A la fin du mois de mai dernier, le ministre des Finances, Karim Djoudi, déclarait au journal émirati The National que l'unité de montage de véhicules de Aabar Investment entrera en production au courant de cette année. Quelques jours plus tard, sur les ondes de la Chaîne III de la Radio nationale, Mokhtar Chahboub, PDG de la SNVI (Société nationale des véhicules industriels), annonçait la sortie de la première voiture fabriquée en Algérie avant 2014. Le véhicule dont parlait le ministre des Finances concernait un accord signé au mois d'août 2009 entre l'émirati Aabar Investment, le ministère de la Défense nationale et cinq constructeurs allemands, à savoir Ferrostaal, Rheinmettal, Daimler, Deutz et MTU. Cet accord prévoit la réalisation de trois unités de fabrication de voitures, camions, autocars et moteurs. Il concerne presque la totalité des entreprises algériennes intervenant dans l'industrie mécanique implantées à Constantine, Rouiba (Alger) et Tiaret. Ce projet vise l'objectif d'atteindre en 2016 la production de 16 500 camions, autobus et véhicules spéciaux et tout-terrain au profit de l'armée algérienne. Ce qui représente cinq fois et demie la production actuelle de la SNVI en véhicules industriels qui dépasse rarement les 3 000 unités annuellement. Pour certains observateurs, l'accord conclu entre le ministère de la Défense nationale, le fonds d'investissement émirati et des géants allemands de l'industrie mécanique a constitué un véritable tournant dans la relance de l'industrie algérienne marquée, ces dernières années, par une absence totale de stratégie. Il n'y aurait pas que Renault Pour le PDG de la SNVI qui intervenait au début du mois de juin sur les ondes de la Chaîne III, il n'y a pas que le constructeur français Renault qui négocie l'implantation d'une usine de fabrication automobile en Algérie. «Il y a aussi d'autres constructeurs qui se manifestent. Je ne peux préciser les noms pour l'instant», dira le patron de la SNVI. Depuis quelques temps, on parle aussi de discussions avec le constructeur allemand Volkswagen. Ces discussions concernent aussi des producteurs asiatiques. Ces révélations n'impressionnent nullement les observateurs les plus avertis. Le marché algérien de l'automobile absorbe annuellement plus de 300 000 véhicules. C'est le second plus grand marché automobile en Afrique après l'Afrique du Sud. Ce qui est étonnant, c'est le fait qu'un marché aussi attrayant que celui de l'Algérie n'a pas pu attirer les investissements de grands constructeurs automobiles. Mais pour le moment, ce sont les négociations avec Renault qui sont surmédiatisées. Une telle médiatisation nous donne presque l'impression que l'avenir des relations économiques entre l'Algérie et la France seraient aujourd'hui tributaire de l'aboutissement de ce projet. Pourtant, et selon le PDG de la SNVI, le projet en négociation serait modeste. La future usine de Renault, une fois l'accord conclu, aurait une capacité de production de 50 000 voitures par an. Et selon toujours le patron de la SNVI, cette usine sera dimensionnée pour répondre à une demande de 150 000 véhicules par an. Mais en attendant la concrétisation de ce projet, les choses semble bouger dans d'autres activités concernées par l'investissement productif. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est un syndicaliste du complexe ArcelorMittal Annaba qui annonce le projet de construction d'une aciérie électrique à Oran. Ce projet, d'une capacité de 700 000 tonnes par an, serait appelé à couvrir les besoins de la future industrie automobile algérienne et le reste sera exporté. Selon les informations disponibles, il a déjà eu le feu vert des autorités algériennes et serait réalisé par une entreprise turque et non ArcelorMittal. L'aciérie sera implantée dans le nouveau pôle industriel de Bethioua, dans la wilaya d'Oran. Mais pour quelle raison un syndicaliste juge important d'annoncer un projet industriel qui ne relève nullement de son champ d'activité ? Depuis la privatisation, à hauteur de 70%, du complexe sidérurgique d'El-Hadjar, il y a dix ans, les objectifs tracés n'ont pas été atteints. D'une capacité théorique de production de deux millions de tonnes, ce complexe arrive rarement à produire 700 000 tonnes d'acier par an. Pis encore, le fleuron de l'industrie lourde algérienne de la fin des années soixante-dix est devenu célèbre, après sa cession à ArcelorMittal, par ses scandaleuses affaires de corruption et les violente batailles entre syndicalistes. Après l'annonce du projet de l'aciérie d'Oran et le feu vert donné au projet de Cevital pour l'implantation d'une usine sidérurgique dans la zone industrielle de Bellara à Jijel d'une capacité de 1,5 millions de tonnes annuellement, le complexe sidérurgique d'El-Hadjar et ses syndicalistes n'auront plus d'autres choix qu'à se mobiliser pour améliorer la production et la productivité de leur outil de production. Il est humiliant pour l'Algérie que l'usine d'El-Hadjar soit la dernière dans le classement des usines de la multinationale ArcelorMittal en termes de productivité. Quand le gouvernement prend conscience des réalités ! En 1997, en pleine crise financière et économique et même politique, l'industrie manufacturière représentait 8% du produit intérieur brut (PIB) de l'Algérie à un moment où les hydrocarbures formaient 30% du PIB. Douze ans plus tard, en 2009, les hydrocarbures passaient à 31,5% du PIB tandis que l'industrie manufacturière régressait à 5,3%. Pour les observateurs, les dizaines de milliards de dollars dépensés par l'Etat pour développer les infrastructures socioéconomiques et soutenir l'économie n'ont pas servis à relancer l'industrie algérienne. Bien au contraire, la part de l'industrie manufacturière a sensiblement chuté de 1997 à 2009. En finalité, les milliards de dollars des différents plans de développement ont surtout profité aux équipements et produits étrangers importés. En 1997, l'Algérie a importé des marchandises pour un montant de 8,13 milliards de dollars. Douze ans plus tard, en 2009, ces importations ont été presque multipliées par cinq pour atteindre les 37,40 milliards de dollars. Si ce niveau très élevé de la croissance de la facture des importations des biens et des services a été largement couvert par un prix moyen du baril de pétrole soutenu sur le marché international ces dernières années, il reste que les performances de l'économie nationale ont largement faibli ces dix dernières années. Les centaines de milliards de dinars dépensés par l'Etat pour assainir les entreprises publiques, effacer les dettes des agriculteurs, soutenir les prix de certains produits agricoles, soutenir aussi les prix des produits énergétiques et de l'eau, alléger la pression fiscale, etc. n'ont pas donné les résultats attendus. L'économie algérienne n'est pas devenue plus performantes en 2011 comparativement avec celle de 1997. Les exportations hors hydrocarbures arrivent difficilement à dépasser la barre psychologique des deux milliards de dollars actuellement. Ces derniers temps, de larges consultations politiques et sociales ont été décidées par le président de la République. Mais à première vue, on a oublié que pour sortir définitivement de la crise politique il est primordial d'avoir une visibilité et des objectifs clairement tracés sur le plan économique. Quand les recettes des exportations d'un pays sont tributaires à hauteur de 90% d'une seule richesse, les hydrocarbures, et quand les recettes du budget de ce même pays dépendent de plus de 70% de cette même richesse, il y a un sérieux problème. Le problème est que ce pays ne survit que par la grâce de la consistance de la rente pétrolière. Et pour trouver une issue à la crise politique, il est primordiale de trouver d'abord une solution à la problématique de l'utilisation de la rente pétrolière qui doit normalement servir à diversifier l'économie algérienne et surtout préparer l'avenir des générations futures. Des générations qui sont en droit de demander une meilleure éducation et une formation de qualité qui leur permettraient de relever les défis qui attendent le pays dans un très proche avenir.