Les pourparlers réunissant islamistes au pouvoir et opposants pour résoudre en un mois une profonde crise politique en Tunisie, lancés vendredi, devaient entrer samedi dans le vif du sujet avec la reprise des travaux de la Constituante. Le lancement de ce dialogue national vendredi après-midi a pu avoir lieu après que le Premier ministre Ali Larayedh a fourni un engagement écrit de laisser dans trois semaines la place à un cabinet apolitique avec à sa tête un nouveau chef de gouvernement qui doit être désigné d'ici une semaine. Les représentants du parti islamiste Ennahda et de l'opposition ont planché jusqu'à tard dans la nuit de vendredi à samedi pour former un comité chargé de composer la future équipe gouvernementale, a rapporté le syndicat UGTT, principal médiateur de ces pourparlers à huis clos. Hier, samedi, les négociateurs des différents partis devaient se retrouver dans la matinée pour former la commission d'experts chargés de l'aider à finaliser le projet de Constitution, en cours d'élaboration depuis deux ans. Ils devront aussi fixer le calendrier de leurs travaux pour la semaine avenir. En parallèle, les activités de l'Assemblée nationale constituante (ANC) doivent reprendre avec le retour de la soixantaine d'élus d'opposition qui boycottaient ses travaux depuis l'assassinat du député d'opposition Mohamed Brahmi qui a achevé de paralyser la vie institutionnelle du pays. Les chefs des groupes parlementaires doivent se réunir dans la matinée, puis dans l'après-midi ce doit être le tour de la commission «de consensus constitutionnel» qui doit travailler sur le projet de Constitution avec les négociateurs. La commission en charge de sélectionner les candidats pour composer une instance électorale indépendante doit aussi se réunir dans l'après-midi. L'ANC a sept jours, selon la feuille de route rédigée par les médiateurs, pour former cette commission qui aura la charge d'organiser les prochaines élections législatives et présidentielle. Malgré le lancement vendredi des pourparlers après trois mois de bras de fer et de multiples reports, la méfiance restait de mise dans le pays. «La vigilance sera la règle pour tous ceux qui veulent que ce processus réussisse car nous ne sommes évidemment pas à l'abri des habituelles tentatives de marchandage d'Ennahda», a estimé l'élue d'opposition Selma Mabrouk sur sa page Facebook. Tout en exprimant un certain soulagement samedi, la presse tunisienne doutait aussi de la capacité des politiques à dégager un consensus. «La tâche du dialogue national n'est pas de tout repos. Les partis politiques devront s'entendre en trois semaines voire un mois sur ce qu'ils ne sont pas parvenus à déblayer pendant deux ans», relevait Le Quotidien. La Presse se demandait aussi si tous les protagonistes étaient «réellement attachés à faire aboutir ce dialogue national de la dernière chance». L'esquisse de sortie de crise intervient alors que la Tunisie est confrontée à la multiplication des violences djihadistes ces derniers mois, des attaques ciblant les forces de l'ordre et l'opposition et attribués à des cellules d'Al-Qaïda. La mort de six gendarmes et d'un policier mercredi dans deux incidents séparés a d'ailleurs entraîné des manifestations de colère dans leurs villes natales vendredi, jour des funérailles. L'opposition accuse les islamistes d'être responsables, par leur laxisme vis-à-vis des salafistes, de la dégradation sécuritaire dans le pays, alors que l'état d'urgence est en vigueur depuis la révolution de janvier 2011. Les assassinats en février et en juillet des opposants Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, attribués à des djihadistes, étaient à ce titre au cœur de la crise politique qui a fini par pousser le gouvernement à accepter de céder la place à des indépendants. Les conflits politiques ont aussi nourri l'anémie économique, alors que les revendications sociales étaient au cœur du soulèvement contre Zine El Abidine ben Ali. Dans ce contexte, l'Utica, le patronat tunisien et autre médiateur a souligné samedi «la sensibilité de la situation économique du pays», en rappelant que «la reprise du rythme des investissements (était) tributaire de la mise en place d'un climat de sécurité et de stabilité».