«Il n'y a plus de poissons, conséquence du pillage en toute impunité de nos côtes. Même les zones censées être protégées car de reproduction, n'ont pas été épargnées.» L'alerte est sérieuse. Elle émane des armateurs et patrons de pêche habitués du port de pêche de la Grenouillère d'Annaba. Selon eux, la défaillance des services représentatifs de l'Etat chargés du contrôle serait à l'origine de l'anarchie qui y sévit. Les trafics de poissons à quai et en haute mer, du corail et de la drogue dure sont le quotidien. «Nous suspectons la présence d'un réseau spécialisé dans la traite des blanches à destination de l'autre rive de la Méditerranée, sinon comment expliquer la présence à des heures indues de femmes sur les lieux», ont-ils ajouté. Premières victimes de ce pillage, les pêcheurs et les consommateurs. En dépit des assurances maintes fois réitérées par les autorités locales et nationales dont celles du ministre chargé du secteur, et malgré les appels lancés par les gens de la mer, la situation a empiré pour atteindre l'intolérable. Comment pourrait-il en être autrement dans une administration locale cloisonnée entre son ministère et une police maritime ayant la phobie des journalistes. Quant à la société de Gestion des ports de pêche, elle a beau être rentable, tous les animateurs sur le terrain s'accordent à dire que ses recettes auraient été plus importantes avec une prise en charge plus conséquente de l'entretien de l'infrastructure portuaire de pêche de Annaba. «Nos multiples appels pour la mise en place d'abris de pêcheurs n'ont pas été entendus à ce jour. La société en charge de ce problème n'a d'autre souci que gérer l'existant sans s'intéresser aux autres problèmes des utilisateurs du port», ont estimé plusieurs de ces animateurs. Du côté de la direction de la SGPP de Annaba, toute information même contradictoire relève de l'impossible. Ce sont donc les armateurs, patrons de pêche et marins qui multiplient les déclarations. Celles mettant en cause les structures de gestion du port et des activités de la mer sont les plus nombreuses. Notamment les gardes côtes où malgré le changement intervenu récemment à Annaba, le laisser- aller est toujours de mise. «Même lorsque nous les sollicitons pour un flagrant délit d'atteinte aux conditions de la pêche, à l'environnement et autres, les gardes côtes n'interviennent pas ou le font très tardivement», explique un des patrons de pêche. La pollution de la mer est un autre problème. Dans le port même, des liquides gras et polluants sont lâchés sans que les structures compétentes, pourtant alertées, ne trouvent à redire. Des chalutiers dont l'identité est inconnue sont placés sous la conduite de patrons tunisiens que n'intéressent ni la reproduction, ni le bon état de nos côtes et encore moins la protection de l'environnement. Lorsque nous les interpellons pour les sensibiliser sur la nécessité de respecter la période de reproduction, ces Tunisiens prennent pour argument la rentabilité de l'embarcation dont ils ont la charge et qui leur est imposée par leur employeur algérien. «Nous sommes payés pour être rentables. Les autres aspects ne nous concernent pas. Vous n'avez qu'à vous plaindre à qui vous voulez car nos employeurs ont le bras long», est le justificatif qu'ils avancent. Le trafic du carburant algérien fait rage en haute mer. Ce sont des millions de litres qui traversent nos frontières à destination de la Tunisie et de l'Italie. La contrepartie est faite en nature. C'est-à-dire en contrepartie d'importantes quantités de poissons. La pêche illicite du corail est une autre cause de la baisse très inquiétante du poisson sur nos côtes. Ils sont plus de 500 corailleurs déclarés ou non à s'adonner en toute illégalité à cette activité entre les côtes de Annaba et El Kala. Les quelques kilogrammes de corail rouge saisis en 2010 par la Gendarmerie nationale dans ces deux wilayas représentent une infime partie des quantités cédées en haute mer aux Italiens, Tunisiens et Libyens. Des plages d'échouage sur tout le littoral de la façade Est sont transformées en marché de gros du poisson et autres trafics. S'y rencontrent, loin des regards indiscrets et apparemment avec le consentement tacite des services chargés du contrôle, faux armateurs et patrons de pêche pour des transactions douteuses avec des repreneurs étrangers. Les Italiens et les Tunisiens forment la tête de file des fournisseurs et clients des Algériens. Faute de disponibilité de matériel de pêche sur le marché national, chacun s'adonne au trafic avec les Tunisiens spécialisés dans ce type de commerce qui font des affaires en or. En connaissance des difficultés auxquelles sont confrontés les gens de la mer en Algérie, ils appliquent des prix à la limite de la décence pour n'importe quelle pièce de rechange ou équipements. Le contraire signifierait l'immobilisation pour une longue durée de l'outil de travail. Ce fut le cas pour un des armateurs de Annaba qui n'avait pas pu trouver un joint spi pour son moteur. «Pour la moindre petite pièce de rechange indispensable pour maintenir notre outil de production en bon état de fonctionnement, nous sommes contraints d'aller en Tunisie. Dans notre pays, les petites pièces de rechange sont introuvables et pour les acquérir, il faut recourir au marché parallèle du change. C'est ce que j'ai fait pour acquérir un joint spi en me rendant à Sfax». Cependant, c'est le pillage des eaux de mer du golfe de Annaba qui inquiète sérieusement les gens de la mer à Annaba. Ce lieu de reproduction nécessite un meilleur suivi par les services concernés. Pour mettre définitivement un terme à cette situation, armateurs et patrons de pêche préconisent la mise en place d'un récif artificiel. «La mise en place de récifs artificiels se fait partout dans le monde, pourquoi pas chez nous où les pilleurs agissent en toute impunité», ont-ils argumenté. Posé depuis des années à chaque visite ministérielle, ce problème ne semble pas intéresser les décideurs. A ce niveau, l'on préfère parler de soutien financier de l'Etat à accorder à qui veut pour l'acquisition d'équipements destinés à la pêche du thon ou de chalutiers. Plus d'une centaine d'armateurs et de patrons de pêche en ont profité ces quatre dernières années. Le résultat est que, loin de se développer, le secteur de la pêche a périclité. Et si à Annaba, le prix de la sardine avoisine les 500 DA/kg alors qu'il était à peine à 100 DA, ceux des poissons blancs et des crustacés sont inaccessibles. Encore faut-il les trouver sur les étals des poissonneries. Il s'agit de la mainmise sur la production de quelque 20 revendeurs. S'autoproclamant commissionnaires alors qu'ils n'ont ni registre du commerce ni un quelconque autre document les autorisant à accéder au port de la Grenouillère (accès interdit aux journalistes), ces revendeurs encadrés par des repris de justice, ramassent toute la production du jour. Surtout celle des crustacés qu'ils destinent principalement aux restaurants classés ou à l'exportation illicite à destination de l'Italie. A. Djabali