«Le terme d'économie politique désigne les tentatives d'analyser l'intersection de l'économie et de la politique au niveau des changements institutionnels et des choix politiques, que ces tentatives reflètent la nouvelle économie politique qui prend racine dans l'économie ou (qu'ils reprennent) une tradition d'analyse distincte fondée sur la sociologie.» Merilee S. Grindle (in Meier et Stiglitz, 2000) Pour ce qui concerne le développement institutionnel, la situation est plus complexe que pour les politiques industrielles, commerciales et technologiques. On peut toutefois affirmer que la plupart des institutions aujourd'hui recommandées aux pays en développement comme faisant partie de la boîte à outils de la «bonne gouvernance» ont été le résultat, plus que les causes, du développement économique des PAD à ses débuts. Il n'est donc pas évident de déterminer quelles sont celles qui sont en fait «nécessaires» aux PAD - tellement nécessaires, aux yeux des organismes internationaux en charge du développement, qu'elles doivent être imposées à ces pays par de fortes pressions externes, aussi bien bilatérales que multilatérales. Soutenir que nombre des institutions habituellement recommandées par le discours sur la «bonne gouvernance» peuvent ne pas être nécessaires, ni même favorables, aux pays actuellement en développement ne veut pas dire qu'elles n'ont aucune importance ou que les pays en développement n'ont pas besoin d'améliorer leurs institutions. Au contraire. Historiquement, les améliorations de la qualité des institutions semblent bien être allées de pair avec de meilleures performances en matière de croissance. Attention ! Les «bonnes» institutions ne produisent de la croissance que lorsqu'elles sont combinées avec de «bonnes» politiques. Or on doit constater que, malgré des progrès continus - et qui s'accélèrent probablement - dans la qualité de leurs institutions, les PED ont vu ces vingt dernières années un ralentissement marqué de leur croissance. Cela est essentiellement dû à leur incapacité chronique à mettre réellement en œuvre de «bonnes» politiques de développement en raison de réformes incomplètes et surtout inachevées. Nuances entre croissance et développement Les deux termes ne sont évidemment pas équivalents. Avec «croissance économique», nous sommes dans le quantitatif, on mesure ce que les hommes ont réussi à produire au cours d'une année et on observe l'augmentation de ces quantités produites. La croissance correspond à un accroissement durable de la production globale d'une économie. Le développement désigne l'ensemble des transformations économiques, démographiques et sociales qui généralement accompagnent la croissance. Ces mutations structurelles et qualitatives rendent la croissance irréversible. Il est donc difficile d'envisager qu'il y ait croissance à long terme sans développement. Mais produire plus (la croissance économique) ne peut pas être présenté comme l'objectif ultime d'un pays. Le «développement» inclut la réflexion sur ce que l'on fait de ce qui est produit et sur les transformations des structures économiques et sociales que la poursuite de la croissance entraîne et implique. En simplifiant, la croissance, c'est avoir plus ; le développement, c'est être mieux tout en rendant possible la poursuite de la croissance. Equité et développement économique L'idée de développement économique suppose une création de richesse et est sous-tendue par l'idée de progrès dès lors qu'il entraîne, en principe, une progression du niveau de vie des populations concernées. En termes d'évaluation, il convient de noter que l'indicateur habituel du développement économique, même s'il est contesté, reste le PIB qui est une somme des valeurs ajoutées sur un territoire donné. Il nous semble néanmoins que l'équité est par définition une condition intrinsèque du développement au sens large, si l'on admet que le développement n'est pas seulement un concept économique (le niveau de PIB par habitant) mais inclut le respect des droits humains, dont l'égalité des chances et l'absence de pauvreté absolue sont parties intégrantes. Economie sociopolitique du développement L'économie sociopolitique du développement (ESD) se donne pour objet l'étude des interactions entre des processus sociopolitiques et économiques dans la dynamique du développement. Elle se réclame des grands classiques sur l'émergence du capitalisme (Weber, Marx, Braudel...) et sur ses transformations (Schumpeter, institutionnalistes, etc.). Elle prolonge les textes fondateurs des années 1950 sur le sous-développement et sur les stratégies de développement (Hirschman, Myrdal, Rostow dans ses travaux historiques...). Et elle bénéficie — au point parfois de s'y perdre — de la masse d'informations réunies grâce à la mobilisation, notamment à partir des années 1960, de toutes les sciences sociales (histoire, anthropologie, démographie, science politique) sur les transformations observées dans les sociétés traditionnelles dominées. Elle se méfie principalement de l'impérialisme des économistes «purs» dans les diagnostics ; elle entend insister sur la complexité des sociétés et la pluralité des valeurs, au point, parfois, de refuser de formuler des projets économiques ou même de recommander le développement. Elle accorde, à l'inverse, une attention prioritaire à l'histoire des conflits, des armistices et des compromis sociaux nationaux et internationaux. Elle focalise son attention sur l'historicité et la diversité des institutions, des histoires sociales et politiques, des modes de formation et d'érosion des Etats, des nations, des mouvements sociaux, des politiques publiques et des trajectoires de développement (ou de sous- développement). Tant qu'elle est demeurée fidèle à son propos initial (la mise en évidence des interactions entre économies, politiques et sociétés), elle a su mettre au jour des interactions de plus en plus complexes et de plus en plus fines. Elle a, au contraire, connu des échecs et perdu beaucoup de temps lorsque, dans ses diagnostics ou ses recommandations, elle a voulu établir la primauté de l'économique sur le politique. Economie de marché De fait, «économie de marché» constitue une manière détournée de dire «capitalisme». Il est facile de comprendre le succès de cette formule euphémique désormais consacrée, car parler de «capitalisme» suggère directement l'existence de «capitalistes», c'est-à-dire d'une classe sociale dominant un système hiérarchisé, alors qu'«économie de marché» renvoie à une société d'égaux. Comme le résumait Maurice Allais en 1954, «toute situation d'équilibre d'une économie de marché est une situation d'efficacité maximale, et réciproquement toute situation d'efficacité maximale est une situation d'équilibre d'une économie de marché». Fermez le ban, la messe est dite ! La question peut paraître a priori saugrenue. Donner plus de place au marché entraîne forcément les économies vers plus de libéralisme, c'est une évidence. Les économistes peuvent se battre, et ils ne s'en privent pas, pour savoir dans quelle mesure le marché est un mode d'organisation efficace économiquement et socialement optimal. Mais cela ne change rien au fond de l'affaire : ce sont bien les libéraux qui réclament plus de marché, de concurrence et de liberté pour l'initiative individuelle. Le marché est libéral. Mais dans l'économie de marché, la concurrence est rarement libre et quasiment jamais «non faussée». Au même titre que d'autres instances de régulation, l'Etat y est toujours présent, réclamé par les acteurs privés eux-mêmes ; et les compromis politiques sont à la base des règles qui permettent aux marchés de fonctionner. Qui a dit que le marché était libéral ? Le marché nécessite donc des institutions politiques stables pour assurer une régulation économique optimale par les prix. Le marché, par l'instauration de la concurrence, génère des gains de productivité qui sont un préalable nécessaire au processus de développement. La régulation marchande et celle de l'Etat ne s'opposent pas, elles sont complémentaires. Il s'agit donc de développer les synergies entre secteur public et secteur privé, comme l'ont très bien réalisé la plupart des nouveaux pays industrialisés (NPI). Rôle décisif de l'Etat dans le développement Il se perçoit en s'éloignant de la thèse de l'Etat minimal, sans abandonner pour autant la méfiance envers les Etats interventionnistes et développeurs. Il n'y a pas de changement d'attitude à l'égard du marché, et il s'agit moins d'une critique du libéralisme que d'un approfondissement théorique et philosophique de sa forme anglo-saxonne (Campbell, 2001). Ce que l'on demande à l'Etat et aux institutions, c'est essentiellement de faire respecter le droit, la propriété, le respect des contrats, l'impartialité des décisions de justice et leur effectivité. Il est reconnu que le marché n'est pas la condition suffisante du développement et qu'il faut des politiques publiques pour le faire apparaître et respecter ; mais il n'est encore guère question de rectifier le marché par des politiques publiques. Progressivement, les (IFI), après avoir recommandé la réhabilitation de l'Etat, la rigueur macroéconomique, l'amélioration des projets et la défiance à l'égard des gouvernements rentiers et prédateurs, ont réuni l'ensemble de ces prescriptions sous le vocable de «bonnes politiques» nécessaires et suffisantes pour réussir un développement. Le vocabulaire s'éloigne alors nettement des anciennes critiques de toute action des Etats. On met au premier plan les institutions et même parfois les Etats forts. Depuis lors, il n'est plus d'ouvrage orthodoxe qui n'insiste sur la nécessité de ces bonnes politiques publiques et ne renchérit, en outre, sur la nature proprement politique des décisions de développement. Même les conseils des bailleurs de fonds, naguère supposés être apolitiques et scientifiques, se présentent désormais comme politiques. Cette réhabilitation ne va cependant que rarement jusqu'à faire l'inventaire des défaillances du marché qui pourraient justifier les politiques publiques. Au reste, les attributions du label de «bonnes» politiques ne sont pas toujours très précises. Lorsqu'il est attribué ex post, c'est parfois au vu, non des méthodes, mais du succès d'un pays, ce qui frôle la tautologie Mais la Banque mondiale (BM) a fait un pas de plus dans la réhabilitation des politiques publiques, depuis qu'elle a mis au centre de sa stratégie la lutte contre la pauvreté. Il est désormais admis qu'il existe des défaillances du marché que l'Etat peut et doit corriger. Il est aussi reconnu que la répartition n'est pas spontanément optimale et qu'il peut être souhaitable de procéder à des politiques de redistribution des revenus, des patrimoines et des pouvoirs. Il est même admis que la démocratie n'est pas spontanée, qu'elle n'a peut-être pas de formes universelles et que la démocratie représentative doit se voir substituer une démocratie participative (ce qui peut être discuté). Enfin, il est à nouveau reconnu que les bailleurs de fonds doivent, comme au premier temps de la lutte contre le sous-développement, aider les politiques visant la satisfaction des «besoins essentiels». On met à nouveau l'accent sur les politiques de santé, d'éducation, de création d'emplois et de lutte contre l'exclusion. Il serait excessif de parler d'un retour, au niveau mondial, des politiques sociales naguère minées par la globalisation purement économique. Mais il y a, partout, réhabilitation de politiques sociales relevant, au moins partiellement, des autorités publiques. D'ailleurs, si la réhabilitation de ces politiques se fait parfois avec un vocabulaire nouveau (on dira qu'il faut renforcer les facteurs de «croissance endogène»), elle retrouve aussi un vocabulaire traditionnel (on traite de «services sociaux», ou même de «services publics»). La démocratie Pour M. Duverger, la démocratie est le système où «les institutions politiques reposent sur les principes fondamentaux suivants : souveraineté populaire, élections, parlements, indépendance des juges, libertés publiques, pluralisme des partis», tout cela devant permettre d' «empêcher que le pouvoir politique ne soit trop fort, afin de préserver les libertés des citoyens». On peut retenir de cette définition que la démocratie est l'instrument qui permet de réaliser la liberté des citoyens. Pour J.H. Hallowell, «la démocratie repose sur le principe que nul gouvernement n'est légitime si son autorité et ses fonctions ne découlent pas du consentement des gouvernés». Dès lors, «afin de garantir qu'un gouvernement est effectivement fondé sur le consentement des gouvernés, que la politique gouvernementale est bien le reflet d'une réflexion et d'une décision populaires, il existe un certain nombre d'institutions créées à cette fin». Parmi ces institutions, il cite les «libertés civiles», un «système judiciaire impartial» et une «Assemblée législative élue par le peuple».