Pourquoi est-il difficile de fabriquer un livre en Afrique ? », ce débat organisé, mardi soir, au Cénacle de la 2e édition du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse (Feliv) à l'Esplanade Riadh El Feth à Alger, n'a pas répondu complètement à la question. Le débat à réuni Robert Ageneau des éditions Karthala, Louis Gardel du Seuil et le Camerounais Caya Makhélé des éditions Accoria dont le siège est à Paris. Prévus au programme, Denis Pyren, premier responsable de L'Harmattan et Noël Schiffano de Galimard ne sont pas venus sans que des explications soient données au public. Autre interrogation : pourquoi a-t-on fait appel uniquement aux éditeurs français pour ce débat ? L'Afrique ne parle-t-elle pas l'arabe, l'anglais, le portugais, l'espagnol ? Où sont les éditeurs africains, ceux qui vivent sur le continent ? Louis Gardel a plaidé pour la rupture de l'esprit paternaliste des anciennes puissances coloniales. « On ne doit plus faire de l'assistanat », a-t-il dit. Le poète sénégalais, Mbaye Ndongo, qui a présenté un récital avec le griot Soriba Sakho, a estimé que c'est aux africains de se prendre en charge. « L'Afrique ne doit rien attendre des éditeurs étrangers, qu'ils soient français, anglo-saxons ou autres. Aux africains de créer des maisons d'édition. Cela concerne autant les pouvoirs publics que les écrivains », a soutenu Mbaye Ndongo, qui a rendu hommage à un romancier qui a écrit son récit en wolof (langue parlée en Gambie, au Sénégal et au Mauritanie). Pour Louis Gardel, le Seuil a refusé de créer « une collection africaine » pour ne pas tomber dans le ghetto. « La littérature, ce sont d'abord des écrivains. C'est la langue. Nous avons choisi d'éditer des auteurs africains et maghrébins parce qu'ils ont écrit de bons livres », a-t-il relevé. Selon lui, la jeune littérature africaine a dépassé les thématiques post-coloniales. « Elle aborde les problèmes actuels, ceux des peuples du continent », a-t-il expliqué. Il a cité l'exemple du congolais Alain Mabanckou, prix Renaudot en 2006 pour Mémoires de porc-épic. « Mbanckou est une star. Lui, comme d'autres auteurs, s'adressent à des éditeurs de Paris ou de Londres parce qu'ils savent que leurs œuvres auront un retentissement au niveau international », a souligné Louis Gardel. Black Bazar, le dernier roman d'Alain Mabanckou, paru au Seuil, est déjà un best-seller. Phénomène nouveau : les écrivains africains, selon Louis Gardel, sont mieux accueillis sur le marché international que les auteurs français. Ils sont même plus traduits aux Etats-Unis, au Canada et en Amérique du Sud. « Ils apportent du sang neuf ! », a-t-il appuyé. Alain Mabanckou est fort connu aux Etats-Unis où il enseigne la langue française. Les intervenants ont souligné que les éditeurs européens sont plus attentifs aux manuscrits d'auteurs africains qu'auparavant. L'intérêt n'est pas dénué de calcul commercial puisque les african stories sont tendance ! Pierre Astier, fondateur de l'édition Serpent à plumes, aurait pu dire tout le mal qu'il pense des éditeurs parisiens. Des problèmes de santé l'ont empêché de se déplacer au Feliv d'Alger. « La littérature africaine est beaucoup plus universelle, beaucoup plus ouverte, qu'une grosse partie de la production littéraire française, que je trouve terriblement franco-française, enfermée non seulement dans des frontières françaises, culturelles… mais aussi peut-être dans les frontières de Paris », a dénoncé Pierre Astier sur les ondes de Radio France internationale (RFI). Pour Robert Ageneau, la faiblesse du pouvoir d'achat entrave une bonne circulation des ouvrages en Afrique. Karthala, édition spécialisée en sciences humaine et en relations internationales, a adopté une double politique des prix, l'une dirigée vers l'Europe, l'autre vers l'Afrique. « On peut aller jusqu'à 65 % de remise. Malgré cela, le marché est difficile », a-t-il noté, soulignant la défection du lectorat au profit de l'internet, même si l'e-book autorise un certain espoir. L'intérêt des lecteurs, d'après Louis Gardel, va plutôt aux ouvrages d'histoire et aux essais politiques polémiques et pas à la littérature romanesque. « Le roman est considéré comme une distraction. Les lecteurs préfèrent acquérir des livres qui leur apportent de la connaissance. C'est assez triste », a-t-il regretté étant lui même romancier (il est auteur du célèbre Fort Saganne paru en 1980 et de La Baie d'Alger, publié en 2007). Le pouvoir d'achat, pour Mbaye Ndongo, est un véritable frein. Le choix, selon lui, est vite fait entre une bouteille d'huile et un livre. D'où la nécessité de politiques réelles de soutien à la lecture publique. Autre embûche à l'expansion du champ éditorial : l'attitude des régimes en place. « Les livres sont par essence subversifs. Les régimes politique se méfient des livres. Ils préfèrent qu'il n' y ait pas de lecture plutôt que de la contrôler. La littérature contrôlée, c'est celle de la propagande », a déclaré Louis Gardel suggérant que c'est à ce niveau qu'existe la principale barrière devant l'épanouissement culturel et intellectuel en Afrique où les coups d'Etat et les élections préfabriquées sont revenus au devant de la scène. « Africains, levez-vous ! », a-t-il ajouté plus loin.