1. Selon des chiffres officiels, les réserves de change de l'Algérie ont baissé d'un milliard de dollars entre fin décembre 2012 et fin mars 2013, l'encours des réserves de change du pays (non compris les 173 tonnes d'or) étant évalué à 189,768 milliards de dollars à fin mars 2013, contre 190, 661 milliards à fin décembre 2012, alors que les rapports du FMI tablaient sur 200 milliards de dollars, dont 86% placés en majorité en bons de trésor américains et en obligations européennes à un taux fixe de 3%. C'est la première fois que les autorités algériennes annoncent une baisse des réserves de change, traduisant une dépense sans précédent, puisée dans ces réserves qui s‘ajoutent aux recettes de Sonatrach, sur la base d'un cours 2012/2013 de 105/110 dollars durant cette période. En annonçant ces données alarmantes, le gouverneur de la Banque d'Algérie ne donne pas d'explication convaincante. Tout au plus le constat est toujours le même : l'Algérie reste très dépendante des hydrocarbures (98% des recettes en devises), qui ne sont pas inépuisables, et importe l'essentiel de ses besoins en produits et services, dont la facture a augmenté de plus de 400% entre 2002 et 2012 (45 milliards de dollars auxquels il faut ajouter 12 milliards de dollars de sorties de devises en services), toujours selon des données officielles. 2. Le président Abdelaziz Bouteflika a, durant ses deux précédents quinquennats, lancé deux plans de développement économique (2004/2009 et 2010/2013) avec un pré-plan de 7 milliards de dollars entre 2001/2003), d'un montant total de dépenses publiques de plus de 500 milliards de dollars (part devises et part dinars), financés grâce à la manne pétrolière et étaient destinés en grande partie à moderniser les infrastructures de base ou à réduire la crise du logement. Mais on ne connait pas, à ce jour, le bilan exact. Tout au plus, la majorité des experts et des rapports internationaux objectifs constatent des réévaluations sans fin, du fait de la faiblesse de la capacité d'absorption et un désordre dans la réalisation des projets sans vision stratégique globale, étant admis que les impacts sont mitigés par rapport aux dépenses, l'Algérie dépensant sans compter. C'est que le PIB algérien reste modeste à 188,6 milliards de dollars en 2012, selon le FMI, dont plus de 40-45 % générés par les hydrocarbures et tenant compte, en réalité, d'effets indirects de la dépense publique, via toujours les hydrocarbures. Et pourtant, le Président avait annoncé officiellement, début 2002, que cette politique d'investissements massifs visait à réduire la dépendance du pays vis-à-vis des hydrocarbures. Or, la situation de forte dépendance de la rente des hydrocarbures relève du manque de visibilité dans la démarche économique du gouvernement et d'une faiblesse dans la gouvernance. Les tares de l'économie algérienne résident dans la bureaucratie, l'insécurité juridique, la corruption qui atteint une ampleur inégalée, faute d'institutions de contrôle à la fois démocratiques et techniques, un système financier sclérosé et déconnecté du reste du monde, un système d'information économique peu fiable. 3. La crise économique mondiale n'ayant pas été prise au sérieux, l'Algérie peut-elle continuer à fonctionner sur la base de la dépense sur un cours variant entre 108/110 dollars? Peut-on continuer à verser des traitements sans contrepartie productive et avec une dominance d'emplois-rente voilant le taux de chômage réel sans craindre à l'avenir une hyper-inflation en cas de chute des cours d'hydrocarbures, ce qui ne permettrait plus une généralisation des subventions, comprimant artificiellement le taux d'inflation réel ? Peut-on continuer à appliquer la règle des 51/49% dans tous les secteurs, bien que cette règle n'ait pu permettre de réduire les importations ni favoriser la création de valeur ajoutée interne (selon l'ONS, 83% du tissu économique est dominé par le commerce et 90% du secteur industriel par les PMI-PME familiales, peu innovantes)? Elle n'a pas non plus permis de diminuer la corruption, bien au contraire. Un rapport, rendu public le 29 mai 2O13, par la Banque africaine de développement (BAD) sur la fuite de capitaux en Afrique, a fait ressortir que le montant de capitaux transférés d'Algérie de manière illicite (dominé par les surfacturations), durant la période 1980-2009, a atteint la somme astronomique de 173,711 milliards de dollars US. Ce montant faramineux représente 91,90% des réserves cumulées de l'Algérie à fin 2012 et aurait dû avoir pour conséquence une grande enquête d'envergure nationale. Certes, il faudrait avoir la méthodologie d'enquête de la BAD, le montant cumulé des recettes de Sonatrach entre 1980/2009 à prix constant (la parité du dollar n'étant pas la même en 2013 et en 1980), certainement ayant dépassé les 1500 milliards de dollars, puisque les recettes en devises, selon les bilans de Sonatrach, ont été de 600 milliards de dollars entre 2000/2012, pour déterminer la fraction du montant transféré à travers l'épargne de l'émigration, sachant qu'il existe une grande déconnexion entre le cours officiel et celui du marché parallèle depuis la date du rééchelonnement de 1994, quand le dinar a été fortement dévalué (le cours actuel étant d'environ 100 dinars pour un euro, le cours du parallèle oscillant depuis trois ans entre 140 et 150 dinars pour un euro). Comment, dès lors, peut-on parler d'attirer les capitaux étrangers alors qu'une minorité d'Algériens fait le transfert inverse traduisant le manque de confiance ? L'Algérie peut-elle continuer à supporter tous les surcoûts? On peut démontrer que, pour les projets lancés, la balance devises est négative pour l'Algérie , et ce, sans avoir permis un transfert technologique et managérial, étant entendu que certains investisseurs sont sûrs d'être payés du fait de l'existence de réserves de change, même en étant peu préoccupés par la qualité des ouvrages, en absence, dans la majorité des secteurs, d'un management stratégique et d'un suivi des projets réalisés par les étrangers ? 4. Les tensions sociales se généralisent du fait d'un appauvrissement d'une grande majorité d'Algériens, frustrés par l'étalement sans risque de redressement fiscal de richesse par une minorité. La crise de confiance atteint le sommet entre l'Etat et les citoyens, et ce, face à une corruption généralisée où tous les segments de la société réclament leur part de rente, et immédiatement. La crise mondiale est là, et le risque de toucher à terme l'Algérie, qui n'est pas une île déserte mais dépend essentiellement pour ses finances à 98% de Sonatrach», dont les réserves vont vers l'épuisement, avec une nouvelle carte géostratégique et énergétique mondiale à l'horizon 2017, notamment en matière de gaz dont le prix de cession ne sera plus indexé sur celui du pétrole et qui sera certainement revu en baisse, impliquant pour Sonatrach de réduire impérativement ses coûts, ce qui suppose un audit stratégique approfondi. Cette situation combinée aux évolutions géostratégiques futures, à moins d'une révision profonde de la gouvernance et un approfondissement des réformes structurelles toujours différées, tant politiques qu'économiques, tenant compte des nouvelles mutations mondiales, pourrait pénaliser l'Algérie par une chute de ses moyens de financement et accroître les tensions, d'où la nécessité de tirer des leçons des conséquences économico-sociales et politiques de la chute des cours d'hydrocarbures dans les années 1986/1987, dont l'onde de choc n'a pas encore disparu. Aussi, après de longs calculs, j'arrive à la conclusion que la période 2014/2020 sera une période de gestion de la crise en Algérie, et ce, compte tenu de la faiblesse du taux de croissance ( le FMI vient de revoir à la baisse le taux de croissance du pays en 2013, soit 2,8% au lieu des 3,3% prévus). Cela n'est que la conséquence du blocage systémique du pays avec des risques croissants de tensions sociales, du fait de la marginalisation du travail et de l'entreprise créatrice de richesse, avec une concentration du revenu au niveau d'une minorité rentière, traduisant la faiblesse de la morale et, donc, de l'Etat de droit et de la démocratisation. En fait, en ce mois de juin 2013, du fait d'un manque de visibilité, on peut résumer la situation du pays par cette phrase lapidaire : «aisance financière artificielle et inquiétude pour l'avenir».