Moins de trois mois après l'exécution de Mouammar Kadhafi, rien n'indique que la Libye ait amorcé un sérieux processus de normalisation de la situation. La semaine passée les habitants de Tripoli sont descendus dans les rues pour protester contre la présence des milices armées. Evidemment cette réaction des Tripolitains n'a pas été filmée par les caméras des chaînes de télévision qui ont fait de «la révoltions libyenne» une bataille médiatique à gagner. Depuis l'élimination de Kadhafi, la Libye ne semble plus intéresser les chaînes de télévision. Pourtant, le pays, meurtri par plus de six mois de guerre civile et les bombardements des forces de l'Otan, n'est pas près de voir le bout du tunnel. La semaine dernière, la capitale italienne, Rome, a abrité une conférence sur la Libye parrainée par l'Otan. Plusieurs chercheurs et spécialistes ont été invités par l'Alliance atlantique pour donner leur avis sur l'avenir de la Libye après la disparition de Khadafi. Lors de ce séminaire les participants étaient unanimes à dire que «le désarmement des groupes ar-més, objectif principal du gouvernement de transition, n'est pas pour demain». Expliquant ce constat, un observateur de la scène libyenne dira que «le refus de rendre les armes est entre autres politique, et la Libye est toujours dans le provisoire. Les vainqueurs d'hier ne sont pas sûrs d'être les vainqueurs de demain. Mieux vaut garder ses fusils et ses canons pour négocier sa place le moment venu». Certains chefs de groupes armés, qui veulent faire partie du nouveau pouvoir, ont créé des embryons de partis politiques. Un chiffre inquiétant a été donné lors de cette rencontre de Rome. Pas moins de 53 groupes armés sont présents à Tripoli. Certains sont dirigés par des anciens du régime de Kadhafi, qui ont fait défection un mois avant sa chute, et qui ont les moyens de s'acheter une milice, a averti un intervenant lors de ce séminaire de Rome. Quel poids a donc le gouverneur de Tripoli, le très controversé Abdelhakim Belhadj ? Selon les participants à cette conférence organisée par l'Otan, l'ancien chef du Groupe islamique combattant libyen ne dispose que d'une milice composée de 300 hommes. «Il ne représente qu'une force parmi d'autres, mais entraînée et financée par le Qa- tar», précise un intervenant. Cette situation, déjà complexe sur le terrain, est aggravée par l'exigence d'une enquête transparente sur l'assassinat du général Abdel Fatteh Younes. Ce dernier, ancien ministre de l'Intérieur de Kadhafi, devenu chef militaire de la rébellion, a été assassiné dans des circonstances troubles à Benghazi le 23 juillet 2011. Plus d'une centaine de représentants tribaux exigent depuis plusieurs semaines une enquête transparente sur la mort du général et l'intégration des milices sous un commandement unique. Pour ces tribus signataires, le général Younes a été assassiné parce qu'il avait travaillé pour intégrer toutes les milices dans une seule force armée. Et ce sont les milices islamistes opposées à cette intégration qui auraient éliminé le général, pensent certaines tribus. Mais les participants à la rencontre de Rome ne partagent pas la proposition du CNT qui veut intégrer les 50 000 miliciens dans la nouvelle armée libyenne. Les experts de l'Otan pensent qu'«une armée nombreuse et puissante voudra forcément jouer un rôle politique, selon le schéma habituel dans la région». La lutte pour le pouvoir ne fait que commencer en Libye. Certains présents à la rencontre de Rome sont convaincus que «l'enjeu est de savoir qui va contrôler les revenus pétroliers ainsi que les énormes avoirs libyens placés à l'étranger. Ceux qui auront le droit de signer les chèques auront le droit de façonner la force militaire». Avant de conclure, «la Libye ne fera pas l'économie de la violence». Sombres sont les perspectives qu'ont tracées les experts réunis par l'Otan à Rome pour la nouvelle Libye.