Les événements tragiques du 8 Mai 1945 furent perçus à cette époque comme un précurseur final de la libération nationale qui s'annonçait dans le sentiment de chaque Algérien. L'on voulait, à l'instar de la célébration de l'armistice et la capitulation allemande, manifester son désarroi et son désir d'indépendance et le couronnement de la lutte du mouvement nationaliste. Une foule estimée aux environs de 10 000 personnes entamait son élan rue des Etats-Unis (mosquée de la Gare) et se dirige vers le centre-ville, rue Georges Clemenceau... Pacifiques, dépités et désarmés, les paisibles manifestants scandaient des slogans de paix et de liberté : «Indépendance», «Libérez Messali Hadj», «l'Algérie est à nous». Ils s'étaient donnés pour consigne de faire sortir pour la première fois le drapeau algérien. La riposte fut sanglante. De Sétif, elle s'est généralisée. Elle allait toucher tout le pays durant tout le mois de mai. L'Algérie s'embrasait sous les feux brûlants. Le 8 mai 1945 fut un mardi pas comme les autres. Un jour de marché hebdomadaire. Les gens massacrés, ne l'étaient pas pour diversité d'avis, mais à cause d'un idéal : la liberté. Ailleurs, il fut célébré dans les interstices de la capitulation de l'état-major allemand. Ce fut la fin d'une guerre, la Seconde Guerre mondiale. Ceci pour les Européens. Mais pour d'autres, en Algérie, à Sétif, Guelma, Kherrata, Constantine et un peu partout, ce fut la fête dans l'atrocité d'une colonisation et d'un impérialisme qui ne venait en ce 8 mai qu'annoncer le plan de redressement des volontés farouches et éprises de ce saut libertaire. Ce jeune scout fut le premier martyr de ces incidents. Saal Bouzid, 22 ans, venait par son souffle d'indiquer sur la voie du sacrifice, la voie de la liberté. K. Z., âgé alors de 16 ans, m'affirme non sans amertume à ce propos : « Il gisait mourant par-devant le terrain qui sert actuellement d'assiette foncière au siège de la wilaya. Nous l'avons transporté jusqu'au docteur Mostefai... L'émotion l'étouffe et l'empêche de continuer. Plusieurs autres acteurs et témoins encore en vie sont ainsi soumis à la souffrance du souvenir et le devoir de dire ce qu'ils ont vécu, vu, entendu dire et se dire. Ils craignent pour la postérité, l'amnésie. Se souvenir reste quand même une bonne expression de soi. Une reconnaissance méritoire pour autrui. Les quelques témoignages comme ci-dessus risquent, à peine d'être la cible d'historiens, de disparaître avec les quelques repères qui survivent encore. Parler à Sétif du 8 Mai 1945 rend obligatoire la citation de noms-phares. Abdelkader Yalla, Lakhdar Taarabit, Laouamen dit Baayou, Bouguessa Askouri, Gharzouli, Rabah Harbouche, Saâd Saâdna, Miloud Begag, Saâdi Bouras, Benattia... et beaucoup d'autres que seul un travail sérieux institutionnel pourrait lister et en faire un fronton mémorial. Pour preuve, et il est regrettable de le mentionner, même le moteur de recherche Google à Internet n'arrive pas à reconnaître ces usuels noms parmi d'autres. Dans les localités environnantes, à Sétif, Ras el Ma, Beni Azziz, El Eulma, des douars entiers furent décimés, des dechras et des familles furent brûlées vives. On raconte le martyre de la tribu des Meharga, notamment la famille Kacem. Korrichi, son fils Mohamed et son frère Nouari furent torturés et tués à bout portant après qu'ils eurent abattu l'un des éléments du corps expéditionnaire français.