Ce qui se passe en Libye devait se passer. Fatalité ? Sans aucun doute si l'on ne perd pas son temps à vouloir situer les évènements dans cette histoire du contemporain immédiat hors des desiderata énergétiques indispensables à l'équilibre socio-économique d'une grande partie du monde surindustrialisé, dont, en l'occurrence, cette vieille grande Europe. Si l'«émancipation» de l'empire soviétique en des républiques indépendantes avec une Russie qui rentre, tant bien que mal, dans la mondialisation dotée d'une réserve d'hydrocarbures qui fait mourir d'envie les grandes puissances classiques qui constituaient hier encore le G5, il n'en est pas de la sécurité de celui-ci avec l'émergence des nouvelles figures géantes économiques arrivant sur les terminaux pétro-gaziers, en premier lieu l'Inde et ses voisins du Sud-Est, mais surtout la Chine, ce vaste pays de la taille des Etats-Unis et comptant le sixième de la population mondiale. Une étude, à l'entame du nouveau millénaire, menée par des spécialistes américains à la demande de la Maison-Blanche sur les risques réels que peut faire encourir aux essors respectifs occidentaux l'émergence de ces pays, avait averti d'un grave déficit d'offre pour les toutes prochaines années à venir. Les Bush faisant partie du puissant lobby pétrolier arrivèrent au pouvoir pour prendre sérieusement les choses en main, d'abord le papa pour orchestrer et jouer le sketch de l'annexion du Koweït par Saddam Hussein, la première guerre du Golfe et tutti quanti, ensuite le fiston, qui, se surprenant pour Moïse en train de causer avec le bon Dieu dans le Buisson ardent – bush en anglais veut dire buisson ! –, à son tour invente un pouvoir d'apocalypse dans la résurrection de Nabuchodonosor pour faire main basse sur les puits de pétrole de Babylone. On se rappelle le dernier sursaut gaulliste de Jacques Chirac qui se dressait contre la participation française dans la coalition belligérante contre l'Irak en janvier 1991 et on est en train d'observer ce que ça lui coûte aujourd'hui encore d'avoir poussé d'un revers de la main – mal conseillé ?– l'intérêt pétrolier de la puissance américaine. Jusqu'au dressage de la tente du colonel libyen à Paris, il était difficile de savoir si le bon stratège Sarkozy s'était déjà mis d'accord avec ses pairs de la Tamise, et plus discrètement avec ceux de la Havel, pour l'urgence de la prise en charge des plus grandes réserves d'Afrique estimées à plus de quarante milliards de barils, indispensables pour la pérennité d'une Europe unie et plus forte. Dans l'esprit du général de Gaulle, faire l'Europe c'est faire une grande puissance pour contrer les Etats-Unis dans leur souci d'hégémonie planétaire, dans celui de sa relève en cette première décennie du vingt et unième siècle, reformuler le Vieux Continent sur le nouveau modèle yankee : aller à la source manu militari, prendre là où il faut sa part de gâteau, ici, dans un pays dont le désert, de la dimension de la moitié de l'Europe géographique, doit cesser de demeurer entre les mains d'un schizophrène aux réactions imprévisibles impossibles à mesurer sur le terrain des frontières avec le reste du Sahara, fort assiégé par les groupuscules de l'AQMI en gros titre dans la liste noire de Washington répertoriant les grands périls universels. Il est notoire de nos jours de voir naître comme dans les films hollywoodiens de choc, sans crier gare, comme ça, du jour au lendemain, des «révolutions» qui prennent d'assaut les médias d'information pour traiter paradoxalement beaucoup plus les images que les informations. Combien de dizaines de milliards aurait donc chapardé Hosni Moubarak ? De quelle taille serait donc le trésor d'Ali Baba de Mme Ben Ali ? Combien de superproductions auraient donc financées les héritiers de Kadhafi ? Depuis la débâcle médiatique de Timisoara en Roumanie autour de la chute du dictateur des Carpates, d'aucuns ont compris qu'il ne faut pas trop croire les télévisions et les journaux à grand tirage. Ils voient mal comment une grande chaîne européenne, sans transition, filme, presque en direct, le suicide d'un personnage de téléréalité pendant qu'elle envoie un correspondant de guerre qui interviewe un jeune «révolutionnaire» libyen tirant en l'air mais ayant la mine de quelqu'un qui vient de sortir d'une discothèque. Il y a aussi, qui force à bien rigoler malgré le ridicule de la plaisanterie, cette image dans des sous-sols où des mal léchés fouinent entre des couloirs en criant : «Allez, sors Kadhafi, on ne va pas te faire de mal !» Karl Marx aurait le droit de bien se marrer dans sa tombe, lui qui a écrit que «les grands évènements de l'histoire se répètent au moins deux fois, la première sous forme de tragédie, la seconde en farce». Mais attention : pour ne pas tomber dans le piège de la caricature ludique, il faut seulement remarquer que les Libyens, bien avant de décider d'un gouvernement battant pavillon démocratique, il serait dans leur devoir et leur possible de trancher immédiatement la question du contrôle populaire de leur manne pétrolière qui les nourrit et leur donne sur la scène du monde leur autonomie et leur force à la manière de l'Algérie, dont l'essentiel du produit intérieur brut vient de l'exploitation et de l'exportation des produits hydrocarbures, ce qui fait dire à ce vieux militant du Front des forces Socialistes, ce parti d'opposition algérien : «S'il m'appartient de décider des affaires dans mon pays, je commencerai par initier de grands débats pour, au final, élire ceux qui dirigeront Sonatrach avant de faire conduire un président et des parlementaires !» Les paroles de ce militant politique veulent dire, en vérité, qu'il suffirait dans ces deux grands pays du Maghreb d'une catastrophe financière biscornue du type des supprimes, qui a conduit à la faillite de Lehman Brothers en 2008, dans la comparaison ruinant le cours du baril, que ne tournera pas l'année sans que ces Etats n'entrent carrément pas dans le chômage en s'ouvrant les portes du vrai chaos, la guerre pour la croûte de pain et le broc d'eau, à une demi-heure de vol de l'Europe dont les forces spéciales en présence ne sont pas à Tripoli, Benghazi ou Syrte parce que les Libyens ont subitement les yeux bleus et les cheveux lisses et blonds. Les Français, qui perdent des braves soldats dans les montagnes de l'Afghanistan en donnant main forte aux marines qui en décousent avec des poches de la résistance islamiste, ne s'assignent pas ce rôle de collaborateurs moins dans la Tripolitaine que dans le Fezzan et la Cyrénaïque à la géologie fort appétissante. Enfin, une réalité est plausible : le monde hyperindustrialisé ne résiste pas à la panique de manquer grièvement de ressources pour son besoin de croissance menacées par le fulgurant développement économique sino-indien de plus en plus énergétivore. Les exploitations dans le schiste ont montré leurs limites, autant par le coût de l'extraction que par les rejets très polluants, ainsi que dans les tentatives fort lentes et laborieuses en photovoltaïque, pendant que le péril nucléaire vient d'être catastrophiquement démontré dernièrement au Japon, mais aussi avec moins de battage médiatique dans certaines contrées européenne, récemment même en France. C'est dire, au demeurant, qu'il faut vouloir rester aveugle sur les chorégraphies, ici et là, dans la planète autour des gisements de pays incapables ni de se défendre ni d'éduquer leur jeunesse par le travail et la recherche de l'autonomie dans le savoir-faire. Ce qui permet de penser, pour ce qui est du devenir du Maghreb, que ce sont ceux qui ne possèdent pas d'importants gisements de pétrole qui ont le plus de chance de régler leurs problèmes internes entre eux. Il faut déjà observer que la Tunisie et le Maroc se permettent de rivaliser avec les meilleurs producteurs agraires du monde et avec les plus coriaces prestataires de services touristiques et hôteliers. Peut-être les plus armés encore à savoir résister aux velléités radicalistes.