L'objet de cette contribution que j'ai abordée il y a de cela près de 20 ans au siège de l'Unesco (1993), et récemment à Tunis et à Nouakchott, est de poser la problématique de l'intégration du Maghreb devant tenir compte du facteur fondamental culturel amazigh (l'Afrique du Nord), sujet pour lequel j'ai accordé une interview à la télévision marocaine 2M et que je développerai lors de mon intervention au 10e Forum mondial sur le développement durable à Paris en élargissant cette problématique à l'Afrique, car l'avenir économique du Maghreb est en Afrique. Cependant, pour ma part, je considère qu'il faut s'attaquer à l'essentiel et non au secondaire. Il faut voir cela dans le cadre global d'une complémentarité positive profitable aux deux pays et non faire un faux calcul purement monétaire à court terme pour chaque pays. Selon le rapport de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) publié le 26 juillet 2011 sur l'investissement dans le monde, les IDE pour ces quatre pays du Maghreb totalisent 8,941 milliards de dollars, soit 0,6% des IDE estimés à 1 500 milliards de dollars. Les échanges intermaghrébins sont orientés essentiellement vers l'Occident,notamment l'Europe, pour des raisons historiques, qui représentent aux alentours des deux tiers du total pour le Maroc (63%), l'Algérie (64%) et la Tunisie (72%). Plus précisément, selon un rapport de l'OCDE moyenne 2009/2010, l'Union européenne représente 75% des exportations de la Tunisie, 90% des rapatriements des émigrés, 83% des revenus touristiques et 73% des investissements directs étrangers. Au Maroc, 60% des exportations sont vendues sur les marchés de l'UE. De même, 80% des revenus du tourisme et 90% des rapatriements des émigrés proviennent de l'UE. Pour l'Algérie une grande partie de ses importations provient de l'Europe, 55/60% et également pour ses exportations de gaz à travers Medgaz (via l''Espagne) et Transmed via l'Italie, le projet Galsi via la Sardaigne qui devait également approvisionner la Corse, étant toujours en gestation. L'analyse détaillée de ces relations commerciales laisse apparaître certaines différences quant à l'importance relative des différents partenaires européens, mais les trois principaux restent cependant l'Espagne, la France et l'Italie. Ce panorama général assez homogène cache des réalités bien différentes, selon les pays étudiés. Par l'analyse de la composition du commerce extérieur de chaque pays, le Maroc apparaît principalement comme un exportateur de produits manufacturés, le textile/cuir, les produits de l'industrie électrique et mécanique, ainsi que des produits agricoles. Les minéraux et la chimie représentent également une part significative, bien que mineure, des exportations, notamment grâce à l'industrie des phosphates, principale richesse minière du pays. Le cas de la Tunisie est similaire à celui du Maroc, bien que la spécialisation dans la production manufacturière soit encore plus marquée. La situation est radicalement différente pour l'Algérie dont les exportations dépendent quasi exclusivement du secteur des hydrocarbures. Ainsi, selon le rapport du FMI de 2009, la non-intégration des pays du Maghreb qui couvre une superficie d'environ cinq millions de km2 leur fait perdre 2 à 3 points de leur taux de croissance, sans compter les effets indirects du non-attrait de l'investissement étranger intéressé par un marché plus large. Ainsi le Maghreb, du fait de la-non intégration, a un poids insignifiant au sein tant de la région méditerranéenne qu'au sein de l'économie mondiale. Le produit intérieur brut de l'ensemble des pays du Maghreb a été évalué en 2010 par le FMI à 380 milliards de dollars US. Ce PIB global est artificiellement gonflé par la Libye et l'Algérie du fait du poids des hydrocarbures, et par le Maroc pour les phosphates, laissant peu de place pour de véritables entreprises compétitives. Ainsi le PIB maghrébin est légèrement supérieur à celui de la Grèce (305 milliards de dollars), alors que cette dernière a une population qui ne dépasse pas 12 millions d'habitants en 2010. Comparé à la population et au PIB allemand (3 306 milliards de dollars pour 82 millions d'habitants) et français (2 555 milliards de dollars pour 65 millions d'habitants), on mesure l'important écart. De son côté, la Banque mondiale estimait en 2006 qu'une pleine intégration économique de la sous-région permettrait une hausse importante du PIB de chacun des pays, de 24%, 27% et 34%, respectivement pour la Tunisie, le Maroc et l'Algérie, entre 2005 et 2015. Et si les trois pays maintiennent des taux de croissance annuels d'environ 4 à 5%, en termes réels, ce qui n'est pas évident, il leur faudra plus de 20 ans pour atteindre des niveaux de revenus par habitant proches de ceux observés actuellement dans les pays de l'OCDE. Il s'ensuit que l'optimum global maghrébin, en termes stratégiques, ne peut se réaliser que dans le cadre d'une intégration maîtrisée et datée, ce qui ne saurait signifier qu'il ne faille pas favoriser des projets concrets à court terme. Or seule une dynamisation de la sphère réelle peut diminuer les tensions sociales qui ne peuvent qu'avoir des incidences politiques, d'où l'urgence de l'intégration économique des pays du Maghreb. II- Quelles sont les actions à court et moyen termes ? A court terme, je distinguerai les actions à court terme des actions à moyen terme. A court terme six mesures concrètes faciles réalisables peuvent être mise en œuvre pour dynamiser les échanges. Premièrement, rendre immédiatement opérationnel la banque d'investissement maghrébine. Deuxièmement, les nombreux accords de libre-échange complique le système commercial et rend sa gestion par les agents de douane difficile, dans ce cadre, une harmonisation régissant les échanges commerciaux s'impose. Troisièmement, les règles restrictives qui imposent notamment une autorisation préalable pour de nombreux produits doivent être supprimées au même titre que les normes techniques locales utilisées à des fins protectionnistes. Quatrièmement, le niveau élevé des tarifs douaniers et la complexité des structures tarifaire (moyenne des tarifs est de 19,2 % en Algérie, 26,2 % au Maroc et 31,7 % en Tunisie) implique la poursuite de la réforme tarifaire en réduisant la dispersion et la moyenne des tarifs, il s'agit donc d'améliorer les procédures douanières qui manquent de «transparence et de prévisibilité» par l'automatisation des déclarations douanières pour un meilleur traitement des documents. Cinquièmement, lever les lacunes du système de paiement (dont la disparité des systèmes de fixation de la cotation des monnaies) et des chaînes logistiques par l'assouplissement de la réglementation des changes et la mise au point des services conjoints d'assurances des exportations. Et enfin, sixièmement, promouvoir des investissements dans les transports et les autres chaînes logistiques et services subsidiaires, l'organisation des ports constituant le principal obstacle au commerce maritime dans la région ; la preuve en est que les containeurs restent bloqués dans les ports durant 20 jours en moyenne en Algérie, 18 jours en Tunisie et 11 jours au Maroc. Des comités techniques devraient être mis en place permettant de progresser dans les six domaines examinés. A moyen terme il s'agit au préalable d'intégrer la sphère informelle au sein de la sphère réelle dominante au Maghreb. L'économie moderne reposant sur deux postulats le contrat et le crédit, deux questions stratégiques méritent d'être posées. Premièrement peut-on parler d'un Etat de droit au Maghreb lorsque plus de 50% de l'activité économique échappe au pouvoir publics qu'il s‘agit de ne pas combattre par des mesures autoritaires qui produisent l'effet inverse mais par la démocratisation de la décision économique? Deuxièmement, la sphère informelle n'est –elle pas un obstacle à une intégration contractuelle bien que cette sphère, à travers des échanges informelles permet à des milliers de maghrébins, surtout aux frontières, de contourner la myopie des bureaucraties étatiques ? Car cette sphère est le produit de la bureaucratie. Lorsque des Etats émettent des règles qui ne correspondent pas à l'Etat des sociétés, cette dernière enfant ses propres règles qui lui permettent de fonctionner dans un cadre de droit qui est la sienne puisque existe un contrat qui est moral. Dans ce cadre, à moyen terme la dynamisation de la coopération et de l'intégration maghrébine sur des bases contractuelles passe par l'intégration de la sphère informelle au sein de la sphère réelle et la création d'entreprises dynamiques s‘insérant dans le cadre des valeurs internationales. D'autant plus que les deux pays ont signé l'accord de libre échange avec l'Union européenne impliquant horizon 2017/2020 d'importants dégrèvements tarifaires. La majorité des entreprises au Maghreb dans la sphère réelle sont peu initiées au management stratégique poussant au protectionnisme néfaste à terme. Il s'ensuit que se tissent des liens dialectiques entre la sphère informelle et certains segments du pouvoir bureaucratique en tant que lobbys où domine le cash dans les transactions, favorisant la corruption freinant les réformes par des pressions protectionnistes Or, les avantages comparatifs statiques positifs à court terme sont largement contrebalancés par les avantages comparatifs dynamiques à moyen terme comme le montre l'expérience des pays émergents. Mais cela suppose des stratégies d'adaptation, loin de ces petites entreprises familiales marquées par une gestion autoritaire ignorant l'innovation et les mutations internationales vivant grâce à des parts de marché que leur attribue l'Etat via la dépense publique. Concernant les actions institutionnelles, il s‘agira de relancer le projet de la banque d'investissement maghrébine avalisé en 2010 par l'UMA, d'unifier les tarifs douaniers et surtout la politique fiscale qui a des incidences tant sur l'allocation des ressources où devra primer la suprématie de la sphère réelle sur la sphère financière spéculative à l'origine d'ailleurs de la crise mondiale actuelle, que sur la répartition et le niveau des revenus et de prévoir la création d'une grande université maghrébine. Sur le plan financier, il s'agit d'entrevoir la création d'une banque centrale et bourse magrébine support d'une monnaie maghrébine, ne devant jamais oublier que la monnaie, autant que les réserves de change, est un signe, moyen et non facteur de développement traduisant l'état de confiance entre l'Etat régalien et les citoyens. L'on devra pour cela au préalable résoudre le problème de la distorsion des taux de change des différentes monnaies maghrébines. Ces structures doivent s'insérer horizon 2020 dans le cadre d'une banque centrale et bourse euro-méditerranéenne. Il faut le reconnaitre, la signature de conventions commerciales ou d'accords de libre-échange avec l'Europe par la Tunisie, le Maroc et l'Algérie n'a pas suffi à impulser un véritable co développement entre les deux rives de la Méditerranée. Donc est posé le bilan mitigé des accords de Barcelone et de l'UPM (Union pour la Méditerranée) qu'il y a impérativement de dynamiser à travers des projets concrets. (Suite et fin)