Il n'est plus de ce monde, le cinéaste et écrivain Abderrazak Hellal, mon ancien camarade de classe à l'ex-lycée Benboulaïd de Batna, actuel lycée les frères Lamrani. On doit cette baptisation au rôle joué activement par trois frères dans la révolution. Laid Lamrani, de la corporation des robes noires et de tendance communiste, fut surnommé «l'avocat des pauvres» parce qu'il était très proche du peuple algérien. Calme en apparence, Abderrazak Hellal était un impétueux en son for intérieur. Mais l'homme était très sûr de sa personnalité. Au lycée, on jouait au football sur le terrain de l'établissement, donnant sur les allées Benboulaid», le Cour de la Révolution de Batna. Je faisais le gardien de but et lui était le baroudeur de l'équipe adverse. J'appréhendais toujours ses tirs au but qui étaient puissants. Sur les lieux de tournage Abderrazak Hellal avait opté par la suite (fin des études secondaires) pour une formation dans le cinéma. Si mes souvenirs sont encore intacts, il avait rejoint l'Institut des hautes études cinématographiques de Paris (France). Avant la fin de sa formation et lors de ses vacances à Batna, je lui avais refilé un livre sur les techniques du cinéma. Il en était ravi bien que nous n'étions pas très proches. Quand j'ai racheté le même livre, j'ai dû aussi l'offrir à mon confrère Abdelkader Djemai du quotidien La nouvelle République d'Oran du temps du directeur Bachir Rezzoug. Cela a eu lieu à Biskra lors du tournage de «Chroniques des années de braise» de Lakhdar Hamina, dont des séquences ont été tournées notamment à «El-Outaya» (mine de sel) et Ghouffi. Abdelhalim Raïs, acteur dans le film, ne cessa de me taquiner affectueusement vu mon jeune âge à l'époque, mon dynamisme débordant, et surtout mon altruisme, un trait de caractère. Saïd Ould Khélifa, mon ancien ami intime et correspondant à Batna de La nouvelle République d'Oran tout en étant encore lycéen, était parmi nous avant qu'il n'embrasse lui aussi une carrière cinématographique. «Zabana» étant son plus récent film. Moi aussi, je m'étais destiné au cinéma depuis que j'avais rencontré Jacques Perrin à Batna en 1968, venu de France pour des repérages cinématographiques dans les Aurès. Devenir réalisateur après un passage par la musique, était un rêve pour moi, comme pour Abderrazak Hellal, Saïd Ould Khélifa et Rachid Benbrahim, un ancien animateur du théâtre amateur à Batna. Mais la carrière de journaliste professionnel était déjà si bien engagée que je n'ai pu casser le rythme de continuité et d'ascension hiérarchique dans le métier. Abderrahmani, rédacteur en chef du quotidien El-Moudjahid, m'avait surnommé un jour qu'il était en compagnie de Zoubir Zemzoum le «gourou des Aurès». Abderazzak Hellal a réussi à faire du cinéma et de la littérature en même temps. Le quotidien français Le Monde lui avait publié certaines contributions de presse intéressantes. Hellal avait des penchants pour l'histoire, la réalité et la fiction. Il avait fait publier entre autres ouvrages «1830, place de la Régence» et «Entre l'olivier et la rocaille» qui m'avait rappelé le reportage du quotidien An-Nasr de Malek Haddad en 1968 sur «Lolivier de Boulhilet» (région de Chemora à Batna) ainsi que «Le refus d'une mise en images» consacré par Hellal à une dénonciation de la censure cinématographique et préfacé par le sympathique Ahmed Bédjaoui. La censure, voilà donc l'ennemi juré à combattre, voire à abattre dans un système totalitaire pour qui le cinéma n'est qu'un outil de propagande de masse, et non un moyen de création et de libre expression. Hella fut contrarié comme tout créateur qui se respecte; qui ne l'a pas été dans le cinéma, les arts et le journalisme dans les années de chape de plomb ? Qui ne se souvient parmi les anciens Batnéens de Abderrazak Hellal arborant sa pipe pour fumer du tabac hollandais dans les rues de Batna, sa ville Natale, puis à Alger, sa ville d'adoption ? Sur le plan de la production, le cinéma algérien doit à Abderrazak Hellal notamment les films «Aïssa Djermouni» – le chantre des Harakta d'oum El-Bouaghi – et «Messaoud Benzelmat», bandit d'honneur des Aurès comme le fut Oumari de Kabylie. Un excellent travail basé sur le rappel de mémoire qui avait fait honneur à la région de Batna, Les Aurès. Cette région que l'historien français Charles Robert Ageron (interviewé par nos soins en 1978 à Batna pour le quotidien El-Moudjahid en marge du 14e séminaire sur la Pensée Islamique, marqué par la participation du penseur Mohamed Arkoun) aimait qualifier de «bled el-baroud». Il n'avait pas tort puisqu'il s'agit d'une région de résistance contre les envahisseurs/colonisateurs qui se sont succédé à travers l'histoire de ce pays. Une polémique culturelle avortée A propos de «Messaoud Benzelmat», j'avais réalisé un reportage en 1987, publié dans les colonnes du quotidien Horizons sur la mémoire collective en rapport avec le sujet. Tous les témoins en vie de l'époque – de vieilles personnes dont cheikh Zemouri – nous avaient assuré que la région des Aurès aurait connu successivement trois «Benzelmat» ou bandits d'honneur. Abderrazak Hellal fit alors publier sur Horizons une réplique sur le sujet, minimisant mon recours à la mémoire collective locale. Ma contre-réplique, envoyée au journal dont j'étais correspondant, précisait que mon travail s'était limité à laisser parler cette mémoire collective pour cibler éventuellement des pistes méconnues par les historiens et aussi par les cinéastes et écrivains. Hélas, ma contre-réplique n'avait pas été publiée. Mes confrères de la rédaction en chef – Maâmar Farah et Djamel Saifi – ayant sans doute cru salutaire de ne pas ouvrir la porte à une polémique. Dans le fond, certaines vérités auraient dû paraître. En effet, si mon ancien camarade de classe Abderrazak Hellal minimisa l'importance ou l'opportunité de l'apport de la mémoire collective, je signalais de mon côté et lui l'avait exploité – ce qui n'est point un reproche -- un rapport du capitaine d'Aix en Provence (France). C'est ce qui lui avait permis de formater le scénario de son film sur «Benzelmat». Or, Charles Robert Ageron nous disait justement qu'une civilisation s'exprimait à travers ses textes, ses archives, ses chants, ses danses, et aussi par la mémoire collective. Dans un article que j'ai fait publier par la revue Révolution Africaine du temps de feu Abdellali Ferrah, j'avais stigmatisé les mémoires importées par nos jeunes historiens des archives françaises. Des débats de clarification culturelle n'ont jamais eu lieu, et c'est dommage. Abderrazak Hellal a été emporté par une crise cardiaque juste après avoir suivi à la télévision le match Algérie-Corée du sud. Pour moi, il a été victime du sentiment nationaliste qui nous étreint tous. Il mérite un hommage digne de son rang et de sa moralité, en espérant vivement une rétrospective de ses œuvres cinématographiques et littéraires et une meilleure considération du pouvoir politique vis-à-vis des intellectuels, des journalistes et des créateurs artistiques. (*) Journaliste/ Ancien d'An-Nasr, EL-MoudJahid, Algérie presse service et Révolution Africaine" *Ancien conseiller culturel/ Maison de culture *Juriste de formation