L'hypothèse d'un «scénario catastrophe» pour Israël propulsé par la dynamique du «printemps arabe». Une nouvelle flottille internationale a appareillé à la mi-juin vers Gaza en vue de forcer le blocus de l'enclave palestinienne dans un contexte psychologique et diplomatique radicalement différent propulsé par la dynamique du «printemps arabe». Les caractéristiques de la deuxième expédition navale de Ghaza Dans l'ordre symbolique, la mise en route de la flottille, alors que le Hamas et le Fatah se sont réconciliés et que le passage de Rafah est entrouvert, vise à signifier, dans la perspective de l'offensive diplomatique palestinienne pour une reconnaissance internationale de son droit à l'indépendance, la permanence d'une revendication en ce qu'un droit n'existe que tant que subsiste un revendicateur et que, inversement, tant qu'existe un revendicateur un droit ne se perd pas. I) Le navire amiral La Turquie, qui s'apprête à devenir un point d'ancrage de la diplomatie régionale, a paru se doter d'une posture médiane, en décommandant pour des raisons techniques la participation du navire amiral de ce convoi humanitaire. Neuf ressortissants turcs avaient été tués, le 31 mai 2010, par un commando israélien lors d'un assaut naval en haute mer. Le forfait du Mavi Marmara devrait alléger en partie le grave contentieux qui oppose Israël à la Turquie depuis plus d'un an. L'assaut israélien avait soulevé une vague de réprobation internationale. Les organisateurs ont avancé des raisons techniques pour expliquer cette absence dans la prochaine expédition d'aide humanitaire propalestinienne. Dix navires de plusieurs pays doivent participer à la nouvelle expédition qui devrait atteindre Gaza à la fin de juin. II) Le bateau français Pour la première fois, un bateau français participe à cette opération. Le bateau français a été financé par des dons privés. La campagne a été organisée par le collectif soutenu par une soixantaine d'associations, mouvements, syndicats et partis politiques. L'élan de solidarité avec Gaza de dizaines de milliers de donateurs a permis de collecter près de 600.000 euros dont 90 % en chèques de moins de 30 euros. Il emporte 43 passagers, parmi lesquels des élus et hommes politiques français, dont Olivier Besancenot (NPA) et le député communiste du Havre Jean Paul Lecoq, ainsi que des personnalités du monde du sport, dont le marin breton Jo Le Guen, avec pour mot d'ordre : « C'est Ghaza le scandale, ce n'est pas la flottille ». En mai 2010, des Français avaient participé à la première flottille destinée à forcer le blocus imposé à la bande de Ghaza depuis 2006, mais sans affréter un bateau. Deux cargos d'aide humanitaire feront également route vers Ghaza au sein de la flottille internationale, avec notamment 250 tonnes d'aide, essentiellement médicale, apportées par les militants français, notamment deux ambulances, du matériel préfabriqués et des jouets. III) Le blocus de Ghaza en chiffres L'enclave palestinienne est soumise au blocus depuis quatre ans, entraînant l'enfermement d'un million et demi de personnes asphyxiées, à la merci des raids de l'armée israélienne. 80 % de la population de Ghaza dépend de l'aide internationale, 61 % de la population est en état d'insécurité alimentaire, le taux de chômage atteint 39 %, l'un des plus élevés du monde, les pannes d'électricité durent généralement 4 à 6 heures par jour, 60 % de la population ne reçoit de l'eau courante qu'une fois tous les 3 jours pendant 6 heures, 50 à 80 millions de litres d'eaux usées non traitées ou partiellement traitées sont rejetés dans la mer tous les jours , environ 90 % de l'eau destinée aux résidents de Ghaza n'est pas potable et75 % des logements, sérieusement endommagés en raison de l'opération israélienne Plomb durci, n'ont pas été reconstruits. IV) Sur le plan politique Réédition de la séquence irakienne, les principaux artisans de la guerre de destruction de Ghaza et du blocus de l'enclave ont été évincés de la scène politique : le Premier ministre centriste israélien Ehud Olmert, son ministre des Affaires étrangères Tzivi Lipni, le président égyptien Hosni Moubarak et son ministre des Affaires Ahmad Aboul Geith, ainsi que le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner. De tous les protagonistes de cette opération, seul subsiste le président français Nicolas Sarkozy. V) Gilad Shalit : le prétexte Gilad Shalit, ce soldat israélien qui s'est souvenu de sa nationalité française au moment de sa capture, est toujours détenu par le Hamas, malgré l'opération militaire israélienne contre l'enclave et son parrainage par Claude Goasguen, député UMP et maire du XVIe arrondissement de Paris, l'un des plus pro-israéliens de l'échiquier parlementaire, partisan, paradoxalement, de la limitation de la bi-nationalité. La famille de Gilad Shalit a annoncé en juin 2011 son intention de poursuivre en justice les ravisseurs du soldat franco-israélien, mais le père de Gilad Shalit a exprimé sa position en langue anglaise et non en langue française, une langue que tout candidat à la nationalité française, a fortiori tout détenteur de la nationalité française, est supposé en maîtriser les rudiments ne serait-ce qu'au moment de la requête en nationalité. Depuis 1967, soit en 44 ans, Israël a consacré plus de 17 milliards de dollars à la construction de colonies. Les accords d'Oslo de 1993 prévoyaient l'édification d'un Etat palestinien dans un délai de cinq ans. Mais en dépit de cet accord, le premier accord direct israélo-palestinien, le nombre des colons israéliens a triplé, passant de 200.000 à près de 600.000. La «feuille de route» adoptée par le Quartet en 2003 appelait, elle aussi, au gel de la colonisation israélienne et au démantèlement des colonies de peuplement, mais Israël a refusé de s'y plier. Le peuple palestinien compte près de dix millions d'individus dans le monde. VI) Les «marches du retour», scénario catastrophe pour Israël Le «printemps arabe» a impulsé une nouvelle dynamique conduisant le gouvernement israélien à faire face à une nouvelle forme de protestation, versant palestinien du printemps arabe (2). Pour déporter l'attention, Israël a proposé d'organiser un convoi humanitaire en direction des côtes syriennes en vue de venir en aide aux réfugiés syriens de Turquie, fuyant la répression des autorités de Damas. Sur le modèle des flottilles de l'an dernier, des Palestiniens non armés forcent désormais les frontières terrestres. Deux tentatives d'infiltration de réfugiés palestiniens le 15 mai puis le 5 juin sur le plateau du Golan ont fait plusieurs dizaines de morts à la frontière entre Israël et la Syrie. Portées par le vent des révoltes arabes, ces marches palestiniennes inédites risquent de rebattre profondément les cartes de la défense israélienne. Depuis le 15 mai 2011, l'Etat hébreu voit sa frontière nord être le théâtre de «marches du retour» de la part de réfugiés palestiniens installés en Syrie. Ces deux épisodes, l'un sur mer et l'autre sur terre, présentent de nombreuses similitudes : des manifestants non armés qui choisissent la pression du mouvement et du nombre pour forcer un blocus ou une frontière, une armée en position délicate et un lourd bilan humain (une dizaine, voire une vingtaine de morts dans le Golan depuis le 15 mai). VII) Vers un effet de contagion sur le Golan et la Cisjordanie ? Les tentatives d'infiltration de réfugiés palestiniens ont remis sur le devant de la scène la situation géopolitique du Golan. Territoire syrien, le Golan a été conquis en 1967 par Israël durant la troisième guerre israélo-arabe, avant d'être annexé en 1981. L'annexion n'a jamais été reconnue par la communauté internationale. Le Golan concentre surtout les appétits stratégiques de la part de deux Etats, techniquement toujours en guerre. Pour Israël, il s'agit de conserver des hauteurs vitales pour surveiller Damas, situé à 60 km en contrebas, et protéger les sources de son principal réservoir hydraulique, le lac de Tibériade. La Syrie souhaite récupérer son territoire, un point d'ancrage vers la Galilée. Bref, un conflit territorial entre deux Etats en marge de la question palestinienne. Les Israéliens redouteraient un scénario identique en Cisjordanie en septembre prochain, en appui à la démarche palestinienne visant à la reconnaissance d'un Etat palestinien devant l'ONU. Malgré des affrontements au point de passage de Kalandya, entre Jérusalem et Ramallah le 5 juin, la Cisjordanie se distingue jusqu'à présent par sa stabilité malgré l'accord Fatah-Hamas qui aurait pu faire craindre pour Israël d'autres scénarios. Mahmoud Abbas semble, en effet, faire de la stabilité de la Cisjordanie l'un de ses va-tout pour ses démarches devant les Nations Unies. Mais qu'en serait-il si la donne venait à changer si les Palestiniens rentrent bredouilles de New York. VIII) Rappel historique Entre 1947 et 1948, quelque 800.000 Palestiniens, soit 85 % de la population palestinienne, furent expulsés d'environ 500 villes et villages par les forces qui allaient devenir l'armée israélienne puis par Israël. Aujourd'hui, l'essor démographique fait que ce sont plus de 4,8 millions de réfugiés palestiniens qui vivent en Jordanie, au Liban, en Syrie et dans les territoires palestiniens occupé. Il s'agit de la population de réfugiés la plus importante au monde. Israël a adopté dès 1950 une «loi des absents» permettant à l'Etat israélien de récupérer les biens des Palestiniens empêchés d'habiter leurs propriétés.