Il s'agit bien d'aliment ou d'alicaments essentiels à la vie des jeûneurs et qui font l'objet de spéculations ou de tensions graves pendant le Ramadhan. Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous aimerions mettre tout le monde dans l'ambiance par souci de contextualisation. La première denrée, celle à laquelle on pense même si on n'en achète pas, c'est la viande, particulièrement celle du mouton, fortement désirée pour le goût qu'elle est capable de donner à la chorba, plat de base du f'tour. Elle a atteint les sommets vertigineux bien que le mouton algérien, le meilleur au monde, peut être élevé par millions de têtes étant donné les quantités immenses de fourrage dont dispose le pays et l'immensité des terres de parcours offrant des possibilités incommensurables pour les ovins. Et que de témoignages précieux pour nous éclairer ! «J'ai connu des hauts et des bas», dit la courgette étonnée cette année de n'avoir pas été privilégiée comme par le passé . Dans l'histoire des Ramadhan, on m'a recherchée pour la dolma, bonne pour la digestion et ses éléments nutritifs, dit-elle, avant d'ajouter que petite surtout avec les fleurs, j'ai suscité des convoitises mais hélas, dès le premier jour de ramadhan on m'a fait atteindre des hauteurs que seuls les riches ont pu atteindre. Quant aux plus pauvres, ils se sont contentés de me regarder au-dessus de leur tête. Cette année, et c'est tant mieux, je suis à la portée de la grande majorité mais les gens ont oublié depuis belle lurette la courgette farcie. Les consommateurs qui passent devant moi dans l'indifférence générale s'étonnent de me voir vendue à des prix variables mais dans l'ensemble dérisoires. Ce qui est arrivé à la sardine est incompréhensible. Rares sont ceux qui en mangent pendant le Ramadhan, en raison de sa teneur en sel. « Je suis bonne pour la santé, affirme-t-elle avec tristesse, tant je suis tombée à mon niveau le plus bas parce que c'est le Ramadan. Mais dès que le mois sacré passera, je reprendrai ma place sur les hauteurs à 400 ou 500 DA le kilo, alors qu'en ce moment je suis vendue à la criée à 100 DA. Je suis à l'inverse du poulet qui, lui, a connu une remontée rapide». Quand la viande bovine ou ovine est d'accès difficile, on se rabat sur le poulet. Il affirme n'avoir pas compris les ballottements imprévisibles qu'on lui fait subir. «Je suis vendu quelquefois à un prix abordable qui s'explique par la surproduction, sinon les nouvelles de contamination par la volaille atteinte de grippe aviaire. J'ai subi dans la douleur des chutes et des remontées brutales. En ce moment, je ne suis pas loin des 400 DA le kilo». Ce qui est arrivé à la tomate, à la courgette, au poulet, frappe de plein fouet la datte et le citron Pourquoi la datte et le citron ? C'est parce qu'ils entrent, la première pour casser le ramadhan, le second pour couper le gras de la chorba. La datte n'arrive pas à comprendre ce qui vient de lui arriver, elle nous le dit sur un ton de défi : «Je suis le fruit d'un grand arbre qui a les pieds dans l'eau et la tête dans le brasier, en plein désert des pays musulmans. Ma création a dû coïncider avec l'avènement des religions monothéistes. Maryam a donné naissance à sidna Aïssa, au pied d'un palmier. Le bébé a parlé pour dire à sa mère de secouer l'arbre pour faire tomber les fruits devant servir à lui donner des forces en s'en nourrissant. Depuis les origines, on a toujours recommandé aux musulmans de manger au moins une datte pour casser le ramadhan avant même la prière du maghreb précédant le f'tour. Que de péripéties j'ai traversées et d'expérience acquise depuis ma création. Les premiers musulmans se procuraient mes semblables, sans se ruiner pour recréer leur force. Aujourd'hui, cela devient impossible à 500 DA ou à 600 DA le kilo, pour une variété très moyenne. On connaît deglet nour par le nom, on n'en a jamais vu sur les étals; les marchands des boîtes blanches pour cacher mes défauts : le ver qui m'habite, la chair désagréable au goût quand elle n'est pas dure. Je suis triste de ne pouvoir apporter à tous les musulmans qui le désirent ou qui en ont pris l'habitude dans les mois de ramadhan passés, ce goût mielleux de la datte qui redonne de la force et du courage de continuer à jeûner. En ce début du mois sacré, un hadji m'a raconté avoir été frustré cette année pour n'avoir pu acheter de dattes qui ont atteint des sommets vertigineux. Ce qui m'a beaucoup émerveillé dans ses propos, c'est le récit de sa première journée de ramadhan. Cela fait deux fois 33 ans, par une journée épuisante de juillet au cours de laquelle ses parents l'avaient encouragé à terminer le jeûne en lui promettant de lui donner à manger de belles dattes, vendues partout à l'époque et à des prix raisonnables ». Faisons parler un autre fruit, le citron, indispensable pour la chorba, même si cette dernière est devenue anormale par le manque de viande. « J'ai subi, dit-il à peu près le même sort que la datte. Jadis, on se côtoyait pour des fonctions complémentaires, aujourd'hui, c'est la séparation et l'exclusion de la table du f'tour. Imaginez-moi vendu à 250 DA le kilo sinon plus lorsque je suis en pleine maturité et d'un jaune du citron typiquement algérien. Pourtant, aussi loin qu'on puisse remonter dans le temps, je suis de toutes les saison mais hélas ! les rapaces sont tels que tout a été brouillé. On me cueille vert pour me vendre à un prix exorbitant. L'acheteur ruiné n'obtient de moi que quelques gouttes, alors qu'en pleine maturité je suis capable de donner un demi- verre de jus ou un peu plus. Pour le moment, j'ai honte en attendant des jours meilleurs. Quelles tristes aventures.