L'aventure vaut la peine d'être tentée tant le bonheur est total, dans l'obscurité et le silence d'une longue nuit d'hiver propice à la récréation sinon à la méditation pleine et entière. La nuit, c'est aussi le temps de la discrétion, des agressions ou des coups bas. En dépit des risques que cela entraîne, nous avons décidé d'être téméraires en parcourant de nuit les 700 km d'autoroute conçue non pas seulement pour faciliter le voyage, mais pour se ressourcer pleinement et vivre en parfaite harmonie avec le monde. Et pour se consoler, on n'arrête pas de se dire : autant le jour apparaît comme plus dur que l'enfer et augure d'un avenir obscurément incertain, autant l'obscurité de la nuit est rassurante et pleine d'espoir. Des villes illuminées dans un espace uniformément noir C'est là le paradoxe de la nuit glaciale du solstice d'hiver qui fait côtoyer l'obscurité et l'éclairage. Depuis nos plus lointaines origines, l'homme a toujours songé à un éclairage de nuit, par divers moyens : lampes à huile d'abord, puis lampes à pétrole ou à carbure. Il existait des cités urbaines que l'on voyait tout de même en nocturne, même de loin, malgré le très faible éclairage. Mais la lampe dont la première à avoir été façonnée en terre cuite, appelée cierge, fait penser dans l'obscurité d'une nuit d'hiver, à un symbolisme ternaire : cire, méche-flamme ou corps physique-lumière-chaleur. L'homme a toujours eu un esprit ingénieux ; avant d'avoir utilisé l'huile, il a dû avoir recours à la cire des ruches d'abeilles, qui ont peut-être existé avant lui, pour avoir par combustion de la lumière. Mais revenons à notre voyage dans l'espace, au cours du dernier solstice d'hiver, pour dire qu'il a été merveilleux malgré la pluie et le brouillard, variables et intermittents selon les régions, et qui en définitive ne nous ont pas gâché la sortie et la contemplation nocturne du paysage. Et ce qui suscite l'admiration en poursuivant la randonnée d'ouest en est, ce sont bien les villes illuminées. Vous laissez d'abord derrière vous Tlemcen, une grande ville historique vue de loin dans toute sa configuration grâce aux lampes électriques en lignes, groupées dans des formes qui laissent deviner les lieux, particulièrement les plus enrichissants comme le mont du mausolée de la Lalla Setti. Avant de nous engager sur la superbe autoroute Est-Ouest, nous avions fait un petit crochet par les ruines de Mansourah et la grotte des Ath Add. La nuit était tombée tout à fait. Et que de villes ont défilé ! Des villes immenses si on devait compter les larges voies qui y mènent, ainsi que leurs périphéries, et signalées par un éclairage flamboyant fait de centaines de milliers ou de millions de lampes réunies ça et là comme des galaxies. C'est de cette façon que nous avons aperçu les alentours d'Oran. Plus loin, c'est Sidi Bel-Abbès qui apparaît dans toute sa splendeur comme un ciel rapproché et aux innombrables étoiles scintillantes. Au fur et à mesure qu'on roule prudemment pour ne pas tomber dans un piège Aïn El-Berd saute aux yeux. On aurait aimé la visiter, même de nuit tant elle nous a paru belle. Hélas ! Ce n'était pas le moment de faire des crochets, vu les circonstances. Le temps du voyage a été si court que nous n'avons pas eu la chance de la traverser comme on l'avait fait pour Mohammadia, Tlilet. Ce qui nous a été donné de voir, c'est une assez grande ville qui, vue de l'autoroute sous un éclairage vif, apparaît sous la forme d'un paquebot en mer et sous sa forme lumineuse véritable, avec ses mats, ses voiles, ses cordages. Le dessin gigantesque fait de millions de lampes est d'une perfection frappante vu de l'autoroute, vers 23h au mois de décembre de cette année. On n'a pas eu la vigilance de voir le panneau de signalisation de la ville atypique la nuit. Dommage ! Et que de villes de part et d'autres de la chaussée, on roulait vite pour ne pas trop nous attarder sur la route, nous contentant de voir, uniquement vers la fin, les panneaux indiquant le nombre de kilomètres restant à parcourir. On avait peur d'avoir une panne, notre voiture étant incertaine. Climat et route imprévisibles C'est le revers du décor, l'expérience de la route, ces deux dernières décennies, a apporté la preuve que si la maladresse de s'arrêter, même en plein jour, par une journée printanière, pour contempler à partir de l'autoroute des sites touristiques et il y en a beaucoup qu'on ne trouverait pas dans n'importe quel autre pays, on risque gros : de se faire dévaliser, de perdre sa vie ou sa voiture. Des bandes omniprésentes attendent patiemment que quelqu'un s'arrête pour un besoin naturel ou à cause d'une panne mécanique ou pour acheter des victuailles. Sans état d'âme, ils délestent l'automobiliste même accompagné de sa famille de tous ses objets de valeurs, de son argent, car il n'y a pas de voyageur qui n'aient pas de sommes substantielles de ses vêtements ou de son véhicule. Dommage que les voyageurs soient criblés à ce point et ce, à l'image des animaux prédateurs à l'affût de leurs proies. Dans ce cas, comment s'installer dans un coin près de l'autoroute pour un repas champêtre, des photos souvenirs, un repos en pleine nature luxuriante. Ainsi, si le jour, l'autoroute est un espace de tous les agresseurs potentiels, elle l'est beaucoup plus la nuit pour les voyageurs vulnérables et totalement désarmés. C'est pourquoi, il est devenu impossible de se rendre en nocturne dans une ville dont l'éclairage électrique donne une forme bizarre.