En vingt-trois ans d'existence, la presse écrite algérienne n'a pas beaucoup avancé. Pis, elle se heurte aujourd'hui à de nouveaux problèmes, d'ordre économiques ou structurels, qui menacent tant de journaux dans leur survie, et éloignent davantage toute solution viable à la crise, pendant que les pouvoirs publics continuent à entretenir une pluralité de façade, au détriment d'une véritable relance du secteur de la presse. Il est illustratif de relever qu'au moment où, dans d'autres pays, on assiste à la fermeture de journaux du fait de la concurrence de la presse électronique et des sites d'information, en Algérie, au contraire, il y a une prolifération des titres : 127 quotidiens sont tirés, une tendance qui ne semble pas s'arrêter là, puisque d'autres projets sont annoncés. Et la question que l'on ne peut s'empêcher de se poser est de savoir à quelle logique obéirait cette hypertrophie dans la conjoncture actuelle, où la réalité de la presse est totalement travestie. Ainsi, on n'est pas sorti de l'habitude consistant à présenter quatre ou cinq titres réputés «opposants» comme alibi de la démocratie, tout en les diluant dans un magma de 127 quotidiens, dans le dessein d'en atténuer l'influence, alors que, dans les faits, ces titres perdent leur lectorat et leur fonction de justification de la démocratie à cause de leur manque de professionnalisme et de leur manque d'objectivité, qui font d'eux des organes partisans privilégiant le commentaire au détriment de l'analyse et de l'information. La conséquence en est la «clochardisation» du secteur, comme le montrent la mauvaise qualité des journaux, leur distribution défaillante et l'impression qui laisse à désirer, sans compter l'absence de lectorat pour nombre d'entre eux. Il faut dire que cette situation est aggravée par l'absence d'organisation des professionnels du secteur de la presse écrite, à commencer par les éditeurs qui ne sont liés par aucune coordination pour discuter des problèmes, pourtant communs, auxquels ils sont confrontés (distribution, fiscalité, formation...). A comparer les journaux algériens avec ceux de Tunisie ou du Maroc, on constate une nette avancée chez nos voisins, où l'édition d'un journal reste financièrement une bonne affaire. A cela s'ajouterait l'incommunicabilité avec les pouvoirs publics. Ainsi, les ministres qui se sont succédé à la tête du département de la Communication se comportent comme s'ils étaient les PDG des imprimeries publiques avec pour seul souci, les créances détenues sur les titres, alors que leur rôle consiste à définir la politique du secteur et de trouver des solutions globales aux problèmes qu'il rencontre. Autre circonstance aggravante : l'absence d'aide directe ou indirecte des pouvoirs publics à la presse écrite. Il faut savoir que l'Algérie est le seul pays au monde où la presse ne bénéficie pas d'un programme d'aide. Le dernier fonds d'aide n'a jamais été utilisé, à un moment où les journaux en ont tant besoin. A chaque fois, l'argument avancé est que «la publicité de l'Anep est à considérer comme une aide». Alors que les éditeurs dits «opposants», plus voraces que jamais, crient au monopole de la publicité institutionnelle par l'agence étatique, et voudraient eux aussi en profiter. Dans ce débat encore, les problèmes sont faussement posés et les faits pervertis. Car, il faut savoir que les journaux bénéficiaires de la publicité institutionnelle n'en tirent qu'un infime bénéfice : quel que soit le nombre de pages offertes aux journaux, 30% de la facture va à l'Anep (commission), 17% à la TVA et 2% en soutien au cinéma. Sans parler des redressements fiscaux arbitraires. De plus, le gouvernement vient de décider d'imposer aux journaux de payer les cotisations de la sécurité sociale pour les collaborateurs pourtant déjà assurés par ailleurs. Cette décision ne fera qu'alourdir les charges déjà importantes qui pèsent sur les titres de la presse privée, et qui les empêchent objectivement de s'aligner sur la nouvelle grille de salaires qui doit s'appliquer aux journalistes de la presse publique, dont les recettes mirobolantes lui permettent de s'appliquer. S'agissant du monopole de l'Anep sur la publicité institutionnelle, il faut souligner que cette agence gère le portefeuille des publicités légales de l'Etat, lesquelles sont payées avec l'argent du Trésor public qui est, ici, utilisé comme aide indirecte aux journaux. Ce qu'il faut aussi savoir c'est que le gros de cette publicité institutionnelle va au secteur privé, et dont des journaux «à gros tirage» bénéficient au même titre que les moins nantis. Si ce portefeuille est enlevé à l'Etat, il reviendra aux fonctionnaires des communes et des collectivités locales de distribuer la publicité légale avec le risque d'enrichissement illicite qui va en découler au bénéfice de ces fonctionnaires. Dans ce cas, le contrôle fiscal portant sur les recettes publicitaires des journaux sera moins aisé avec la difficulté d'établir la traçabilité de ces recettes. Enfin, il est utile de rappeler que l'essentiel de la publicité commerciale passe par 4 500 boîtes de communication et concerne tous les supports (affichages, dépliants...), et pas seulement la presse écrite. Les pouvoirs publics doivent répondre à deux questions essentielles : a-t-on l'intention de ne garder que 4 ou 5 titres, avec le risque de donner un sérieux coup à l'image du pays en matière de démocratie ? Les pouvoirs publics, vont-ils abandonner ce chantage - qui ne dit pas son nom - à la publicité ? Or, la clé de voute serait de reconnaître la particularité et la spécificité de l'entreprise de presse, à laquelle il n'est pas approprié d'appliquer le critère de rentabilité (exemple : Le Monde doit recourir à diverses sources de financement, y compris l'aide des lecteurs). Puis, il faudra mettre un ensemble de mécanismes pour bien encadrer la presse écrite et favoriser son épanouissement. Des éditeurs soucieux de l'essor de la presse écrite en Algérie, et engagés pour une refonte de la stratégique médiatique, ont formulé une série propositions succinctes à approfondir et à enrichir, dans le débat qui s'ouvre désormais. La première proposition suggère que l'entreprise de presse soit considérée comme une PME, et bénéficie, ainsi, des décisions de la tripartite en faveur de cette catégorie d'entreprises. Ils suggèrent aussi de créer un service spécial pour la presse au niveau de la direction générale des Impôts pour tenir compte de la spécificité de l'entreprise de presse. Ce qui amènerait à prendre des dispositions fiscales particulières pour la presse. Exemple : la TVA pour la publicité légale devrait être ramenée de 17% à 7% ; la différence irait renforcer la commission de l'Anep avec prélèvement de 5% par l'Etat pour alimenter le fonds d'aide (en plus des dispositions contenues dans les lois de finances concernant ce fonds) et développer la distribution ou bien exonérer de paiement des frais d'impression les journaux qui sont dépourvus pas de rentrées publicitaires. Ils estiment, en ce sens, qu'il faut combattre l'idée fausse, selon laquelle l'aide de l'Etat aux journaux contribuerait à encourager la médiocrité. Une quatrième proposition : exonérer le papier d'imprimerie pour l'édition des journaux de la taxe douanière. Une vieille revendication qui n'a, cependant, jamais eu d'échos auprès des décideurs. Autre volet important, mais délaissé : la formation. Les éditeurs préviennent contre une mauvaise utilisation des 90 milliards de centimes qui y seront consacrés, au motif que des expériences de formation de ce type engagées par le passé n'ont pas donné leurs fruits. Au plan des charges, véritable bête noire de la presse algérienne, il est suggéré de prévoir des remises concernant les tarifs des communications téléphoniques et l'abonnement à l'APS, à la connexion à internet, et, d'une façon générale, pour tout ce qui concourt à la réalisation de journaux, comme l'acquisition de micro-ordinateurs,... Enfin, les éditeurs proposent de faire souscrire des abonnements à l'ensemble des institutions pour soutenir les journaux. Sachant que seules quelques grandes institutions centrales le font aujourd'hui. Ces quelques idées et propositions sont loin d'être exhaustives et n'ont pas la prétention de couvrir toute la réalité de la presse algérienne aujourd'hui. L'organisation d'un large débat permettra sans aucun doute de cerner avec rigueur et précision la situation de ce secteur et de dégager les solutions les meilleures pour son épanouissement au bénéfice de l'intérêt du pays.