Si l'on convient de l'apparition explicite du terme dans la littérature de la Banque mondiale en 1989, le concept de gouvernance a fait fortune depuis vingt ans dans les discours politiques. Doit-il son succès à la précision de son sens ou au contraire à son élasticité ? Quel est son rapport réel à la construction démocratique ? D'origine Grecque (Kubernân) le terme gouvernance a transite par le latin (gubernare) pour séjourner dans la langue anglaise (Governance) depuis plus de sept siècles avant de resurgir dans la langue française ces dernières années, après une longue désuétude provoquée par son association au vocabulaire de l'Ancien Régime. La gestion d'entreprise l'avait exhumé dés 1970 pour mettre en exergue la nécessaire association des actionnaires à la prise de décision. La pensée politique le remettra au goût du jour dans les années 1980 pour qualifier le recentrage des fonctions gouvernementales sur les objectifs de régulation. Il fera irruption dans l'espace politique des pays en développement dans les années 1990 pour désigner les nouvelles conditionnalités qui accompagnent l'aide au développement. Dans les années 1980 la mise en oeuvre des programmes d'ajustement structurel avait fini par miner les bases sociologiques des Etats des pays en développement en les éloignant des préoccupations réelles des populations. La bonne gouvernance par la condionnalité politique qui liait désormais les programmes d'aide, était censée y relancer la transition démocratique. Il ne s'agit pas ici de refaire l'historique du concept mais juste de rappeler rapidement et brièvement ses origines pour pouvoir examiner son rapport à la démocratie. - Les principaux éléments de la bonne gouvernance tels que précisés par l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (O.C.D.E) sont : - La responsabilité : l'obligation pour les administrations publiques de s'engager sur des objectifs précis et d'en rendre compte. - La transparence : les déterminants de la décision et de l'action publique sont portés à la connaissance des autres acteurs de la vie publique (institutions publiques, parlement, société civile). - Efficacité : adéquation entre les qualités des services rendus aux citoyens et les attentes de ces derniers. - Flexibilité : capacité des autorités publiques de tenir compte de l'évolution de la société et d'adapter les réponses à ses demandes. - Anticipation : capacité des autorités publiques d'évaluer les changements publiques et de prévoir leur prise en charge à partir des données disponibles et des tendances observées. - Primauté du droit : observance et application de la loi et de la réglementation. Mais dans la réalité ces principes ne conduisent pas nécessairement au déclenchement d'un processus de démocratisation de la vie politique. Leurs concepteurs comme leurs destinataires en sont arrivés à les moduler en fonction de leur propre perception de la construction démocratique et surtout en fonction de leurs intérêts économiques. Par ailleurs à aucun moment le système d'octroi des aides n'a été effectivement connecté au respect de ces exigences. Ainsi si un libéralisme économique «dérégulé» a fini par s'imposer, il n'a pas toujours été accompagné d'un libéralisme politique. L'habit politique de la gouvernance n'a pas provoqué l'évolution qualitative attendue dans le fonctionnement institutionnel et les relations entre les acteurs de la vie politique. L'insuccès de la formule a encouragé la France qui n'avait adopté officiellement le concept que dans le milieu des années 1990 à revenir à son offre initiale de coopération institutionnelle. La proposition d'une gouvernance démocratique est avancée en 2003 dans la politique de coopération française. Elle part du principe «que le respect des normes constitutionnelles et des droits de l'homme et du citoyen, l'application effective de la séparation des pouvoirs, la sécurisation des relations juridiques avec notamment le respect des droits de la défense, les procès organisés avec équité et la possibilité d'exercer des voies de recours, constituent des fondements sans lesquels un développement harmonieux ne peut être envisagé». Et tout en refusant la «transposition de systèmes, de procédures ou de normes en vigueur dans les pays développés, sans tenir compte des réalités socioculturelles», elle affirme les caractéristiques communes de tous les régimes démocratiques : - Equilibre des pouvoirs - Multipartisme - Elections libres et périodiques - Liberté de la presse - Participation de la société - Contrôle parlementaire. Mais alors ne s'agit-il pas tout simplement de la reconnaissance que le développement ne peut se concevoir sans les fondements démocratiques qui exigent que toutes les institutions se soumettent à la loi, dans leur formation et dans leur fonctionnement, que tous les citoyens jouissent de l'égalité devant la loi, que les droits de l'homme soient respectés et que les libertés fondamentales s'exercent librement. Pourquoi a-t-il fallu un si long détour qui a d'abord réduit la gouvernance à une simple guidance, l'affublant ensuite d'un qualificatif pour conjurer ses néfastes effets pour enfin l'associer à l'ultime système de gouvernement auquel l'humanité n'a pas encore trouvé de meilleur substitut ? Cela ne procède t-il pas d'une perception condescendante des pays en développement et particulièrement des pays africains ? Il est aujourd'hui unanime que les programmes de coopération proposés aux pays en développement ont non seulement échoué mais ont même fait obstacle au changement. Les politiques d'ajustement structurels se sont focalisés sur les équilibres macro-économiques, privant progressivement l'Etat de ses compétences économiques. Les programmes de la bonne gouvernance en privilégiant à outrance l'initiative privée ont dépouillé l'Etat de ses instruments de médiation, le réduisant à l'inertie devant les contradictions flagrantes des intérêts au sein de la société. En quoi la gouvernance démocratique peut-elle échapper aux insuffisances des formules qui l'ont précédée ? La réhabilitation de l'Etat dans la fonction de garant de l'intérêt général est-elle suffisante ? Comment cette fonction va t-elle s'articuler avec les interventions des autres acteurs de la société ? La nouvelle vision part du principe que les édifices institutionnels des pays en développement ne sont pas outillés pour faire jouer au système de représentation élective un rôle actif dans les procédures de prise de décision. L'absence des données économiques statistiques et financières ou la difficulté d'accès à celles qui existent rend tout débat stérile et tout contrôle infructueux. La gouvernance démocratique doit donc oeuvrer à lever ces obstacles en soutenant tous les acteurs du jeu démocratique et en accordant des appuis à toutes les actions visant à réhabiliter les principes de transparence, de responsabilité, de participation et de contrôle. En clair la bonne gouvernance ne peut se concevoir sans un Etat de Droit. Dans ces conditions ce ne sont pas les principes de la bonne gouvernance qui conduisent vers la démocratie, c'est l'état de démocratie qui engendre la bonne gouvernance. Et dans cette logique l'inversion des termes de l'équation Démocratie - Gouvernance ne peut conduire qu'à l'échec.De fait la gouvernance ne peut être bonne avant d'être légitime. La gouvernance est le fait d'un pouvoir et ce pouvoir n'est légitime que s'il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires. La légitimité démocratique est alors le seul fondement de la gouvernance et son seul gage de succès. Il faut cependant reconnaitre que la société moderne se caractérise par l'émergence incessante et accélérée de problèmes et de questionnements que l'appareil de l'Etat dans sa seule dimension élective ne peut ni saisir convenablement ni y répondre de façon satisfaisante. La légitimité élective ne peut garantir à elle seule l'intérêt général. La complexité de la demande sociale nécessite une compétence pour son traitement et sa fréquence la participation des citoyens. Ainsi la légitimité démocratique se réalise au point d'équilibre entre ses trois formes : Elective, Citoyenne et de Compétence. Dés lors faire prévaloir la gouvernance sur la construction démocratique c'est continuer à soutenir que pour les pays en développement, la liberté de l'homme ne se conçoit qu'à travers la liberté du capital. Bibliographie : 1)- Benyahmed Bachir : Démocratie et bonne gouvernance, ce que je crois : Jeune Afrique, 23.02.2009 - [email protected] 2)- Brassier Tido : Démocratie ou Bonne Gouvernance : Que demandent les Africains, 19 Juin 2009 - www.tultogo.com 3)- Oyatambwe Nanu : Réflexions sur «la Bonne Gouvernance en Afrique» www.congonline.com/forum1/forum08/oyatambwe03 4)-Gouvernance: http://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernance 5)- Pour une Gouvernance Démocratique : document d'orientation de la politique de coopération française. www.diplomatie.gouv.fr 2003. 6)- Principaux Eléments de la Bonne Gouvernance - O.C.D.E : www.oecd.org