Avec l'arrivée au pouvoir en Centrafrique de rebelles en majorité musulmans, beaucoup craignent des affrontements «inter-religieux», malgré les déclarations apaisantes du nouvel homme fort Michel Djotodia. «On est assis sur une bombe. Un mauvais sorcier peut faire exploser la maison. Je ne veux pas qu'on relativise le problème», s'inquiète Mgr Dieudonné Nzapalainga, l'archevêque catholique de Bangui. Michel Djotodia, président auto-proclamé depuis une semaine et premier dirigeant musulman du pays, a rappelé vendredi : «La République centrafricaine est un Etat laïc. Que ce soient les chrétiens et les musulmans, ils vivent dans un Etat laïc. Il est bien vrai: je suis musulman, mais je dois servir ma patrie, tous les Centrafricains». «Je ne suis pas venu pour les musulmans, je ne suis pas venu seulement non plus pour les chrétiens (...) je suis venu pour tout le monde», a souligné M. Djotodia. Il a reconnu toutefois que «certaines personnes mal intentionnées ont voulu drainer le pays vers un conflit inter-religieux». Depuis le début de l'offensive en décembre du Séléka jusqu'à la prise de Bangui, la religion de ses combattants a souvent été mise en cause par le régime de François Bozizé, qui a notamment accusé les rebelles de «prêcher le wahhabisme», une interprétation ultra-conservatrice de l'islam proche du salafisme, ou carrément d'être des «terroristes musulmans». Les comités d'auto-défense des partisans du président Bozizé, qui avaient érigé des barrières en ville pendant la crise, s'en sont régulièrement pris aux musulmans banguissois, les assimilant aux rebelles. D'un autre côté, les rebelles se sont appuyé sur la communauté musulmane qui organisait régulièrement des collectes de soutien. Lors des pillages, les biens des musulmans ont été épargnés quand ceux de chrétiens étaient saccagés, donnant l'impression d'un conflit religieux à peine masqué. L'image de milliers de musulmans scandant «Allah Akbar» (Dieu est grand) lors de l'arrivée de Michel Djotodia, à la grande mosquée de Bangui pour la prière du vendredi a aussi «choqué» certains chrétiens, selon un Banguissois. «Nous ne sommes plus chez nous. Ils pillent nos biens et ceux-ci sont ensuite revendus par des musulmans qui les exportent vers le nord (Tchad et Soudan)», affirme un habitant du centre-ville sous couvert d'anonymat. «Ils disent : c'est notre tour maintenant. On va vous faire payer», explique une habitante du quartier Benz-Vi. Aujourd'hui, la Centrafrique, 5 millions d'habitants, compte 45% de protestants, 35% de catholiques, 15% de musulmans, majoritairement originaires du nord d'où vient la rebellion, et 5% d'animistes. Ils ont toujours cohabité sans problème majeur. Le Pasteur Nicolas Guere Koyame, à la tête de l'Alliance des Evangélistes en Centrafrique estime qu'il y a un «chantage» à éviter, qui consiste à dire qu'avec «un musulman au pouvoir, on va islamiser le pays». «Les nouvelles autorités (...) ne sont pas là pour un but religieux mais un but politique. Elles doivent présenter leur programme politique pour convaincre la population», précise-t-il. L'imam Oumar Kobline Layama, président de la communauté islamique de Centrafrique, juge pour sa part : «Il ne faut pas casser cette cohabitation que nous avons depuis plus de 50 ans». «Je demande aux musulmans de ne pas dire (aujourd'hui, c'est notre tour). Il n'y a pas un tour, nous sommes tous des Centrafricains. Les dirigeants du Séléka doivent tenir compte des principes de l'islam (...) L'islam n'encourage pas la division, ni les vols ni les pillages», poursuit-il. «Que le comportement de certains éléments Séleka ne donne pas raison à ceux qui ont voulu faire de ce changement un problème religieux, parce qu'hier des gens ont fait l'amalgame religieux disant qu'ils venaient imposer le wahhabisme ou l'islamisme», conclut-il. Mgr Nzapalainga refuse aussi «l'amalgame» : «Le départ de la crise n'est pas religieux mais politique. Or en cours de route, des paroles, des gestes à l'égard des communautés chrétiennes ont fait penser qu'il s'agit d'une crise religieuse». Des analystes militaires mais aussi politiques et diplomatiques soulignent que l'islam pratiqué par le Séléka les inquiète moins que l'absence de l'Etat et le vide sécuritaire, qui, associé à la pauvreté, pourrait favoriser l'implantation de groupes radicaux venus de la bande sahélienne ou des islamistes nigérians de Boko Haram.