, Les Noces de Figaro exaltées par la joie et l'ironie des femmes. Le Théâtre royal de Copenhague a présenté sa dernière version des Noces de Figaro en fanfare, servies par une distribution remarquable. Au théâtre de l'Archevêché, dans un spectacle inoubliable, Véronique Gens a interprété magnifiquement la comtesse Almaviva, tandis que Magdalena Kazena a incarné un chérubino coquin et savoureux, sous la direction élégante de Jérémie Rhorer. Quant au metteur en scène Richard Brunel, il a séduit par l'intelligence provocatrice mais pétillante de sa lecture de l'opéra de Mozart, ovationnée pr un public survolté jusque dans ses entrailles. La lumière vient de s'éteindre dans cette salle de bal désertée où le comte et la comtesse Almaviva ont esquissé de guerre lasse un dernier pas de danse. La table des noces n'aura eu pour tout convive que cet homme et cette femme naguère amoureux, aujourd'hui mari désabusé, épouse délaissée et blessée par le macho de son époux : un coureur de jupons qui use du droit de cuissage sur la future femme de son valet, pourtant aboli. Dans ces Noces de Figaro, magnifiquement iconoclastes de Richard Brunel, la dramaturgie est époustouflante : théâtrale, il y a de la tonalité, de jeu, de mécanique, de complexité des liens, des sentiments mais aussi de la mélancolie face à l'inéluctable. Le metteur en scène s'est nourri tour à tour de Feydeau, de Marivaux et de Tchekhov à la fois pourépouser la musique de Mozart en créant un sens. Pour lui, cette folle journée s'est achevée il y a bien longtemps. Dans un souvenir fantôme que l'opéra de Mozart vient dérouler en manière de flash-back : les péripéties en cascade et rebondissements en série ne semblent plus y lever des obstacles tangibles, mais marquer l'atermoiement des désirs et la ronde des objets qui s'y attachent. Une vision de plateau que cautionne d'emblée le parti de la fosse où Jérémie Rhorer prend de vitesse une ouverture qui file en sable entre les doigts, d'un mouvement sans heurts. La promesse d'une aube qui ne viendra pas. Refus du clinquant, de toute jubilation ostentatoire, maintien d'une légèreté qui n'est pas celle de rire mais de l'élégance, tout cela dans un climat retenu, où le bannissement du lyrisme se fait au profit de son effleurement sensible. C‘est donc dans le travail de suggestion et le modelé des détails, tant dans les jeux de scène que dans la direction musicale, que se tient le souci de préserver et de donner vie, parfois jusqu'à la préciosité, aux trames multiples de la comédie. Car élans de joie et ironie se glissent dans tel déplacement cocasse, mouvement malicieux ou dans le passe-passe bouffon des travestissements. Chez les femmes surtout : avec leurs rires sous cape, leurs facéties en symétrie et leur complicité croissante, elles exaltent une vitalité radieuse alors même que s'exténue celle des messieurs, comte désavoué et valet plus enclin à singer son maître qu'à le défier. Aussi ce décor raffiné - escaliers monumentaux et balustres dorés, ces portes noires altérées et hiératiques, ce lit, cette table, une arrière-boutique de magasin de robes nuptiales, un grand guichet à hautes vitres et hygiaphone, flanqué de deux portes de WC, deux vitrines de robes un peu ringardes, éclairées au néon, à cour et jardin, un papier peint décati, des vêtements informes accrochés à des patères murales. Et un fauteuil électrique de maison de retraite , à dossier et repose-pieds amovibles. Un élément clé, poétique et comique de ce spectacle. Dans ce décor de Chantal Thomas, il y a un côté Deschiens dans tout cela. Il encadre non la fête galante qu'on espérait mais un rituel social qui se joue des instincts de l'homme. Or l'homme ici, c'est le comte Almaviva campé par un Laurent Naouri en pleine possession de ses moyens, sûr de lui, play-boy un peu veule - étonnant appareillage de force furieuse et de secrète fragilité. Un Laurent Naouri à la fois maître de son personnage et de son propre destin vocal – son «Hai gia vinta la causa», à la fois rugueux et emporté, laisse filtrer un désarroi bouleversant. De ce prototype des maris modernes, «infidèles par principe, capricieux par goût et de plus jaloux par orgueil», la belle Rosine a depuis longtemps fait les frais. Véronique Gens incarne une comtesse à la fois enfantine et blessée dont le magnifique «Dove Sono» rendra palpable toute la nostalgie. Longue silhouette glamour en déshabillé sophistiqué, elle murmure le fameux «Porgi Amor», avec l'abandon d'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil, le naturel d'une femme qui s'éveille et dont la première pensée est celle d'un adieu. Une âme flottante, pourtant. Tout l'opposé du cherubino insensé en adolescent déluré qui se laisse peloter les fesses, musicalement supérieure dans son «voi che sapete», accompagné merveilleusement par Jérémie Rhorer, ravit tous les suffrages. Son halètement frénétique du «non so piû cosa son, cosa faccio» nous a paru trop sexuellement transmissible. Un mauvais garnement transformé en poulbot de luxe, qui fait l'amour avec la terre entière. En somme, un cherubino délicieusement débridé de Madgalena Kozena. Côté révélation, il n'y en eut qu'une, mais quelle ! La Susanna de Camilla Tilling, cette jolie et jeune Suédoise au charme et au talent immense a laissé les spectateurs éblouis, émerveillés. Une maturité étonnante, des facilités de comédienne, et une voix qui se prête à toutes les arguties musicales. Elle campe une Susanna sublime. Avec cela, voici qu'elle fait entendre ce fameux XVIIIe siècle envolé des costumes par la voltige des tons qu'elle déploie : tantôt mutine ou câline, effrayée ou compatissante, farouche ou amoureuse, elle montre à tout instant à quel point le tablier ne fait pas la soubrette. Ainsi l'«air des marronniers», touchant entre tous, offrira-t-il les accents d'une future Rosina, laissant deviner que la servante amoureuse aura un jour, elle aussi, à traverser les délaissements de la conjugalité. Quant au Figaro de Marco Vinco faussement balourd et bougon, avec ses airs de petit comte, sa raideur et son assurance un peu bornée, il a laissé au vestiaire la verve comique et l'ironie, ravageuse qui caractérise le personnage. Vidant le célèbre «Se Vuol Ballare» de toute charge vindicative, c'est finalement lui qui danse sous la guitare magistrale du Mahler Chamber Orchestra. Pour rendre justice à ce spectacle, il faudrait encore détailler une distribution assez remarquable. Le travail musical réalisé par Jerémie Rhorer, le chœur de l'Académie européenne de musique et son équipe de chanteurs, tous excellents comédiens, est au diapason : précis, intelligent, conscient de ses choix, jamais démonstratif ou extrême dans ses tempos. Notez le beau légato de Magali Leger, sensuelle Barberine, d'une nuit de songe étoilée. Parler du clan des comiques : les passes d'armes de Jenifer Smith, Marcellina aux irrésistibles mimiques de Mme DoubTFire, assistée de son Bartolo d'avocat (un Brian Bannatyne Scott, benêt à souhait), l'amusante rouerie du Don Basilio de Jean-Paul Fouchecourt, la foi du jardinier (Josef Dene), tous ces «petits personnages» qui font les grandes comédies. Dans cet opéra, cette folle journée s'est déroulée dans un cadre plouc. Mais pas une seconde, il n'y a du misérabilisme ironique dans tout cela : Richard Brunel glisse sans forcer «les Noces» dans son propre paysage de fantaisie, au contraire de ce que font si souvent les metteurs en scène «à idées». Le miracle est que, malgré la forte caractérisation de sa lecture, ses Noces demeurent les Noces, et plus encore, qu'elles donnent l'impression qu'on se fiance à une œuvre comme fraîche et nouvelle. Opéra en quatre actes, les Noces de Figaro est l'histoire d'un harcèlement sexuel version Mozart du XVIIIe siècle. Cet opéra bouffe a marqué son époque. Aujourd'hui, il est l'un des plus moqués et des plus joués au monde. Né d'une collaboration entre Wolfgang Amadeus Mozart et le poète italien Lorenzo da Ponte qui a adapté la pièce de Pierre-Augustin Caron Beaumarchais. La pièce a été interdite en Autriche, car elle portait un regard critique sur la corruption et la noblesse. Mais l'empereur Joseph II finit par céder grâce notamment au talent et la diplomatie du poète. Cet opéra créé le 1er mai 1786 au National-Théâtre de la cour de Vienne, a connu un immense succès. Lequel ne s'est jamais démenti. Cet ouvrage est régulièrement programmé depuis les années 50 au Théâtre royal de Copenhague. Signalons enfin que le festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence, associé avaec chaîne TV avec Arte, a présenté cette année cet opéra, quelque peu modifié.