C'est parce qu'ils ont été privés de l'écriture durant des millénaires de colonisation et d'esclavage que les Africains ont développé leur culture en la diversifiant qui, selon les sociolinguistes est bien plus complexe qu'on ne l'a pensé ! Mythe et orature font partie d'une longue histoire de la tradition orale qui a prévalu en Afrique depuis la nuit des temps par l'usage exclusif de la parole qui s'est soldé par des productions populaires véhiculées par l'oralité devenue orature, néologisme conçu par les anglophones pour signifier oral et littérature écrite. Quant au mythe, il demeure sémantiquement ambigu tant il n'a pas d'explication scientifique même si toutes les cultures populaires et l'histoire des peuples d'expression orale baignent dans les mythes depuis les temps immémoriaux. Mabana dit que le mythe est incertain, fantaisiste, sujet à l'erreur et arbitraire, il signifie irréalité, fruit fantastique du rêve humain. Savoir endogène et tradition orale On est dans le déni des valeurs africaines, le continent ayant été longtemps colonisé et un réservoir d'esclaves pour les pays d'Europe qui se disent actuellement avancés. Ces derniers n'arrivent pas à admettre une Afrique qui se réfère au mythe pour expliquer la réalité faite de pensée, de sciences de culture, de théologie et de littérature. Pourtant, le dynamisme du génie africain a été tel que la recherche dans tous les domaines n'a jamais cessé, y compris chez les esclaves noirs déportés qui ont beaucoup apporté au nouveau monde dans le domaine culturel et agricole, par la production artistique sous forme de poésie improvisée pour être chantée dans les champs de coton ou de canne à sucre, ainsi que par les techniques agricoles authentiquement africaines et ignorées par les Européens propriétaires spoliateurs des nouvelles terres américaines. John Mbiti auteur de référence cité par l'auteur des investigations et spécialiste de littérature afro- américaine, Kahimdi Claver Mahabana, nous informe que dans les proverbes, il y a un riche dépôt de la sagesse de beaucoup de générations. Ces proverbes dont chaque pays africain a les siens, interviennent dans toutes sortes de situations qu'ils sont susceptibles d'éclairer. Quiconque a mémorisé un maximum de proverbes, contes, poésies, légendes et qui a la capacité de les restituer pour illustrer un fruit social, un principe de moralité, un acte digne d'être un exemple, de lâcheté ou de bravoure, est respecté parce que considéré comme détenteur du savoir et de la sagesse africaine. Le sage est maître de la parole marquée par les assertions argumentatives et les figures de rhétorique . et dans pareil contexte, le patrimoine culturel apporte de la matière à l'écriture d'un roman ou de tout autre texte écrit. Philosophie africaine et orature La valorisation des cultures, mythes, productions orales de toutes les générations, s'est faite grâce à la nouvelle génération des intellectuels qui ont acquis la maîtrise de l'écriture après s'être abreuvés aux sources étrangères de la science et de la connaissance, pendant et après la colonisation. Alexis Kagame et Amadou Hampaté Bâ en font partie pour leurs qualités de représentants du savoir et de la sagesse africaine. Ces deux écrivains dont le premier est un philosophe rwandais et le second, un ethnologue malien, sont des auteurs de référence dans toutes l es anthlogies des écrivains africains contemporains. Alexis Kagame est l'auteur de poésies assez bien élaborées, malgré sa vocation de philosophe dont le style peut faire l'objet d'investigation fructueuse en linguistique. La philosophie bantoue rwandaise de l'être et à philosophie bantoue comparée sont ses œuvres les plus remarquables. L'autre écrivain cité est un ethnologue malien. Il s'agit de Amadou Hampaté Bâ , auteur du fameux dicton qui dit : « Quand un vieillard meurt en Afrique, c'est une bibliothèque qui brûle ». Et comme tous les proverbes, dictons et maximes africains, cette pensée mythifiée est rentrée dans l'orature. Près de 800 pages de proverbes rwandais ont été réunies par un chercheur en ethnologie en un volume monumental. Comme dans tout le reste de l'Afrique, surtout dans les pays d'Afrique du Nord, les écrivains qu'on dit les meilleurs sont ceux qui ont dans leurs œuvres un arrière-fond culturel des temps anciens. Bâ, par exemple, a commencé par écrire des thèmes ayant appartenu à l'oralité : aspects de la civilisation africaine, contes initiatiques peuls ou petit bo diel et autres contes, Amkoullel, l'enfant peul. L'auteur arrive alors à l'écriture dans le genre romanesque avec comme premier titre : L'étrange destin de Wangrin ». Pour Amadou Hampâté Bâ, entre le savoir et l'écriture, le savoir est plus important et l'Afrique en recèle beaucoup plus qu'on ne le croit. Quant à l'écriture, elle n'est qu'un savoir. Si les gens optent pour l'écriture, c'est uniquement pour immortaliser un acquis de la sagesse. Pour plus de clarté cet ethnologue nous dit ceci : « La connaissance africaine est immense, variée et concerne tous les aspects de la vie. Le connaisseur n'est jamais un spécialiste. C'est un généraliste. Le même vieillard par exemple aura des connaissances aussi en pharmacopée, en science des terres (propriétés agricoles ou médicinales des différentes sortes de terre) ou en « science des eaux » qu'en astronomie, en cosmogonie, en psychologie» etc..