Redouane Mahrach est avocat à la Cour de Paris. Spécialiste en droit du sport et directeur du cabinet RMS Avocats, il conseille les sportifs, les clubs et les fédérations sportives. Il les assiste devant les juridictions internationales (FIFA, Tribunal arbitral du sport de Lausanne, CIO…). Il a bien voulu nous accorder cet entretien à un moment où l'actualité non seulement nationale mais aussi internationale l'exige. Il a pris part aux troisièmes dernières journées du marketing sportif organisées par la société RH.International Communication, il a incontestablement contribué à rehausser l'image de ce rendez-vous et aujourd'hui, il décide de prendre une part active dans le développement de l'activité sportive en apportant son expertise sur les problématiques liées à la pratique sportive. Son équipe de juristes est toute particulièrement orientée vers le conseil et la défense des sportifs, agents, joueurs et des entraîneurs de haut niveau, des clubs, fédérations sportives, sponsors et des organisateurs d'évènements sportifs. Il défend ses clients, devant toutes les juridictions nationales (Tribunal administratif, conseils de prud'hommes), le CNOSF, les commissions de discipline des Fédérations sportives françaises et internationales et les juridictions internationales, tel que le Tribunal Arbitral du Sport. Notre première question est déjà commentée par un certain nombre de médias spécialisés, elle est liée au fait que la FIFA perd une partie de ses prérogatives sur la Coupe du monde… Maître Redouane Mahrach : Pour revenir à votre question, en février 2011, le Tribunal de l'Union européenne a débouté la FIFA et l'UEFA de leur recours contre la Belgique, la Grande-Bretagne et l'Irlande suite à la mise en place d'une réglementation étatique visant à limiter les droits de ces fédérations internationales sur l'exploitation de la Coupe du monde et du championnat d'Europe des nations. Les trois nations européennes ayant décidé de mettre en œuvre la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989, ont édicté des législations restrictives privilégiant le droit à l'information sur les droits des fédérations d'exploiter les évènements dont elles ont la propriété. Que stipule cet article ? L'article 3 bis de la directive 89/552 dispose que : «Chaque Etat membre peut prendre des mesures, conformément au droit communautaire, pour assurer que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence ne retransmettent pas d'une manière exclusive des événements qu'il juge d'une importance majeure pour la société d'une façon qui prive une partie importante du public dudit Etat membre de la possibilité de suivre ces événements en direct ou en différé sur une télévision à accès libre. Dans ce contexte, l'Etat membre concerné établit une liste des événements désignés, nationaux ou non, qu'il juge d'une importance majeure pour la société. Il établit cette liste, selon une procédure claire et transparente, en temps opportun et utile. Et ensuite… Ce faisant, certains Etats de l'Union européenne avaient fait le choix de légiférer en ce domaine. Ainsi, la France, dès 2004 (décret n°2004-1392 du 22 décembre 2004) avait défini une liste d'évènements d'importance majeure dont notamment le match d'ouverture de la Coupe du monde, les demi-finales et finales de la Coupe du monde et de l'Euro ainsi que les matchs de l'équipe de France dans les phases finales de ces compétitions. La Belgique et la Grande-Bretagne sont allées au-delà puisque leur nouvelle réglementation prévoit que l'ensemble de la Coupe du monde et de l'Euro serait soumis à une diffusion par une chaîne de «télévision à accès libre». , (Suite de la page 24) La Nouvelle République : Ce qui nécessairement causait un préjudice à la FIFA et à l'UEFA… Redouane Mahrach : En effet puisqu'elles perdaient des potentiels acquéreurs dans la diffusion de ces matchs à forte audience et donc elles subissaient un manque à gagner. Maître, nous aimerions aborder avec vous un sujet qui est largement commenté par les médias internationaux notamment à la veille des grandes compétitions internationales, en l'occurrence le droit à l'information. Pour nos lecteurs pour ne pas dire les amoureux du sport, qu'est ce que le droit à l'information ? Le droit à l'information dans le domaine sportif s'entend, c'est le droit du public à l'accès à des évènements d'une importance majeure sans devoir payer cet évènement de quelque manière que ce soit (abonnement à une chaîne cryptée, VOD…). C'est le droit à l'information qui permet notamment à tout service de communication audiovisuel de diffuser gratuitement de courts extraits d'évènements sportifs dans ses programmes d'actualité. C'est ainsi que tous les buts des matchs de Ligue 1 ou de Ligue des champions sont visibles dans les journaux télévisés y compris lorsque le match a été attribué en exclusivité à un opérateur. Il faut ajouter que le droit à l'information est une application du droit de citation en matière de propriété intellectuelle. N'y a-t-il pas une atteinte au droit des fédérations sur les événements qu'elles organisent ? Merci de poser cette question. Il faut savoir que le droit à l'information heurte de front, un autre droit fondamental qu'est le droit de propriété et particulièrement le droit de chaque propriétaire de vendre ses produits au plus offrant dès lors que la commercialisation est soumise à une procédure non discriminatoire. Conscient de cette problématique sans pour autant vouloir la trancher personnellement, le législateur européen a décidé de laisser à chaque Etat, le soin de décider dans un premier temps, ce qui devait relever de l'intérêt général et donc primer sur les intérêts particuliers des exploitants et diffuseurs. Matchs de qualification de l'Etat concerné, matchs de poules, phases finales… Chaque Etat membre a eu la possibilité de déterminer l'information qui, selon lui, relevait de l'intérêt général. Maître, permettez-nous de revenir sur la directive 97/36/CE du 30 juin 1997… Justement, il faut savoir qu'avec une certaine limite cependant contenue dans la notion «d'importance majeure». La directive 97/36/CE du 30 juin 1997 en précise la portée en énonçant «que des événements d'importance majeure pour la société devraient, aux fins de la présente directive, satisfaire à certains critères, c'est-à-dire qu'il doit s'agir d'événements extraordinaires qui présentent un intérêt pour le grand public dans l'Union européenne ou dans un Etat membre déterminé ou dans une partie importante d'un Etat membre déterminé, et être organisés à l'avance par un organisateur d'événements qui a légalement le droit de vendre les droits relatifs à cet événement. Cette définition ne fournit cependant pas suffisamment de précision. Le texte français quant à lui, il ne définit pas directement cette notion mais indique que ces évènements doivent être accessibles au plus grand nombre. Or, cette notion est capitale puisque si un Etat donné ouvre l'accès à chaque manifestation sportive sans restriction, le juge européen pourra prononcer à son encontre des sanctions s'il estime que son comportement constitue une atteinte non justifiée, non nécessaire et non proportionnée. A cet égard, on notera l'attention particulière avec laquelle la législation belge a tenté de faire avancer le débat en considérant d'importance majeure l'événement qui remplit deux critères parmi les quatre suivants : - il trouve un écho particulier dans l'Etat membre concerné et n'a pas simplement de l'importance pour ceux qui suivent habituellement le sport ou l'activité en question ; - il a une importance culturelle spécifique, globalement reconnue par la population de l'Etat membre concerné, et constitue notamment un catalyseur de son identité culturelle ; - l'équipe nationale participe à l'événement en question dans le cadre d'une compétition ou d'un tournoi d'importance internationale ; - l'événement a toujours été retransmis sur des chaînes de télévision gratuites et attiré de nombreux téléspectateurs. Cette définition a le mérite de la clarté… Elle ne satisfait pas le juriste tant il est loisible de constater qu'elle laisse une large part à la subjectivité par l'usage de termes tels «importance», «important», «nombreux» de sorte qu'un évènement sportif peut aisément remplir deux critères. Le Tribunal de l'Union européenne a fait preuve d'encore plus de clarté en considérant que les jeux Olympiques, la Coupe du monde et l'Euro de football n'ont pas à remplir les critères pour être inscrits sur la liste (et d'autant plus qu'ils figurent expressément dans le texte de la directive). Pour ne pas perdre le fil des idées, une compétition entière peut-elle être considérée comme d'une importance majeure ? Vous savez, c'est une question qui revient souvent sur le terrain de la communication. A ce titre, je vous dirai que la FIFA et l'UEFA ont fondé leur recours principalement sur le fait que la notion d'évènement d'importance majeure n'était pas uniforme et ne pouvait englober une compétition entière composée de plusieurs dizaines de matchs. Selon eux, seuls les matchs «prime» à savoir la finale, les demi-finales et les matchs de l'équipe nationale remplissent deux critères et peuvent donc être considérés comme soumis au droit à l'information. S'agissant de l'importance des matchs «non prime» pour la société belge, la FIFA fait valoir, premièrement, que «ces matchs ne trouvent pas d'écho particulier sauf parmi les amateurs de football et deuxièmement que ces matchs n'ont traditionnellement pas été retransmis par des chaînes de télévision gratuites ni n'auraient attiré de nombreux téléspectateurs». Et la FIFA dans tout ça ? A l'appui de sa démonstration, la FIFA a fait état d'étude d'opinion et de rapport d'audience des précédentes coupes du monde afin de démontrer l'absence d'engouement du public pour des matchs «non prime». Elle a encore fait valoir que certains matchs «non prime» n'avaient même pas été diffusés tant leur taux d'écoute était faible. Le tribunal de l'Union européenne … Le tribunal auquel vous faites référence a rejeté cette argumentation aux motifs que les événements «non prime» ne pouvaient être perçus comme une catégorie unique. Que certains matchs ont même attiré un nombre important de téléspectateurs. Il indique en outre que l'importance des matchs «non prime» résulte par ailleurs également du simple fait qu'ils font partie de cette compétition, tout comme d'autres sports pour lesquels l'intérêt, normalement limité, est rehaussé lorsqu'ils se déroulent dans le cadre des jeux Olympiques. On ne peut que rester dubitatif face à une telle prise de position du tribunal dans la mesure où tout un chacun aura constaté qu'un nombre important de matchs de la Coupe du monde n'a qu'un taux d'audience très faible. Bien entendu, et c'est là que le bât de la FIFA blesse, certains matchs «non-prime» ont eu un écho retentissant soit pour des raisons sportives – lorsque deux équipes majeures se rencontrent – soit pour des raisons géopolitiques – pays rivaux sur le plan diplomatique. Et la protection des intérêts du propriétaire ? Partant du principe selon lequel «les restrictions à l'exercice des libertés fondamentales par le biais des mesures nationales justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général doivent encore être propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif», nous pensons que la protection des intérêts du propriétaire aurait dû guider davantage le tribunal vers une solution moins catégorique. Oui mais ne pensez-vous pas que cette décision risque de porter atteinte à la liberté d'installation et de prestations de services au sein de l'UE ? Vous savez, une seconde problématique découlait de ce que dans l'absolu, rien n'empêchait un diffuseur de venir s'installer par exemple en Belgique (où tous les matchs de la Coupe du monde sont considérés comme d'importance majeure) pour les rediffuser dans d'autres pays. Une telle législation pouvait être à l'origine d'une distorsion de la concurrence entre radiodiffuseurs établis en Belgique et ceux installés dans un pays de l'UE, comme l'a justement relevé la FIFA. Le tribunal de l'Union européenne a reconnu l'existence de ce risque en relevant qu'il est peu probable qu'aucun radiodiffuseur n'aura le désir de s'installer en Belgique afin d'acquérir les droits de diffusion sur le territoire. Cependant, le tribunal rejette l'argument au motif que ces restrictions à la liberté de prestation de services et à la liberté d'établissement peuvent être justifiées dès lors qu'elles visent à protéger le droit à l'information. Maître, nous aimerions comprendre un peu plus sur cette décision. Ne risquerait- elle pas de porter un coup sérieux aux droits des fédérations internationales sur les évènements dont elles détiennent la propriété ? D'autre part, quel enseignement, selon vous, peut-on tirer de ces décisions sur les prochaines éditions de la Coupe du monde et de l'Euro. Oui, cette décision porte un coup sérieux aux droits des fédérations internationales sur les évènements dont elles détiennent la propriété. Elle devrait notamment avoir pour conséquence d'obliger les propriétaires de la Coupe du monde et de l'Euro à revoir leur stratégie de commercialisation des droits audiovisuels au sein de l'Union européenne dans la mesure où les agences marketing, confrontées à l'obligation pratique de limiter leurs offres aux seuls diffuseurs en accès libre, auront certainement moins d'engouement à se porter acquéreurs exclusifs. En outre, le développement de la télévision par satellite ayant éliminé la notion de frontière, le coup devrait être encore plus sévère. En effet, dès lors que les programmes de la télévision belge ou anglaise seront accessibles dans le monde entier à quiconque possède un décodeur et une antenne satellite, chacun pourra regarder l'ensemble des matchs de ces évènements sans devoir s'abonner à une chaîne cryptée. C'est donc bien de la pérennité financière de ces organisations sportives internationales dont il s'agit puisque la commercialisation des droits audiovisuels représente près du tiers de leurs ressources… En effet, la FIFA et l'UEFA bénéficient encore d'un sursis pour faire valoir leurs droits dans la mesure où les règlementations belge et anglaise n'ont pas vocation à s'appliquer à la Coupe du monde 2014, les droits d'exploitation de celle-ci ayant d'ores et déjà été cédés. Bien que peu probable, le risque demeure que la FIFA, ou son agence marketing, refuse de commercialiser ses droits dans les Etats diffusant gratuitement ses évènements. Une autre conséquence indirecte risque de voir le jour concernant l'inscription d'autres évènements ignorés jusqu'à présent. Ainsi, les fédérations nationales et leurs ligues professionnelles de football ne risquent-elles pas de se voir privées de la liberté de commercialisation de leurs championnats nationaux de football ? Une dernière question, quelles seraient les conséquences d'une législation d'un Etat africain sur la Coupe d'Afrique des nations (CAN) ? Il apparaît que les coûts des droits de retransmission sont parfois prohibitifs pour certains pays africains qui rencontrent des difficultés économiques, des crises, ou encore des catastrophes naturelles. Ce fût le cas du Burkina Faso concernant la CAN-Angola de 2010, alors que le pays se relevait difficilement des inondations. La société LC2 Afnex, détentrice des droits de retransmission, demandait 877 millions de francs CFA à la télévision nationale burkinabé, une dépense impossible à assumer au vu des préoccupations de la population. La chaîne publique avait donc décidé de se passer de la CAN. Le fait de qualifier la CAN «d'évènement d'importance majeure» et d'instaurer une législation inspirée de la directive communautaire permettrait peut-être aux Etats africains de suivre les grands évènements footballistiques de leur continent sans bourse délier. Resterait alors à définir un nouveau modèle économique… Mais cela est une autre histoire.