Les débuts de Hassen Ferhani dans le champ cinématographique s'annoncent prometteurs. En 2006, il réalise un court métrage, «Les Baies d'Alger». En 2010, il coréalise avec Nabil Djedouani un court métrage intitulé «Afric Hotel». A travers l'interview qui suit, Hassen Ferhani dévoile les dessous de ce court métrage qui nous invite à renouveler notre regard sur Alger. Les débuts de Hassen Ferhani dans le champ cinématographique s'annoncent prometteurs. En 2006, il réalise un court métrage, «Les Baies d'Alger». En 2010, il coréalise avec Nabil Djedouani un court métrage intitulé «Afric Hotel». A travers l'interview qui suit, Hassen Ferhani dévoile les dessous de ce court métrage qui nous invite à renouveler notre regard sur Alger. Toute la ville parle La baie d'Alger. La ville. Et sa diversité architecturale, sociale, linguistique. Alger. Empêtrée dans ses tracas quotidiens mis à nu par les conversations captées par la caméra à travers les baies des immeubles, témoins de la richesse architecturale de la Ville-Monde. La Nouvelle République : Dans quelles conditions ce premier court métrage a-t-il été réalisé ? Hassen Ferhani : En 2006, je vivais à Alger. J'activais à Chrysalide, une association à vocation culturelle. «Les baies d'Alger» a été réalisé dans le cadre d'un appel à projet lancé par Katia Kaméli, vidéaste franco-algérienne. En un mois, il fallait réaliser cinq courts métrages axés sur notre vision contemporaine d'Alger. J'ai envoyé une ébauche des «Baies d'Alger» et mon idée a été sélectionnée parmi une trentaine de projets. Katia Kaméli est venue à Alger en compagnie d'un chef opérateur et d'une monteuse. Du matériel a été mis à notre disposition pour la réalisation de ces films. Le repérage des lieux du court métrage et l'écriture des projets des cinq films ont duré une semaine. Nous avons travaillé collectivement, l'idée étant que chacun s'investisse dans la réalisation des cinq courts métrages. Concernant «Les Baies d'Alger», nous avons filmé à partir de l'immeuble Lafayette qui se situe sur le boulevard Mohamed V, au centre-ville. Le tournage et le montage ont duré deux jours et la réalisation six jours. Cet immeuble offre une belle vue sur Alger et permet de dominer la ville, y compris les immeubles situés dans de petits quartiers. Nous avons filmé en plan séquence à partir d'un balcon, avec une caméra fixe sur pied. Cette dernière pivote, fait des panoramas, zoome et dézoome. Quels sont les facteurs qui ont présidé au choix de filmer les fenêtres de ces immeubles situés à Alger-Centre ? Ma démarche n'était ni architecturale, ni urbanistique, ni esthétique. Nous avons choisi cet immeuble pour deux raisons. D'une part, parce que je m'intéresse à l'architecture d'Alger et, d'autre part, parce que je voulais mettre en exergue la richesse architecturale du centre d'Alger où se côtoient une diversité de styles architecturaux datant de différentes époques : ottomane, coloniale, postcoloniale... J'ai été fortement marqué par la diversité et la beauté du paysage architectural algérois. C'est cet aspect qui m'a incité à faire d'Alger le sujet principal du film. La ville remplace physiquement les acteurs qui ne sont présents que par leur voix. Je savais exactement quel immeuble filmer et sur quelle fenêtre il fallait s'arrêter grâce au travail de repérage élaboré avec un appareil à photos. Mais, avec du recul, je me serais sans doute intéressé à la nouvelle architecture qui a tendance à dominer le paysage de la ville (bina fawdaoui). Le court métrage met en scène une approche originale qui ne donne pas à voir mais à entendre. En se déplaçant, la caméra joue le rôle de l'œil du spectateur et devient un personnage narrateur. Elle a plusieurs fonctions : elle regarde, observe, découvre, met à nu. N'y a -t-il pas là une idée de voyeurisme ? Pour ce premier film, j'avais envie d'expérimenter et d'innover. C'est alors que j'ai pensé à un dispositif où l'œil serait sollicité pour se promener d'une baie à une autre. Il y a bien cette idée de voyeurisme mais dans un sens non péjoratif. Car il n'y a pas cette intention de m'immiscer dans la vie privée des gens. La caméra est un œil fouineur et subjectif. Il s'introduit à l'intérieur des foyers et met à nu ce qui est de l'ordre du caché en gardant dans le secret l'identité physique des personnes qui parlent derrière les baies. La caméra joue le rôle de témoin qui rapporte des discussions sans que les acteurs et les actrices soient visibles à l'écran. Raconter une histoire sans les images est une démarche qui a des effets très percutants. Le spectateur écoute et imagine. Le film sollicite l'imagination et l'ouïe du spectateur. C'est une approche participative que vous proposez là ? En Algérie, les réalisations cinématographiques ne sont pas toujours innovantes. Je voulais expérimenter de nouveaux procédés pour éviter un retranchement cinématographique et la reproduction d'une approche classique. Un jour, quelqu'un m'a dit que, pour chaque scène, il imaginait les personnages, les scènes et l'intérieur des appartements. Une fois que l'imaginaire se met en mouvement, le spectateur endosse le rôle symbolique de réalisateur du film. Il crée ainsi sa propre mise en scène. Les personnages parlent mais ne sont pas visibles à l'écran. Comment avez-vous procédé pour mettre en scène leurs voix ? Les hommes et les femmes qui ont prêté leur voix pour le film ne sont pas des acteurs, sauf le personnage qui joue le rôle de trabendiste. Ce sont les voix de mes amis et amies et des membres de ma famille. Ce film m'a permis d'expérimenter et de gérer plusieurs situations. J'ai du diriger au moins une quinzaine de plateaux. J'ai fait le choix de noter les grandes lignes des conversations. Une fois que j'ai déterminé le sujet, j'ai expliqué ma démarche aux personnes qui ont accepté de participer au film afin de les mettre en situation. Puis je leur ai laissé une liberté de parole. Les conversations n'étaient ni définies au préalable ni dirigées. Il arrivait que les personnes parlent de leur vécu pendant deux heures face à un enregistreur. Les conversations mettent en exergue des préoccupations quotidiennes des Algérois et Algéroises. Comment s'est opéré le choix de ces thèmes ? Ces discussions reflètent des thèmes qui me paraissaient importants et récurrents tels que le chômage, l'amour, la sexualité, les rapports entre les sexes, les disparités sociales, la difficulté d'être soi dans une société où le collectif prend le pas sur l'individuel, les obstacles rencontrées par les couples qui s'aiment. Car, à Alger et partout ailleurs en Algérie, les amoureux vivent leur amour dans l'ombre. Le téléphone devient alors le moyen privilégié de communication. Il n'y a aucun message dans ce court métrage. Je voulais soumettre au regard et à l'ouïe des bribes de tranches de vie d'hommes et de femmes qui se connaissent et vivent au sein d'un espace urbain commun. Les discussions entre les personnages mettent en évidence une pluralité des langues. Quel est l'intérêt de cette démarche ? L'arabe officiel n'est pas l'unique langue du pays. Je voulais mettre en exergue la dimension plurielle du champ linguistique algérois. C'est pourquoi j'ai veillé à mettre sur un pied d'égalité l'arabe académique, la langue française, le kabyle et l'arabe parlé algérien, qui est une donne importante et incontournable du paysage linguistique et social algérien. D'ailleurs, cette langue n'est pas suffisamment exploitée dans le champ cinématographique algérien. Lors d'une journée quelconque, nous employons une variété de langues en fonction du contexte, de l'interlocuteur, du lieu, des intérêts, de l'humeur… En Algérie, nous avons cette possibilité de passer d'une langue à une autre naturellement et avec beaucoup de souplesse. Le souci de la prise en compte de la pluralité linguistique transparaît à travers le sous-titrage des dialogues. Je voulais que ce court métrage soit accessible au plus grand nombre. Entretien réalisé à Paris par Nadia Agsous