Venir à bout de Bachar Al-Assad pour affaiblir l'Iran ? Sans être la motivation première des diplomaties mobilisées sur la crise en Syrie – où les atrocités perpétrées par le régime ont atteint un degré tel que le Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Navi Pillay, vient de lancer un appel à la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) –, l'aspect régional est dans tous les esprits. Un changement de régime à Damas priverait Téhéran d'un allié de longue date au Proche-Orient, l'alliance entre la République islamique et le pouvoir de la famille Assad, qui repose sur la minorité alaouite d'obédience chiite, dure depuis plus de trente ans. Si, voici quelques mois, Téhéran paraissait s'agacer de ce partenaire en l'appelant àconduire des réformes politiques, l'aide apportée à l'appareil répressif syrien par la garde prétorienne du régime iranien, les puissants Gardiens de la révolution, ne semble s'être jamais démentie. Derrière l'effort conjugué, occidental, arabe et turc, pour mettre fin au bain de sang en Syrie, les calculs géopolitiques sont bien présents. L'affaiblissement de l'Iran par la perte de la "carte" syrienne est espéré par les Occidentaux car cela conforterait leur stratégie sur le dossier nucléaire : mettre le régime de Téhéran sous pression afin qu'il s'engage dans un règlement négocié. La Syrie est, au-delà du drame vécu par ses opposants, ciblés par l'appareil militaire et broyés dans des chambres de tortures en raison de leurs revendications politiques, l'épicentre d'un affrontement régional complexe, qui met face à face la puissance chiite iranienne et l'Arabie saoudite, "gardienne" de l'islam sunnite. Un aspect mis en exergue de manière inédite, vendredi 10 février, par le roi Abdallah d'Arabie saoudite lui-même. Habituellement discret, le souverain a fait une déclaration à la télévision nationale décrivant le blocage à l'ONU sur la Syrie comme "absolument regrettable". Sans nommer la Russie, cette «sortie» semblait destinée à souligner la coupure apparue entre les pays arabes sunnites et Moscou (qui a opposé son veto à un projet de résolution sur la Syrie, le 4 février). La Russie a en outre beaucoup oeuvré, ces dernières années à l'ONU, pour atténuer les mesures prises contre l'Iran. Une réunion de la Ligue arabe devait être consacrée, dimanche, à la Syrie, des consultations étant également prévues entre les pétromonarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Tous ces pays, apparemment appelés à faire partie d'un "groupe des amis de la Syrie" réunissant aussi les Occidentaux et la Turquie, sont depuis longtemps extrêmement nerveux face aux ambitions, régionales et technologiques, de l'Iran. Nicolas Sarkozy, dont la diplomatie se veut en pointe à la fois sur le dossier iranien et sur la question syrienne, déclarait le 8 février à Paris : "Un jour, le régime de Bachar Al-Assad tombera, parce que l'on ne peut pas massacrer impunément son peuple. Ce jour-là, d'ailleurs, l'Iran sera encore plus seul et isolé et affaibli. " L'ambition de rompre l'axe entre la Syrie et l'Iran figurait déjà au centre d'une politique absolument inverse, tentée par la France de 2007 à fin 2010 : celle d'un rapprochement avec Bachar Al-Assad. L'administration Obama s'était lancée dans une approche similaire, mais dans une moindre mesure. En Israël, les événements en Syrie et le risque d'une percée des Frères musulmans dans ce pays donnent lieu à des analyses contrastées, que reflétaient bien des propos tenus le 2 février par le ministre de la défense, Ehoud Barak, lors d'une conférence sur les questions de sécurité organisée à Herzliya. Après avoirestimé que "le règne de la famille Assad est sur le point de s'achever", le ministre a dit son inquiétude à propos de transferts d'armes vers le Hezbollah au Liban. "En même temps, a ajouté M. Barak, la chute de la famille Assad sera un coup dur pour "l'axe radical" car cela privera le Hezbollah de son relais, et l'Iran perdra sa seule emprise dans le monde arabe." La Turquie se livre à ses propres calculs. Active auprès de l'opposition syrienne, elle doit composer avec le rôle de la Ligue arabe pour ne pas heurter les sensibilités régionales en affichant trop de réflexe "néo-ottoman". Elle a aussi à l'esprit la question kurde, que Damas instrumentalise. Alors que 50 % des importations de pétrole de la Turquie proviennent d'Iran, la relation avec le grand voisin chiite s'est nettement dégradée. La Turquie reproche à l'Iran de se montrer trop hégémonique en Irak et de pousserle premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, à une politique sectaire et antisunnite, qui, à terme, risque de conduire à un éclatement de ce pays. Ankara se considère de plus en plus comme le protecteur des sunnites d'Irak et la rivalité qui l'y oppose à Téhéran ne cesse de s'amplifier.