Tous les pays visés par la vague du «printemps arabe» sont en ébullition permanente. Partout, c'est la désillusion, après une brève période d'euphorie qui a laissé croire que la démocratie allait s'instaurer comme par enchantement. L'Egypte que certaines capitales occidentales présentaient comme un modèle de réussite de la transition démocratique, est en train de revenir à la case de départ, avec, en toile de fond, une guerre idéologique qui risque de prendre des proportions très dangereuses. Trois mois après l'élection du candidat des Frères musulmans, à la tête du pays, les Egyptiens découvrent toutes les sournoiseries de la confrérie, qui semble pressée d'instaurer un Etat théologique. Le président Mohamed Morsi, dont les tentations despotiques sont clairement affichées, a profité du succès de sa médiation entre le Hamas palestinien et Israel, pour tenter ce nouveau coup de force, pour imposer un projet de constitution qui divise le pays, tandis que des centaines de milliers d'islamistes ont été mobilisés pour le soutenir. «Le projet de Constitution exprime les objectifs de la révolution» qui a renversé Hosni Moubarak en février 2011, a déclaré M. Morsi en appelant tous les Egyptiens, qu'ils soient pour ou contre le projet, à se prononcer. Dans la journée d'hier, des centaines de milliers d'islamistes ont manifesté en soutien à M. Morsi, au lendemain d'un rassemblement massif de l'opposition contre le renforcement des pouvoirs du président et le projet de Constitution, accusé de porter atteinte à la liberté de religion et d'expression. Il s'agit de la crise politique la plus grave en Egypte depuis l'élection en juin de M. Morsi, issu des Frères musulmans. Les divisions sont de plus en plus profondes entre la mouvance islamiste et les groupes laïcs, de gauche et chrétiens. Après des mois de blocage, le projet de Constitution a été adopté en quelques heures entre jeudi et vendredi par la commission, boycottée par l'opposition de gauche et laïque ainsi que par les églises chrétiennes, qui dénoncent la mainmise des islamistes. «Morsi soumet à référendum un projet de Constitution qui sape les libertés fondamentales et viole les valeurs universelles. La lutte continue», a lancé samedi soir l'opposant Mohamed El-Baradei. Comme dans l'ancienne Constitution, le nouveau texte fait des «principes de la charia» la «source principale de la législation», une formulation assez consensuelle en Egypte. Mais il ajoute une nouvelle disposition selon laquelle les principes de la charia doivent être interprétés selon la doctrine sunnite, ce que certains considèrent comme une possibilité de renforcer la place de la loi islamique, en particulier dans ses interprétations les plus rigoristes. Le projet accorde également à l'Etat un rôle de «protection de la moralité» et interdit «l'insulte des personnes humaines» et des «prophètes», des dispositions qui pourraient ouvrir la voie à la censure. La Tunisie au bord du gouffre En Tunisie, la situation est encore plus dramatique, avec le spectre de l'insécurité qui menace la cohésion nationale. Les derniers événements de Siliana, où la population demande le départ du wali, montrent l'extrême vulnérabilité de l'autorité politique actuelle. Ce qui a amené le président (non-élu) Moncef Marzouki a appeler à la formation d'un gouvernement restreint «pour stabiliser le pays», le cabinet actuel se montrant selon lui incapable de répondre aux attentes de la population. Or, tout le monde sait en Tunisie que c'est le mouvement Ennahda, qui décidera du maintien ou non de l'actuel gouvernement qui est issu de ses rangs. M. Marzouki, a indiqué avoir «peur» que les violences, déclenchées par l'exaspération de la population face à la misère, ne s'étendent. La hantise d'un embrasement social similaire à celui qui avait emporté l'ancien président Ben-Ali, à quelques jours du deuxième anniversaire, du début de la «révolution», est vécue comme une menace sérieuse sur la coalition au pouvoir, déjà fragilisé au cours de ces derniers mois par les attaques menées par des groupuscules salafistes.