Après une dizaine de jours de l'amorce du dialogue national, et après l'expiration de la prolongation de 36 heures, le peuple tunisien ignore encore le nom du futur Premier ministre, qui conduira la troisième étape transitoire devant acheminer la Tunisie vers des élections démocratiques et plurielles. La classe politique ne déroge pas à la règle et s'enlise dans les querelles et les procrastinations, faisant prolonger ce lourd climat d'incertitude qui plane depuis plus de trois mois sur le pays. La feuille de route de sortie de crise assortie de délais chronométrés rate donc son début, avec l'incapacité des rivaux politiques assis autour de la même table des négociations sous la houlette du quartette, de parvenir à s'entendre autour de la personnalité la plus à même de diriger le pays pendant une courte mais décisive étape, et de réussir le processus transitoire. Cela sous-tend que toutes les autres étapes de l'initiative vont s'en ressentir, et que les délais qui y sont inscrits n'engageront, in fine, que ceux qui les ont proposés. Le blocage provient de l'attachement obstiné de chaque partie à un candidat, qu'elle juge le plus capable de relever les défis de cette étape et de mener la Tunisie à bon port. Ennahdha qui n'a proposé aucun candidat au départ, exprime un soutien ferme au candidat de son allié de la troïka, Ettakatol, en l'occurrence, Ahmed Mestiri. Le parti islamiste voit en ce vétéran de la politique tunisienne l'homme de la situation, mettant en avant son passé militant honorable, son attachement à la démocratie, son intégrité, sa longue expérience, et le fait qu'il se tienne à distance égale de tous les partis. L'opposition, notamment le Front populaire, rejette farouchement la candidature d'Ahmed Mestiri, invoquant son «âge avancé qui ne l'habilite pas à s'acquitter de la lourde mission qui lui sera impartie». Elle s'accroche opiniâtrement à Mohamed Ennacer qui sera plus apte, à ses yeux, à tenir les rênes du pays pendant «cette période difficile et émaillée de défis». Cette énième polémique qui s'est ravivée pendant le week-end intervient sur fond de passe d'armes par médias interposés. Ennahdha accuse ses adversaires politiques «de venir au dialogue, sans y croire vraiment avec l'intention de confisquer le gouvernement». L'opposition, spécifiquement le Front populaire, accuse Ennahdha «de vouloir quitter le pouvoir par la porte, pour y revenir par la fenêtre, et de chercher à maintenir le prochain Premier ministre sous sa coupe». Les tiraillements habituels en somme font que ce conclave censé être consensuel ne réussit pas à en venir à bout. Cela dénote de la profondeur de la crise de confiance qui règne entre les deux parties, et qui fait qu'ils soient incapables de regarder dans la même direction. Ennahdha qui ne cesse de répéter qu'il a quitté le gouvernement de son propre gré, dans l'intérêt du pays et par souci de consensus, a peur que le futur locataire de la Kasbah n'ait un agenda inspiré du scénario égyptien, que cette période transitoire soit prolongée sine die, et que les prochaines élections soient renvoyées aux calendes grecques. Pour Ennahdha et la troïka, la principale priorité du chef du gouvernement est de hâter l'organisation des élections dans un horizon proche. Il n'est pas tenu d'ouvrir de grands chantiers ou de conduire de grandes réformes économiques. L'opposition, et c'est le Front populaire qui monte au créneau, estime que le futur gouvernement doit avoir une politique énergique sur le plan économique et sécuritaire, et corriger les erreurs de la troïka. Certains dirigeants de l'opposition n'excluent pas que les responsables actuels soient tenus «de rendre des comptes», sous le prochain gouvernement, pour des fautes qu'ils auraient commises. Face à ces divergences implacables, des scénarios de rechange sont posés. Des sources médiatiques concordantes n'excluent pas le recours à une troisième personnalité, autres que Ahmed Mestiri et Mohamed Ennacer, pour diriger le futur gouvernement ; le nom de Abdelkarim Zbidi refait surface.