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Et si la France demandait pardon, les Algériens sont-ils en mesure de pardonner ?
Publié dans La Nouvelle République le 07 - 02 - 2012

La question des harkis, parlons-en au sens de la triple vérité culturelle, historique, humaine et morale.
La haraka watania du MNA devint la harka qui allait être formée, équipée et entraînée par les services spéciaux français qui allaient en faire le fer de lance de la guerre d'Algérie. Tout indigène qui ralliait l'armée française fut intégré dans la harka et surnommé harki. Qui, parmi les indigènes algériens, rejoignait ceux qui étaient déjà dans la haraka et qui se targuaient d'être des patriotes fidèles à leur parti, le MNA, et à leur chef Messali El Hadj ? Dès lors, tous ceux qui désertaient l'ALN et rejoignaient la haraka, devinrent des harkis. Des harkis qui ont servi dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie (1954-1962). On peut en dénombrer dix types : 1) ceux qui, crevant de faim, n'avaient d'autre recours que de rejoindre l'armée française pour y gagner de quoi vivre 2) ceux, qui n'ayant pas pu supporter la vie dure et les risques dans l'ALN, ont regretté d'y être venus et déserté pour plus de commodités 3) ceux dont la famille a subi les représailles du FLN/ALN, et qui ont rejoint l'armée française par vengeance 4) ceux qui ont commencé à travailler auprès de l'armée française qui leur a fait miroiter de belles choses pour les recruter 5) ceux qui, voyous et bandits de grands chemins, ont vu la possibilité de pratiquer leur sale besogne sous le couvert de l'armée française 6) ceux qui ont réellement été attirés par le chant des services psychologiques français qui s'occupaient du recrutement 7) ceux qui ont été appelés au service militaire français et qui, s'y étant plus, ont rempilé 8) ceux qui ne croyaient pas en l'Algérie algérienne et qui ont préféré combattre pour l'Algérie française 9) les ignorants qui se sont laissés entraîner par leurs camarades 10) les réels messalistes qui croyaient dur comme fer en leur idéologie et ne reconnaissaient d'autre chef que leur idole Messali El Hadj. Les harkis étaient des indigènes connaissant la mentalité de leurs adversaires et le terrain sur lequel ils évoluaient. Véritables renifleurs, armés et bien entraînés, ils formaient un corps d'élite spécialisé dans la chasse aux rebelles, dont ils étaient capables de parler la langue, de s'habiller comme eux, de se fondre dans la masse jusqu'à être pris pour des rebelles et, ainsi, arriver à toucher des points sensibles de l'organisation du FLN/ALN. Les harkis, c'est vrai, avaient formé un corps dangereux contre ceux qui combattaient l'armée française, c'est-à-dire les patriotes du FLN/ALN qui voulaient une Algérie libre et indépendante de la tutelle française. Le 19 mars 1962, jour de la proclamation du cessez-le-feu, selon le rapport fait à l'Organisation des Nations unies, on dénombrait en Algérie 263 000 musulmans engagés du côté français, 60 000 militaires réguliers, 153 000 supplétifs, dont 60 000 harkis, et 50 000 notables francophiles représentant, familles comprises, près de 1 000 000 de personnes sur 8 millions d'Algériens. Le ministère français des Armées a évalué à 4 500 le nombre de soldats algériens indigènes morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et à plus de 600 les disparus. Pourquoi ai-je évoqué la question des harkis avant toute autre chose ? Tout simplement pour dire que ces gens-là sont aussi, pour la plupart, des victimes de la France. Et tous harkis qu'ils étaient, sachant même que ce sont des personnes condamnées au sens de la vindicte populaire algérienne et qui sont les bras à l'origine des meurtres de mes parents, me font de la peine lorsque je vois ce qui leur est arrivé après la fin de la guerre. Oui, ils me font de la peine ces harkis et ces pieds-noirs, lorsque je vois comment ils ont été accueillis en France et la misère qu'ils ont vécue chez cette même autorité qui les a utilisés. J'ai de la peine pour eux parce que la vie m'a appris que l'intelligence, c'est comprendre tout au point de tout pardonner. Et moi j'ai pardonné. Ce n'est pas pour autant que j'ai oublié. Pour preuve, j'en parle. Et pour bien situer les choses dans leur contexte, il convient de rappeler que, durant les événements d'Algérie, il y a eu dans la guerre d'Algérie : 1) la guerre du maintien colonial que faisait l'armée française aux indépendantistes algériens qui menaient une lutte armée de libération nationale dans le cadre de l'organisation du FLN/ALN 2) dans cette guerre d'Algérie, il a été provoqué par l'armée française un fratricide, «une guerre civile entre Algériens, messalistes et djabhistes-FLNiste» 3) dans cette même guerre d'Algérie, il y a eu une guerre civile franco-française entre l'armée secrète, l'OAS, et l'armée française, qui, en tirant dans le tas, a aussi tué nombre d'Européens d'Algérie dits pieds-noirs. Ces trois guerres ont été provoquées par la politique française de l'époque. La France doit donc assumer la responsabilité de tout ce qui en découle. C'est pourquoi les méfaits de la France coloniale seront reconnus par les représentants de la France, cela viendra en son temps. Mais ce qui est intéressant de comprendre aujourd'hui, c'est que nos héros, les moudjahidine, et leurs ennemis, les harkis, sont tous en voie d'extinction. Heureusement, avant leur disparition, nous avons pu les voir se serrer la main et discuter entre eux de la guerre qui les a fait s'affronter. Alors, pour arriver au vif du problème, il nous faut nous rappeler que, partout dans le monde, les pays qui se sont combattus sont redevenus amis et même de très bons amis. A titre d'exemple, souvenons-nous, l'Allemagne a fait en France ce que la France a fait en Algérie : conquérir un pays riche par son agriculture et ses ressources, l'exploiter à son profit, imposer sa langue et sa culture, imposer un service militaire, il y a eu colonisation de l'Alsace-Lorraine, une région aussi riche que l'Algérie, avec une population supérieure à celle d'Algérie. Aux siècles précédents, l'Angleterre s'était aussi acharnée à conquérir par la force des territoires de France avec la même violence, les mêmes haines et des morts innombrables (colonisation de la côte atlantique de Bordeaux à la Bretagne). Tout servait à justifier la guerre : la vie civile, économique, la religion, la formation nationale. Sans ces guerres et avec une démographie normale, la population française serait double aujourd'hui. Or, qu'en est-il aujourd'hui ? A ce que je vois, entre la France et l'Allemagne, on a enterré la hache de guerre, dépassé les conflits, les haines, la violence, les dizaines de millions de morts, et on a fait la paix. On circule librement d'un pays à l'autre. La jeunesse en profite, le commerce aussi. Le minerai de fer lorrain sert à la métallurgie allemande et le blé et l'élevage nourrissent les allemands. Pour autant, rien n'est oublié, mais on évite de rabâcher et de répandre la haine dans le cœur et les esprits. Cinquante ans après la guerre, ces pays sont sortis des conflits qui semblaient insurmontables. (Suivra)

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