Auteur congolais de romans à succès, Alain Mabanckou a les moyens de s'inventer de nouvelles vies. Passionné de musique depuis toujours, il produit une adaptation musicale de son livre Black Bazar, orchestrée par Sam et Modogo, deux Congolais émigrés à Paris, comme les personnages principaux de son roman. Dans le quartier du Château d'eau, à Paris, Alain Mabanckou a rendez-vous avec Henri, le gérant de BH Electronic. Sa boutique de disques est l'une des plus fameuses échoppes du circuit de distribution «ghetto» de la capitale. Alain Mabanckou est venu lui apporter en exclusivité les clips de Face A., chanté par le rappeur Souleymane Diamanka et de Face B., les deux titres de l'album Black Bazar qu'il a écrit. Le patron monte le son, des passants entrent et chacun donne son avis sur les tenues des sapeurs du clip, les morceaux, l'album enfin, produit par Alain Mabanckou, l'homme multi-casquettes. Au sens propre et au sens figuré. Car s'il apparaît toujours bien coiffé d'un couvre-chef gavroche, l'écrivain n'hésite pas à multiplier les projets. Mélomane averti Black Bazar, c'est d'abord un roman paru aux éditions Le Seuil en janvier 2009, et qui fut classé pendant plusieurs semaines dans les vingt meilleures ventes de livre en France. C'est l'histoire des errances de Fessologue, un Congolais émigré à Paris. Il partage son temps entre un bar congolais, le Jip's, l'étude approfondie des «faces B» des demoiselles (d'où son surnom), sa machine à écrire et son appartement bientôt déserté par sa femme partie au bras d'un percussionniste… Il est en effet souvent question de musique dans les romans d'Alain Mabanckou. Les airs de Brassens, les solos de guitare de Franco ou la poésie de Lutumba Simarro s'entendent en sourdine dans Black Bazar ou Verre Cassé, pour ne citer que ces deux romans. Guitariste amateur, mélomane averti, le romancier a l'écriture musicale et le verbe rythmique… C'est justement en fan de rumba qu'il assistait il y a une quinzaine d'années aux répétitions de Sam Tshintu et Abarambwa Modogo, deux anciens musiciens de Koffi Olomide qui venaient de monter leur propre orchestre, Académia : «Ils ne savaient pas que j'étais féru de musique… Enfin, pas à ce point-là !», déclare Alain Mabanckou. Quinze ans plus tard, il croise les musiciens à Châtelet. Ils n'ont pas les moyens de produire un disque. De son côté, depuis Bleu Blanc Rouge, son premier roman paru aux éditions Présence Africaine en 1998, Alain Mabanckou a poursuivi une vertigineuse ascension. Il vit désormais entre Paris et Santa Monica, aux Etats-Unis, où il donne des cours de littérature francophone à l'université de Californie de Los Angeles. Il vend des milliers de livres, ses romans sont édités en poche et traduits en plusieurs langues. En un mot : il n'a pas de problème de trésorerie. «Je crois que quand on aime la musique et qu'on n'a pas le talent pour la faire exister, la seule solution qui existe si on en a les moyens, c'est d'en faire la production», explique-t-il. Adaptation très libre Il est donc partant pour produire Sam et Modogo, seulement s'ils acceptent quelques consignes. Alain Mabanckou veut retrouver un son à l'ancienne, où «la musique ne ment pas». Exit synthétiseurs et dédicaces à tout-va : «A part le mien, et celui de Madame Mabanckou qui nous a aidés dans la production de ce disque... », explique dans un grand éclat de rire l'écrivain à l'indéboulonnable casquette. Vive le semi-live et surtout l'ambiance ! Black Bazar est donc une adaptation musicale très libre du roman d'Alain Mabanckou, où interviennent plusieurs featurings, comme le slameur sénégalais Souleymane Diamanka, la chanteuse cubaine Niuver, le Camerounais Douleur Douala. On n'y retrouve pas vraiment les personnages du livre, mais plutôt l'univers de la diaspora des Congolais du Nord-Est de Paris, que Sam et Modogo connaissent sur le bout des doigts. Avec sa pochette chic et originale, l'album Black Bazar s'adresse aussi aux autres amateurs de rumba, notamment les «Français de France», comme dit Fessologue dans le roman. D'ailleurs, ils n'ont pas été oubliés : dans le clip Face A, des sapeurs français montrent eux aussi à la caméra l'intérieur de leur veste de marque, la qualité de leurs chaussettes, l'étiquette de leurs cravates. Alain Mabanckou, qui vit à cheval entre trois continents, ne saurait s'adresser qu'à l'une de ses multiples identités.