L'affaire Khalifa revient sur le devant de la scène. Je livre aux lecteurs une contribution parue au niveau national et international, plusieurs interviews aux hebdomadaires internationaux Jeune Afrique et les Afriques et la télévision internationale Al Jazeera, sans aucune modification, intitulée «Le procès El Khalifa : faut-il juger le système ?» parue le 31 janvier 2007 (voir www.google.fr 2007) où à cette époque je m'étais posé la question suivante : ces pratiques occultes de Khalifa sont-elles le fait d'un groupe limité ou ont-elles pu se réaliser avec la complicité de nombreux acteurs du système ? C'est toute la question, où avec la généralisation des scandales financiers entre 2009/2013, il semble bien que la leçon n'ait pas été retenue. 1- Des scandales à répétition Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent l'ensemble des secteurs publics et privés, la corruption s'étant socialisée, relatés chaque jour par la presse nationale main du fait de leur ampleur, encore que tout Etat de droit suppose la présomption d'innocence afin d'éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles. Pourtant, ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l'Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures en cette période difficile de transition d'un système étatique à une véritable économie de marché concurrentielle fondée sur une économie productive. Ces scandales jouent comme facteur à la fois de démobilisation des citoyens par une névrose collective du fait que ces montants détournés sont la propriété de toute la collectivité nationale, et comme frein à l'investissement national et international porteur de croissance et de création d'emplois durables. Cela dénote l'urgence de la mise en place d'autres mécanismes de régulation qui évitent que ces pratiques ne se reproduisent. La mise en place de ces mécanismes transparents renvoie à plus de liberté, d'efficacité économique, de justice sociale (indépendance de la justice), de moralité des institutions. Cela implique d'analyser l'origine des richesses permises grâce à la captation de la rente des hydrocarbures. C'est par rapport aux référents anthropologiques que s'est constituée la assabia ethnico-financière. L'accumulation des richesses a suivi le processus de positionnement des cadres dans les secteurs névralgiques ou même secondaires de l'économie, et surtout son domaine public. C'est presque à partir de l'accumulation des richesses dans ce secteur et leur redistribution que s'est construite la structuration sociale actuelle en Algérie, structuration lente non achevée, d'où l'importance de certaines fonctions électives ou nominations à des postes clefs dans lesquels les candidats voient un moyen de s'enrichir et d'enrichir leurs soutiens. En effet, ce genre de situation est à prendre en considération et sa gestion consiste à entreprendre une sorte de carte généalogique de chaque espace et le gérer au cas par cas et non pas en se contentant de positions souvent incertaines ou qui ne le sont plus. 2-Corruption et faiblesse de l'Etat de droit et de la gouvernance Dans toute société où domine un Etat de droit, c'est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté. La gouvernance, bonne ou mauvaise, prend sa source de l'esprit des lois et non des fantaisies chatouilleuses. Le passage de l'Etat de «soutien» à l'Etat de droit est de mon point de vue un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la Nation et l'Etat. Dès lors, la question centrale qui se pose est la suivante : vers quelle mécanique politique se penchera la refondation politique en cours en Algérie, celle qui instaure un vrai consensus pour une concorde non seulement nationale mais communautaire ? En réalité, la question qui mérite d'être posée aujourd'hui : est-ce que les pouvoirs politiques algériens successifs ont édifié un Etat national d'abord et qu'est-ce qu'un Etat national dans le cas algérien précisément car, il faut bien le rappeler, il n'y a pas d'Etat national standard. Il n'y a que ce que les équipements anthropologiques intrinsèques peuvent modeler comme système politique inhérent à chaque situation socio-anthropologique. La refondation de l'Etat ne doit pas être comprise comme une négation de notre identité mais comme une nécessité que les mutations et les enjeux d'aujourd'hui imposent. La refondation de l'Etat actuellement dépasse et de loin l'aspect technique de la politique. Elle touche en réalité le fondement de la République et les idées qui la fondent. Un Etat fort ne se mesure pas uniquement par une quelconque action sociale et économique, mais aussi par une opposition féconde capable de prendre le relais. Un Etat de droit est un Etat de justice, où la hiérarchisation sociale est codifiée par des normes admises, assimilées et intériorisées. Aussi, dans le cadre de cette refondation politique, l'Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d'innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale. L'immoralité et les relations tribales et de clientèles marginalisant les compétences sont facteurs de la décadence de toute société. Nous assistons à deux logiques contradictoires au niveau des sphères du pouvoir, la logique rentière dominante mue essentiellement par l'importation et bloquant les réformes de structures et la logique entrepreneuriale minoritaire, assistant paradoxalement à un frein aux réformes lorsque les cours du pétrole s'élèvent et une accélération timide lorsque les cours baissent. En résumé, l'importance de la sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation est le produit des dysfonctionnements des appareils de l'Etat dominées par la bureaucratie, existant des liens dialectiques avec la logique rentière, qui enfante la corruption. La moralisation de la société passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique et de l'économique en intégrant cette sphère informelle, supposant un profond réaménagement des structures du pouvoir algérien assis sur la rente des hydrocarbures représentant 98% des exportations et irriguant l'ensemble de la société. Car, c'est seulement quand l'Etat est droit qu'il peut devenir un Etat de droit. Quant à l'Etat de droit, ce n'est pas un Etat fonctionnaire qui gère un consensus de conjoncture ou une duplicité provisoire, mais un Etat fonctionnel qui fonde son autorité à partir d'une certaine philosophie du droit d'une part, d'autre part par une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d'une vision future de ses perspectives, le but ultime étant l'instauration de la Démocratie, seule solution pour combattre le fléau de la corruption. Comme le soulignait le grand économiste anglais John Maynard Keynes, «il vaut mieux que l'homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens».