L'historien français Benjamin Stora vient d'affirmer au sujet du 17 Octobre 1961 qu'«il n'y a pas eu de préméditation, de planification de ce massacre. Ce fut un terrible engrenage de vengeance, de représailles et de violence de la part des policiers». Pourtant cette assertion est démentie par de nombreuses preuves dévoilées à l'occasion même de la commémoration du cinquantième anniversaire de ce massacre. De nouveaux documents d'archives sont versés à ce dossier déjà très lourd. Des preuves formelles qui participent à la manifestation de la vérité. En effet, la résurgence de certains documents d'archives de la préfecture de police montre clairement que les autorités françaises étaient parfaitement informées du caractère pacifique de la manifestation à laquelle avait appelé le FLN. Lorsque l'on consulte les notes et les documents l'on s'aperçoit que la violence policière a bel et bien été planifiée. Ainsi, dans la journée du 17, le Service d'action technique (SAT) de la préfecture, sorte d'agence de renseignements spécialisée sur les milieux indépendantistes algériens, avait informé le cabinet du préfet Maurice Papon en des termes tout à fait clairs sur la nature de la manifestation (voir document ci-dessous). Selon ce service, pour le FLN «Il s'agit d'être tous dehors et de se faire voir, notamment après l'heure du couvre-feu, afin de protester pacifiquement contre les récentes mesures préfectorales. Certains responsables ont réclamé à leurs éléments d'emmener avec eux leurs femmes et leurs enfants.» Les archives de la Préfecture de police de Paris accusent directement l'Etat français de violences injustifiées. La Commission de vérification des mesures de sécurité publique dépêcha l'un de ses conseillers au Centre de Vincennes, le 26 octobre. Il rend un rapport accablant, dont on sait aujourd'hui qu'il est remonté jusqu'au Premier ministre. Dans ce document de quatre pages (voir ci-dessous), l'auteur écrit : «Je ne crois pas devoir cacher que l'impression que j'ai ressentie spécialement dans les locaux de triage m'a été fort pénible. Des centaines d'êtres humains sont parqués derrière des barrières, couchés ou assis sur la paille, sales (…) la nourriture paraît nettement insuffisante ; les services d'hygiène [sont] réduits au minimum. (…) Mon attention a été attirée par plusieurs Algériens portant des pansements à la tête. Interrogés, ils m'ont déclaré avoir été frappés à coups de bâton par les gardiens de la paix.» Un télégramme secret du 19 octobre 1961 (ci-dessous), deux jours après la tragédie, transmis par les services de renseignement de la Préfecture, s'inquiète ainsi d'un manifeste de l'écrivain Claude Lanzmann – alors âgé de 36 ans. Et de citer le texte que Lanzmann fait circuler alors auprès de ses amis : (…) Un déchaînement de violences policières a répondu à leur démonstration pacifique et de nouveaux Algériens sont morts parce qu'ils voulaient vivre en hommes libres. En restant passifs, les Français se feraient les complices des fureurs racistes dont Paris a été le théâtre et qui nous ramènent aux jours les plus noirs de l'occupation nazie. Entre les Algériens entassés au Palais des sports en attendant d'être refoulés et les juifs parqués à Drancy avant la déportation, nous nous refusons de faire une différence». Il est à rappeler que parmi les évènements qui ont contribué à replacer le 17 Octobre 1961 sous les feux de l'actualité il y a le fameux procès de Maurice Papon à Bordeaux pour complicité de crimes contre l'humanité. Ce procès médiatisé à souhait, comme on peut le soupçonner, a été l'occasion de revenir sur ce massacre notamment à travers le témoignage de Jean-Luc Einaudi, auteur de La bataille de Paris. Une note confidentielle de la Préfecture de police de Paris datée du 18 octobre 1961 - 6h30 du matin fait le décompte d'une nuit d'horreur. Les personnes arrêtées sont répertoriées par la police sous l'acronyme «FMA», pour Français musulmans d'Algérie. Une appellation qui rappelle singulièrement celle de «Français d'origine étrangère» prononcée par un certain Nicolas Sarkozy lors de son discours de Grenoble le 30 juillet 2010. Un lexique qui, convenons-en, n'a aujourd'hui plus rien de «rassembleur»! Cinquante ans après, la France officielle continue à nier que sa police a agi de manière immorale et disproportionnée. Avec ces preuves accablantes pour la France officielle, il est démontré désormais qu'au sein de l'appareil d'Etat français, aucun responsable n'ignorait l'illégalité et la cruauté de ces opérations. Peut-on continuer à taire au nom de la raison d'Etat l'évidence même ? Quoi qu'il en soit pour les historiens la quête de vérité continue…