie alors qu'ils étaient encore à Marseille. Elle demande à Mouhoub de faire venir un médecin qui, après examen, confirma les soupçons de Yasmina et ordonna de garder les deux enfants au lit avec un bon traitement. Mais il était écrit quelque part que les deux enfants ne survivraient pas à cette maladie. Sid-Ali rendit l'âme deux jours après, suivi de Mustapha qui succombera le troisième jour. Les parents sont anéantis. Perdre deux enfants en même temps alors que rien ne le prédisait, n'était pas une mince affaire. Yasmina les pleura sans discontinuer, tandis que Mouhoub, malade et alité, ne dut son salut qu'aux nombreux tranquillisants qu'on lui administrait.On enterra les enfants côte à côte et on tenta de réconforter les parents, tout en sachant que ce malheur n'était pas des moindres. La vie reprit son cours. Malek et Farid, aussi tristes qu'un jour sans pain, reprirent le chemin de l'école. Ils se promirent de travailler sans relâche afin de compenser le chagrin de leurs parents. Yasmina tombe enceinte. Elle voulait au moins combler le vide qu'avaient laissé ses deux benjamins, tout en sachant, que personne ni rien au monde ne pourrait les remplacer. Elle donne naissance à un autre garçon, puis à un second. Le premier vivra une année, et le second à peine quelques mois. Une autre grossesse lui permettra de réaliser un vieux rêve, celui d'avoir une fille. Mais cette dernière succombera à une bronchite quelques mois après sa naissance. C'était à croire qu'une malédiction s'était abattue sur Yasmina et Mouhoub. Enfin, en 1932, un autre garçon vint au monde. Mohamed, son grand-père paternel, faisant référence à une ancienne croyance de son village natal, insista pour lui donner son prénom, afin que le bébé vive autant d'années que lui-même. Et ce garçon vivra. Mouhoub et Yasmina respirèrent enfin. Ils avaient trois enfants en bonne santé. Mais l'inquiétude ne les quittait jamais. Si l'un des trois gosses éternuait, ils appelaient tout de suite un médecin. La vie reprit son cours normal, après cette période houleuse. Mouhoub reprend le chemin de son travail après un long temps de chagrin et de tristesse. Il retrouve un tant soi peu sa sérénité, mais son cœur saignait toujours. Yasmina de son côté avait perdu de sa joie de vivre. Rien ne pouvait plus la satisfaire ni la rendre heureuse, si ce n'était ces trois petits chérubins et son mari. Elle se contentait donc de s'occuper de son ménage et de sa famille, tout en priant Dieu de lui épargner d'autres malheurs. Malek allait sur ses douze ans et était excellent en classe. Farid avait onze ans et développait déjà une véritable passion envers tout ce qui pouvait évoquer pour lui la navigation marine, les bateaux, et la mer. Il plongeait des heures entières dans des revues, et des livres de géographie et tentait de comprendre le complexe système de repérage marin. L'histoire de la mer le passionnait et il aimait accompagner son père au port, afin de regarder de plus près ces paquebots et ces cargos qui sillonnaient le monde. Il rêvait de contrées lointaines et en discutait de longues heures avec sa mère. - Un jour je te prendrai avec moi et nous irons tous les deux à la rencontre de l'aventure, ne cessait-il de répéter à Yasmina qui, sans trop rêver, encourageait son fils à faire tout d'abord de bonnes études. - Seuls les études et le savoir pourront t'ouvrir les horizons lointains dont tu rêves tant, lui répétait-elle. (À suivre) Y. H.