Ancien militant nationaliste, j'estime de mon devoir d'énoncer en toute vérité les causes du génocide du 8 Mai 1945. La guerre déclarée en 1939 ne se déclenche effectivement qu'en 1940. La France envahie et occupée signe le 7 Juin, séparément de l'Angleterre, l'armistice avec l'Allemagne. Le gouvernement de Vichy accepte, outre le désarmement des armées françaises, la collaboration à outrance avec l'occupant. En Algérie, de même qu'en Métropole, des commissions italo-allemandes supervisent le désarmement. Le 3 Juillet, une escadre française à l'ancre à Mers El-kébir ayant refusé l'ultimatum de la marine anglaise d'avoir à continuer la guerre contre l'Allemagne ou à se laisser désarmer est bombardée par cette même Royal Navy, faisant périr 1 300 marins français. L'esprit insurrectionnel latent se réveille comme insufflé par le souvenir de la grande révolte d'El-Mokrani et Cheikh El-Haddad, après la défaite de Napoléon III, le 2 septembre 1870 à Sedan devant le chancelier prussien Bismark. En 1942, dès le débarquement des alliés en Afrique du Nord, de jeunes Algériens sont appelés ou rappelés pour combattre auprès des Anglais et des Américains en Tunisie occupée par les troupes allemandes puis, en Europe, pour libérer les peuples sous le joug nazi. Ce qui vaut entre-temps, à leur héroïsme, cette déclaration de Winston Churchill parue sur une feuille unique par pénurie de papier, à La dépêche de Constantine : «Nous rendons hommage aux divisions algériennes encadrées par des officiers français» (des officiers dissidents des colonies). Cette déclaration apparaît en filigrane comme un pas envers la scission entre la Métropole engluée en majeure partie dans le nazisme et l'Algérie inébranlable auprès des alliés ; ce qui laisse croire à leur gratitude. Parallèlement à ces faits, le PPA dissous, seul parti à l'époque dont la doctrine strictement nationaliste, active dans la clandestinité. Structuré en régions, secteurs, sous-secteurs et groupes de cinq, il impose par mesure de sécurité un rigoureux cloisonnement entre les militants. Ceux-ci cotisent 20 Francs par mois et payent 2 Francs pour le journal l'Action, lu en cachette. Moralement, le parti est épaulé par le mouvement de réforme de Cheikh Ben Badis luttant contre les maux qui accablent notre société : alcoolisme, paupérisation, analphabétisme, déculturation, faux dévots et même sourdement le dithyrambisme des béni-oui-oui pour le système colonial. Les alliés qui ne peuvent occulter l'évolution politique du peuple algérien souhaitent prendre contact avec ses représentants. Mais avec qui ? Messali Hadj, le chef incontesté du nationalisme est interné au Gabon et ses lieutenants inconnus. Les élus ? Promus par l'administration coloniale au seul usage des conseils municipaux et généraux peuvent-ils opter pour le nationalisme radical ? Abbès Ferhat, qui calcule les chances de succès du nationalisme auprès des Alliés, rédige immédiatement Le Manifeste du peuple algériens et élabore le parti des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML). En tolérant le parti jugé modéré, les colonialistes espérent sans doute débusquer tous les nationalistes et les surveiller de près. Dans le même temps, le PPA toujours dans l'ombre prépare l'après-guerre. Il faut d'abord ressusciter l'emblème national. Lequel ? A l'Est, celui de Bey Ahmed réfugié à Constantine jusqu'à la chute de la ville en 1837. A l'ouest, celui de l'Emir Abdelakder, arboré en 1832, après la capitulation du Dey d'Alger en 1830, puis tombé en 1847 devant Lamoricière. Après consultation dans le plus grand secret de tous les comités régionaux, le comité central les fusionne à Alger en un seul (l'actuel) avec les recommandations suivantes : «L'emblème sera hissé pacifiquement le jour de l'Armistice et du grand défilé prévu avec les scouts (SMA) et toutes les associations patriotiques. Il flottera au milieu des drapeaux alliés : anglais, américain, russe et français. Attention, pas de désordre ! Pas de dépassements ! Le monde nous observe.» Pendant ce temps, le parti de Abbès Ferhat (AML) prend une ampleur considérable, recevant des adhésions de partout. Pareil à une lame de fond surgie inopinément, ce parti trouble le bon fonctionnement de la politique coloniale et suscite l'angoisse de ses dirigeants. Du 4 au 11 février 1945, se tient à Yalta une conférence entre Churchill, Roosevelt et Staline, en vue de régler les problèmes posés par la proche défaite de l'Allemagne. Parmi ces problèmes celui de la décolonisation. Le principe de l'autodétermination pour les peuples assujettis est proclamé. C'est la panique en Algérie, les ultras commencent à s'agiter. Contrairement à cette agitation, les Algériens restent calmes. Auparavant, si Abdellah Filali, membre de la Fédération de Constantine est délégué auprès de notre comité régional à Jijel. Il nous réunit secrètement la nuit au bois de l'Oasis. Nous étions sept : Ben Bourhane Mohamed, Mékidèche Ahsène, Boumaza Mohamed, Khellaf Abdelakder, Aberkane Abdelakder, Kouras Hocine et moi-même. Ce délégué confirme les recommandations de la centrale et ne cesse de répéter : «Défilé le jour de l'armistice avec le drapeau mais défilé pacifique sans débordements ni violence.» A Alger, le 1er mai 1945, une manifestation syndicaliste pacifique, encadrée par des éléments nationalistes est réprimée dans le sang. Le 8 mai, Abbès Ferhat, se rendant à Alger féliciter les alliés de la victoire en commun et le gouverneur Chataignau, pour la libération de la France, se voit arrêté sur les lieux. Le carnage commence… Les Européens levés en milices armées assassinent sans retenue. Les tribunaux civils et militaires condamnent sans pitié. Pour bombarder la population jusqu'aux douars les plus reculés, on utilise deux croiseurs (Triomphant et le Duguay-Trouin) et l'aviation. Une population qui fête pacifiquement la fin d'une guerre atroce et la fin annoncée des servitudes dans le monde. Le général Duval qui base la souveraineté de le France exclusivement sur la force déclare l'air triomphant sur plus de 40 000 morts : «Je vous ai donné dix ans de paix.» Et le sous-préfet de Guelma Achyari, initiateur des fours crématoires d'Héliopolis, renchérit impudemment sur le général : «La France, c'est moi !» D'après ce modeste témoignage, une question se pose. Qui ?… Oui, qui a commencé ? Qui a tiré le premier ? Miliciens haineux ? Manigances politiques ?… Manigances des seigneurs de la colonisation, ayant soudoyé de tristes individus sans honneur et sans foi, à leur dévotion pour assassiner aveuglément et justifier la répression préparée à l'avance ? Quoi qu'il en fût, ni l'association des Oulémas, ni le PPA, ni les AML n'avaient prôné ou ordonné des manifestations qui allaient tourner à l'émeute.