Le printemps arabe ou plutôt «l'hiver islamiste» s'est invité cette semaine à la station des Alpes suisses sous deux mètres de neige. Pour la circonstance, les vitrines des boutiques se sont mises aux formules de bienvenue en arabe et aux produits halal. Cette 42e édition du Forum économique mondial de Davos restera dans les annales puisqu'elle aura vu la consécration de l'arrivée au pouvoir de gouvernements islamistes au Maghreb. La présence du leader du mouvement Ennahdha au Forum économique mondial de Davos continue de susciter à Tunis (et au-delà) des interrogations à propos du statut du «Cheikh» Rached Ghannouchi qui n'a, pour ainsi dire, aucun titre officiel pour assister à cet événement économique mondial. Interrogé sur la participation du guide spirituel d'Ennahda, Lotfi Zitouni, conseiller politique du Chef du gouvernement a précisé que Ghannouchi, se trouve à Davos en réponse à une invitation «personnelle» qui lui a été adressée par les organisateurs du Forum, en sa qualité de «penseur islamiste et chef de l'un des grands mouvements islamistes». Désormais Ghannouchi fait partie de l'élite intellectuelle et politique mondiale. Ainsi, devant les patrons des multinationales et des représentants de fonds d'investissement, Ghannouchi s'est même montré menaçant en déclarant que s'il n'y avait pas un accompagnement «financier» des révolutions arabes, les mouvements islamistes risquaient de se radicaliser et verseraient par conséquent dans le terrorisme. Ce n'est donc plus un appel à la communauté économique et financière internationale mais bel et bien un chantage ignoble que veut exercer le Cheikh qui, faute de rassurer les investisseurs préfère les faire chanter. Ce qui n'empêchera pas «son Chef du gouvernement», Hamadi Jebali, présent également à Davos d'affirmer de son côté que la «Tunisie est un pays ouvert et non pas un pays religieux». Bref, une vraie terre d'accueil pour les investissements étrangers. Et on est bien loin là des discours usés jusqu'à la corde par les islamistes quand il s'agit de relations avec l'Occident, ce grand satan mécréant. Le Premier ministre tunisien a même expliqué que le projet de la future Constitution tunisienne, actuellement en discussion, devrait garantir l'absence de discriminations. Selon lui, le texte «va garantir le respect des libertés publiques et des droits de l'Homme, interdire la torture, garantir l'indépendance de la justice, protéger la liberté de la presse, garantir la liberté de croyance, assurer l'égalité des sexes et protéger les acquis des droits de la femme». Pourtant pas plus tard qu'hier, plusieurs partis de gauche et des associations ont appelé à «marche pour la défense des libertés» à Tunis afin de dénoncer «la multiplication des agressions», le discours fondamentaliste extrémiste» et la « passivité des autorités» alors que les incidents se multiplient depuis quelques mois, notamment dans les universités où les salafistes réclament le port du voile intégral. Ce qui vient apporter un démenti cinglant aux propos apaisants des islamistes modérés tunisiens présents à Davos. S'agissant justement de cette participation de la délégation tunisienne très «politique» à cette rencontre exclusivement financière et économique, il y a lieu de signaler la présence du ministre tunisien des Affaires étrangères, Rafik «Bouchelaka», Abdessalem, le gendre de Ghannouchi, alors que le ministre des Finances en titre et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie y ont, eux, brillé par leur absence. Autre défection très remarquée et non des moindres au Forum de Davos, sur 2 800 délégués aucun n'était algérien… Beaucoup y verront une cause à effet.