«Une erreur trop commune aux gouvernements, c'est de croire qu'ils augmentent leurs forces en augmentant leurs pouvoirs : une armure trop pesante rend immobile celui qui la porte.» Chateaubriand-François René, écrivain français (1768-1848) En dépit des réformes engagées, la justice algérienne est toujours chargée de tous les maux et de tous les défauts : trop lente, trop onéreuse, négligente, corrompue et incompétente. Ce sombre et alarmant constat qui est reconnu par des personnalités politiques au haut sommet de l'Etat, serait-il dû à la dépendance de la justice ? Que signifie l'indépendance du juge ? Est-il sérieux d'affirmer que le juge algérien n'est pas indépendant alors que la Constitution lui garantit ce droit ? Pourquoi le pouvoir politique manifesterait-il une défiance à l'égard du pouvoir judiciaire ? Quels sont les moyens utilisés par le pouvoir exécutif pour contrôler la justice ? C'est à ces questions à la fois pertinentes et complexes que l'auteur de cette modeste contribution tente de répondre loin de toute polémique et de tout parti pris. L'indépendance de la justice : une garantie constitutionnelle aux contours multiples Ce principe qui découle de la logique même des séparations de pouvoirs signifie que le juge doit être en mesure «d'exercer ses fonctions en toute indépendance, par rapport à toutes forces sociales, économiques et politiques,par rapport aux juges et par rapport à l'administration de la justice». Le juge indépendant est celui qui prend ses décisions en son âme et conscience, sans se soumettre aux ordres ou conseils de sa hiérarchie,se faire des soucis pour sa carrière, craindre le mécontentement des hommes politiques, s'incliner devant le pouvoir de l'argent,succomber aux multiples tentations des désirs, se laisser emporter par les revendications des justiciables ou céder aux différentes manœuvres des médias. Il est clair que les contours de ce principe,indispensable à l'édification d'un Etat de droit, sont difficiles à cerner, raison pour laquelle les Constitutions ne contiennent généralement aucune définition de cet idéal démocratique, mais se contentent seulement de citer comme il le font pour tout autre garantie constitutionnelle. Être juge indépendant, c'est faire face donc à de multiples pressions d'origines diverses, dont les plus dangereuses sont celles qui sont exercées par le pouvoir politique. Pouvoir politique et juges : les raisons d'une défiance manifeste Si la Constitution algérienne de 1996 mentionne bel et bien dans son article 138 que «le pouvoir judiciaire est indépendant», elle n'omet cependant pas de préciser que ce pouvoir doit «s'exercer dans le cadre de la loi», cette précision, qui n'existait pas dans la Constitution de 1989 est loin d'être fortuite et renseigne sur cette inquiétude d'attribuer trop d'autonomie à la magistrature. Il ne faut pas perdre de vue que le système judiciaire algérien est calqué sur celui de la République française qui a comme base philosophique les pensées de Montesquieu lequel philosophe de son temps considère le juge comme un être inanimé dont le rôle essentiel consiste à prononcer la loi. Importer un tel système traduit cette volonté d'empêcher le juge de nuire dans une société où il est devenu à la fois l'arbitre entre les pouvoirs publics et l'autorité chargée de les sanctionner en cas de manquement à leurs obligations. Le pouvoir exécutif est effrayé par l'apparition d'un phénomène tout à fait nouveau, celui de la juridisation de la société. En effet, la justice examine de plus en plus d'affaires de corruption, de détournement de deniers publics, d'évasions fiscales,de financement occultes de partis politiques et de mœurs, dans de telles affaires fortement médiatisées sont incriminées des personnalités de haut rang. Accorder davantage de pouvoir au juge serait donc une source d'ennuis probables pour les intérêts de l'exécutif lequel se rappelle toujours l'hostilité que la magistrature a affiché à l'égard de la politique du gouvernement Allendé. La position du fameux club égyptien de la magistrature à l'égard de la situation qui prévaut en Egypte nourrit la crainte d'être confronté à un pouvoir judiciaire puissant. La nécessité de contrôler minutieusement le fonctionnement de la justice par le pouvoir exécutif est loin d'être une simple illusion d'esprit, mais constitue une question préoccupante qui se pose pour toutes les nations du monde,ce qui diffère d'un pays à l'autre, ce sont certainement les moyens utilisés et le degré d'atteinte à une indépendance indispensable à l'impartialité des magistrats, car sans indépendance il serait vain de parler de justice impartiale. Le contrôle du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif : l'art d'affaiblir La volonté d'affaiblir l'autorité de notre juge se vérifie non seulement à la lecture du statut particulier de la magistrature qui fixe les conditions de recrutement, et règle le déroulement de la carrière des juges (relations avec la hiérarchie, promotion, discipline) mais aussi et surtout à travers l'analyse de l'organisation judiciaire elle-même, notamment celles concernant le conseil supérieur de la magistrature, le ministère public et les juridictions administratives. Le recrutement et la nomination des juges : une atteinte anticipée à l'indépendance Précisons de prime abord que le système judiciaire algérien n'établit pas de différence entre les juges de siège (les juges assis) et ceux du parquet (juges debout ou parquetiers). Les deux magistrats obéissent aux mêmes règles préétablies par le pouvoir exécutif et qui figurent dans le statut particulier, à l'exception de celles applicables aux parquetiers ,exception qui crédibilise la volonté du pouvoir exécutif d'avoir sous ses ordres les magistrats du parquet. Les juges algériens sont recrutés parmi des jeunes licenciés en sciences juridiques (ou titulaires d'un diplôme ou titre reconnu équivalent) sans aucune expérience professionnelle, par un concours anonyme organisé et contrôlé par le ministre de la justice garde des sceaux. A côté des épreuves écrites dites d'admissibilité, les candidats subissent deux épreuves orales d'admission qui échappent à tout contrôle et dépouillent le concours de son caractère démocratique et méritoire. Après leur sélection, les élèves magistrats suivent une formation de trois années à l'Ecole nationale de magistrature assurée dans son ensemble par des magistrats détachés à cet effet. Il est reproché à cette école calquée sur celle de la république française «la modélisation des esprits» et la répétition des pratiques, outre qu'elle crée un esprit de corps qui va à l'encontre de toute idée d'indépendance. Il n'est pas à démontrer que le but recherché par ce type de sélection et de formation exprime une volonté politique d'aligner le recrutement de nos juges sur celui des grands corps de l'Etat,en un mot former des fonctionnaires juges. (A suivre)