Les dernières tensions entre les Etats-Unis et la Russie au sujet des opérations de Greenpeace en Arctique n'ont fait que confirmer un fait que personne ne daigne plus nier : les élites politiques et financières occidentales haïssent viscéralement Vladimir Poutine et elles sont épouvantées par le comportement de la Russie, à la fois au niveau de sa politique intérieure et sur la scène internationale. Cette tension était assez visible sur les visages d'Obama et de Poutine au sommet du G8 du Lough Erne où les deux leaders avaient l'air absolument dégoûtés l'un de l'autre. La situation empira lorsque Poutine fit quelque chose de jamais vu auparavant dans l'histoire de la diplomatie russe : il déclara publiquement que Kerry était malhonnête et il le traita même de menteur. J'aimerais partager ici une dernière anecdote personnelle : ces jours tragiques furent plutôt incroyables pour moi. J'étais un jeune homme, né dans une famille d'émigrés russes fanatiquement anti-soviétiques, qui avait passé beaucoup d'années à combattre le système soviétique, et particulièrement le KGB. Et pourtant, ironiquement, je me suis retrouvé à passer la plupart de mon temps avec un colonel d'une unité des forces spéciales du KGB (la manière dont nous nous sommes rencontrés est une longue histoire que je raconterai une autre fois). Ce qui me semblait encore plus incroyable est le fait que malgré toutes nos différences, nous avions exactement la même réaction face à ce qui se passait devant nos yeux. Nous avons tous deux décidé que nous ne pouvions soutenir aucun des partis engagés dans ce conflit – les deux côtés nous semblaient tout aussi ignobles l'un que l'autre. J'étais dans son appartement quand ce colonel reçut un appel du quartier général du KGB lui ordonnant de se rendre quelque part en ville pour préparer un assaut des forces spéciales contre la «Maison Blanche» (c'était alors le surnom populaire du bâtiment du Parlement russe) : il refusa d'obéir, envoya son supérieur au diable et raccrocha. Il n'était pas le seul à prendre une telle décision : tout comme en 1991, ni les parachutistes russes, ni les forces spéciales n'acceptèrent de tirer sur leur propre peuple (d'autres forces, soi-disant «démocratiques», n'eurent pas de tels scrupules). Au lieu d'obéir aux ordres de ses supérieurs, mon nouvel ami prit le temps de me donner des conseils très précieux sur la manière de faire sortir un de mes proches de Moscou sans se faire tuer ou emprisonner (être un Russe de souche avec un passeport étranger n'était pas très sûr en ces temps-là). Je tenais à raconter cette histoire ici parce qu'elle souligne quelque chose de très important : en 1993, une large majorité de Russes, même des émigrés exilés et des colonels des forces spéciales du KGB, étaient profondément dégoûtés et en avaient véritablement marre des deux côtés qui s'affrontaient dans cette crise. D'une certaine manière, on pourrait dire que la plupart des Russes attendaient l'apparition d'une troisième force sur la scène politique. De 1993 à 1999 : un cauchemar démocratique Après l'écrasement de l'opposition par les sbires d'Eltsine, les portes de l'Enfer s'ouvrirent véritablement pour la Rus- sie : diverses mafias s'emparèrent de tout le pays et ses riches ressources naturelles furent pillées par des oligarques (Juifs pour la plupart). La soi-disant «privatisation» de l'économie russe créa à la fois une nouvelle classe de multimillionnaires et plusieurs dizaines de millions de très pauvres gens qui pouvaient à peine survivre. Une vague de crime énorme déferla sur l'ensemble des villes, toute l'infrastructure du pays s'effondra et de nombreuses régions de Russie commencèrent activement à préparer leur sécession de la Fédération de Russie. Il fut ainsi permis à la Tchétchénie de faire sécession de la Fédération de Russie après une guerre sanglante et grotesque dans laquelle l'armée russe fut poignardée dans le dos par le Kremlin. Et tout au long de ces années vraiment cauchemardesques, les élites occidentales apportèrent leur soutien total à Eltsine et ses oligarques. La seule exception à cette lune de miel fut le soutien politique, économique et militaire apporté par la sphère anglo-saxonne aux insurgés tchétchènes. Finalement, ce qui devait arriver arriva : le pays se déclara en faillite en 1998 en dévaluant le rouble et en se mettant en défaut de paiement de ses dettes. Même si nous ne le saurons jamais de manière sûre, je suis persuadé que la Russie en 1999 était à deux pas de disparaître complètement en tant que pays et en tant que nation. L'héritage laissé par les libéraux/démocrates Ayant écrasé l'opposition en 1993, les libéraux russes obtinrent une liberté totale pour écrire une nouvelle Constitution qui conviendrait parfaitement à leurs objectifs, et avec leur courte vue caractéristique, ils adoptèrent une nouvelle Constitution qui donnait des pouvoirs immenses au Président et très peu au nouveau Parlement, la Douma russe. Ils allèrent même jusqu'à l'abolition du poste de vice-président (ils ne voulaient pas d'un autre Routskoï pour saboter leurs plans). Et pourtant, aux élections présidentielles de 1996, les libéraux faillirent tout perdre. A leur horreur, le candidat communiste Guennadi Ziouganov remporta la majorité des votes au premier tour, ce qui força les libéraux à faire deux cho-ses : premièrement, bien sûr, ils falsifièrent les résultats officiels, et deuxièmement, ils firent alliance avec un général plutôt populaire de l'armée russe, Alexandre Lebed. Ces deux actions leur permirent de déclarer qu'ils avaient gagné le second tour (bien qu'en réalité, c'est Ziouganov qui l'emporta). Encore une fois, l'Occident soutint Eltsine à 100%. Et pourquoi pas ? Ayant donné à Eltsine un soutien total pour la répression sanglante des partisans du Soviet Suprême, pourquoi ne pas également soutenir Eltsine dans des élections volées, hein ? Ils n'en étaient plus à une infamie près. Eltsine lui-même, cependant, passa la plupart de son temps à boire comme un trou et il devint bientôt assez clair qu'il ne tiendrait pas très longtemps. La panique s'empara du camp libéral qui finit par commettre une énorme er- reur : ils permirent à un petit bureaucrate de Saint-Pétersbourg peu connu et sans charisme de remplacer Eltsine en tant que Président intérimaire : Vladimir Poutine. Poutine était un bureaucrate calme, compétent et discret, dont la qualité principale semblait être son manque de personnalité, ou plutôt, c'est ce que croyaient les libéraux. Et quelle erreur de jugement colossale ils ont fait là !! Dès qu'il fut nommé, Poutine agit avec une vitesse foudroyante. Il surprit immédiatement tout le monde en s'impliquant personnellement dans la seconde guerre de Tchétchénie. A la différence de son prédécesseur, Poutine donna à ses commandants militaires toute liberté pour mener cette guerre comme ils le souhaitaient. Il surprit de nouveau tout le monde en passant un accord vraiment historique avec Akhmad Hadji Kadyrov pour apporter la paix en Tchétchénie, bien que ce dernier ait été un des leaders de l'insurrection lors de la première guerre de Tchétchénie. La popularité de Poutine monta en flèche et il l'utilisa immédiatement à son avantage Dans un formidable tournant de l'Histoire, Poutine utilisa la Constitution développée et adoptée par les libéraux russes pour mettre en œuvre une série très rapide de réformes cruciales et pour éliminer les bases du pouvoir des libéraux : les oligarques juifs Berezovsky, Khodorkovski, Fridman, Goussinski, etc. Il fit également voter plusieurs lois destinées à «renforcer le pouvoir vertical», qui donnèrent au Pouvoir fédéral un contrôle direct sur les administrations locales. Cela, en retour, permit non seulement d'écraser bon nombre des Mafias locales qui étaient parvenues à infiltrer et corrompre les autorités locales, mais aussi de mettre fin très rapidement à tous les différents mouvements sécessionnistes au sein de la Fédération de Russie. Enfin, il utilisa ce qu'on appelle la «ressource administrative» pour créer son parti «Russie Unie» et pour lui apporter le soutien total de l'Etat. L'ironie de tout ça, c'est que Poutine n'aurait jamais réussi à mener ces efforts à bien si les libéraux russes n'avaient pas créé une Constitution «hyper-présidentielle» qui donna à Poutine les moyens de réaliser ses objectifs. Pour paraphraser Lénine, je dirai que les libéraux russes ont donné à Poutine la corde pour les pendre. L'Occident, bien sûr, comprit rapidement ce qui était en train de se passer, mais il était déjà trop tard : les libéraux avaient perdu leur pouvoir pour toujours (avec la Grâce de Dieu !) et le pays était fermement pris en main par une troisième force, jamais vue auparavant. Qui a réellement mis Poutine au pouvoir ? C'est la question à 10 000 dollars. Formellement, la réponse officielle est simple : c'est l'entourage d'Eltsine. Cependant, il est assez évident qu'un autre groupe non identifié a brillamment réussi à duper les libéraux en les amenant à laisser le renard entrer dans le poulailler. Ayez bien à l'esprit le fait que les forces pro-soviétiques furent entièrement vaincues en 1993. Ce coup de maître n'était donc pas le fait de quelques revanchards nostalgiques qui voulaient ressusciter l'ancienne Union soviétique. Il est donc inutile de s'attarder sur ce camp qui, en réalité, est resté majoritairement opposé à Poutine jusqu'à ce jour. Qui d'autre alors ? En réalité, c'était l'alliance de deux forces : des éléments de l'ancien PGU KGB SSSR» et un certain nombre de dirigeants-clés de l'industrie et de la finance. Considérons-les l'un après l'autre : La première force était le PGU KGB SSSR», la branche des renseignements extérieurs du KGB soviétique. Son nom officiel était «Première Direction Générale du Comité de Sécurité d'Etat de l'URSS». Ce serait plus ou moins l'équivalent du MI6 britannique. C'était sans aucun doute la composante la plus élitiste du KGB, et aussi la plus autonome (elle possédait même ses propres quartiers généraux dans le sud de Moscou). Bien que le PGU s'occupe d'un grand nombre de problèmes, il était aussi très lié avec le monde des affaires (et très intéressé par celui-ci), en URSS et à l'étranger. Puisque le PGU n'avait rien à voir avec les activités les plus sordides du KGB comme la persécution des dissidents (c'était le rôle de la Cinquième Direction générale du KGB) et puisqu'il n'était que peu concerné par la sécurité intérieure (c'était la prérogative de la Seconde Direction générale), il ne figurait pas en bonne place sur la liste des institutions à réformer, tout simplement parce qu'il n'était pas autant détesté que les parties plus visibles du KGB. La seconde force qui plaça Poutine au pouvoir était constituée de jeunes personnes venant de ministères clés de l'ex-URSS qui traitaient des questions industrielles et financières et qui détestaient les oligarques juifs d'Eltsine. A la différence de ces derniers, ces jeunes leaders ne voulaient pas simplement piller toutes les ressources de la Russie pour se retirer ensuite aux Etats-Unis ou en Israël, mais ils souhaitaient que la Russie devienne une puissante économie de marché intégrée au système financier international. Plus tard, le premier groupe se transforma en ce que j'appelle les «Souverainistes Eurasiens» tandis que le deuxième devenait ce que j'appelle les «Intégrationnistes Atlantistes» (référez-vous à cet article et à celui-ci pour une explication détaillée). On pourrait les désigner comme les «Hommes de Poutine» (Souverainistes Eurasiens) et les «Hommes de Medvedev» (Intégrationnistes Atlantistes). Enfin, on ne devrait pas négliger le fait qu'il y a, bien évidemment, une troisième force qui apporta son soutien total à ce tandem Poutine-Medvedev : le peuple russe, qui a jusque-là toujours voté pour les maintenir au pouvoir. (A suivre)