Un parti proche des Frères musulmans au pouvoir. Une opposition laïque de plus en plus mobilisée. Une violence qui grandit. Des meurtres politiques. Il y a de quoi s'inquiéter de voir aujourd'hui la Tunisie suivre la voie de l'Egypte dans le chaos et la violence, enterrant les espoirs soulevés par le printemps arabe. En Egypte, le pouvoir passe d'un camp à l'autre dans un mouvement de balancier d'une extrême brutalité. La dictature militaire dirigée par Moubarak a été renversée par un formidable élan de contestation populaire qui mélangeait deux camps qui aujourd'hui s'affrontent. Pour schématiser, les laïcs et les religieux. Tous rêvant de plus de démocratie, c'est-à-dire d'élections libres. Les Frères musulmans ont d'abord pris le pouvoir, par des élections démocratique. Mais très vite, ils l'ont confisqué, nommant de partout des hommes a eux et écartant les partis d'opposition des différentes assemblées. Après des mois de ce régime étouffant, l‘autre partie de l'Egypte, plus laïque, qui ne voulait pas d'un régime religieux, même modéré, a renversé la vapeur. Avec l'aide de l'armée, le président Morsi a été écarté par la force. Depuis ce sont les laïcs qui reprennent le pouvoir, tous les pouvoirs, répondant par la répression à des manifestants qui légitimement contestent ce qui est, de fait, un coup de force. Tout pour les uns, rien pour les autres. Le pluralisme, qui est un fondement de la démocratie, est absent des esprits. Les deux camps sont dans un bras de fer où le pouvoir n'est pas à partager. Dès la chute de Ben Ali, la Tunisie a pris un autre chemin. A l'issue des élections à la proportionnelle, le pouvoir a été partagé. Le président de la République Marzouki vient de la gauche, proche des communistes. Il a gardé de ses années d'exil une rancœur contre la bourgeoise de Tunis et a vu d'un bon œil la victoire du parti populaire Ennahdha. C'est lui qui a l'initiative de ce gouvernement à trois, la troïka. Le gouvernement est dirigé par le parti islamiste Ennahdha qui a gagné les élections. Enfin, le président de l'Assemblée est lui le chef d'un autre parti de gauche, proche des socialistes.Trois pouvoirs (présidentiel, exécutif, législatif) présidés par trois partis différents et souvent en désaccord. La Constituante traîne à promulguer une nouvelle Constitution mais de fait, personne n'est écarté du processus politique. C'est la première différence fondamentale. L'armée ne prétend pas diriger le pays En Egypte, depuis Nasser et l'indépendance du pays, l'armée est le cœur du pouvoir. Elle dirige tout, décide de tout, intervient quand elle le souhaite pour protéger ses intérêts. Sa puissance à l'échelle du pays est considérable. Les militaires ne veulent pas rentrer dans leurs casernes et laisser faire les civils comme l'ont montré les événements récents. En Tunisie c'est tout le contraire. L'armée ne prétend pas jouer un rôle politique. Lors de la révolution, elle est descendue dans la rue pour éviter que des affrontements sanglants éclatent. Mais les manifestants sont allés spontanément à la rencontre des militaires pour leur dire merci d'être là. Et à ma connaissance aucun militaire n'a ouvert le feu dans la rue. En Tunisie, c'est la police qui a du sang sur les mains, pas l'armée. De fait donc, les rapports de force politiques se règlent entre civils. La politique d'éducation obligatoire dès l'école primaire dans les années 60, le statut d'émancipation de la femme qui a permis aux Tunisiennes d'obtenir tous les droits (parfois même avant les Françaises), l'importance donnée dans les familles aux études et aux carrières d'ingénieur, d'enseignant, d'avocat plutôt qu'aux carrières militaires comme en Egypte; font que la société civile tunisienne est incroyablement plus politisée, responsable et tolérante qu'en Egypte où, encore une fois, la force est souvent le moyen de régler un problème. Depuis longtemps, la Tunisie joue un rôle de phare et de modèle politique dans le Moyen-Orient. J'espère que mon optimisme ne sera pas pris en défaut par les événements futurs. La Tunisie est en proie aux tensions profondes qui ne sont toujours pas résolues depuis les printemps arabes. La démocratie oui, mais pour quoi faire ? Instaurer un régime laïc, pluraliste, ouvert, où la morale religieuse est affaire personnelle... en gros un modèle européen ? Ou un régime conforme avec l'esprit de l'islam au prétexte que la culture arabe est profondément liée à l'islam ? R. I./Agence