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Fête de l'indépendance nationale «Le sang sèche vite en entrant dans l'Histoire...»

Les martyrs n'ont pas affronté la mort pour rien, mais bien pour la récupération et l'indépendance de leur patrie. C'est cela le but suprême de leur action. Mais, paradoxalement, c'est d'abord un investissement, humain personnel : chacun est mort pour une famille ; mort qui n'a eu de répercussions négatives que sur leurs parents et leurs enfants et non sur l'ensemble de la nation.
La voiture roulait à vive allure sous le soleil torride de la région déserte. Il faisait chaud, la provision d'eau fraîche qu'ils avaient ramené avec eux a été vite consommée. Au barrage où ils venaient de s'arrêter, le même dialogue s'établissait avec les hommes de l'ALN. Et photos à l'appui, la mère Chabane demandait après ces garçons moudjahidine eux aussi. Il est certain que parmi les moudjahidines rencontrés, malgré l'endurance de ce qu'ils avaient vécue, eux aussi, ils s'en trouvaient qui ont pleuré à la vue de cette moudjahida qui leur racontait ce qu'elle avait vécu avec le colonialisme, et qui, oubliant tout ce qu'elle avait souffert sous la torture, acceptait que son époux et son frère soient tombés au champ d'honneur et n'espérant qu'une seule chose, que ces deux garçons soient en vie. Encore une fois elle était hébergée, nourrie, logée, et entourée de mille et une attentions ; invitée à séjourner autant qu'elle le voulait, elle repartit néanmoins dès le lendemain avec ses compagnons et la provision d'eau fraiche et de fruits pour la route qui allait les mener à Sétif. Un sur quatre retrouvé vivant : la renaissance de dame Fifi A l'entrée de la ville de Sétif, la plaque marquait un stop, c'était un barrage militaire de l'ALN. Celui-ci se distinguait des barrages précédents, de l'ALN aussi, par la tenue militaire de ces djounoud en tenue réglementaire qui ne se distinguait en rien de l'habillement des militaires français. Bien habillé des pieds à la tête, et après le salut réglementaire, le soldat brassard au bras, posa la question de savoir : «Où allez-vous ?» La dame Fifi descendit et se mit à poser ces éternelles questions avec toutes les explications qui en découlaient. Comme par enchantement, l'homme s'oubliant, appelait le reste de ses compagnons et se mit à leur dire qui elle était, et la brave mère Chabane se vit enlacer et emporter par les embrassades des djounoud, qui voyaient en elle leurs propres mères. Et ils se mirent chacun à leur façon à la réconforter, en la rassurant qu'elle allait trouver ses deux garçons, à coup sûr. Ils lui indiquèrent l'école où était installé leur quartier général et lui conseillèrent de demander l'un des chefs de zone qui se fera un plaisir de la renseigner. Et la voiture redémarra avec le salut des djounoud, qui eux étaient des troupes stationnées auparavant en Tunisie en Zone sud, très exactement là où avait été signalé le plus jeune des deux fils de la dame, qui ayant cette information à l'esprit reprenait espoir. Pour la première fois depuis le départ d'Alger, la dame Chabane demanda au chauffeur de la voiture d'accélérer pour aller un peu plus vite. Elle était pressée d'arriver au quartier général des troupes de l'ALN rentrées de Tunisie. Peut-être avait- elle le pressentiment de ce qu'elle allait trouver comme réponse. Ainsi, la voiture a roulé au plus vite que faire se peut. Et après quelques arrêts pour se renseigner sur la direction à suivre, ils virent l'école en question, et s'arrêtèrent devant le garde qui les salua. Cette fois-ci, comme s'ils s'étaient donné le mot, ils descendirent tous de voiture, pressés d'avoir des nouvelles. Ma mère dit qui elle était, et puis montra les deux photos ; la mienne et celle de mon frère ainé. Le djoundi regarda les deux photos et s'arrêta sur la mienne, en disant à ma mère : «celui-là il me semble l'avoir vu, c'est un Algérois n'est-ce pas ?» Ma mère répondit que oui, avec tellement de fougue qu'elle ne put rester debout et dut s'asseoir. Depuis son départ d'Alger et de toutes ces recherches, et de toutes les questions qu'elle avait posées, elle n'avait jamais reçu une réponse comme celle-là «il me semble l'avoir vu, et comme pour donner un début de preuve de son existence elle avait entendu, c'est un Algérois n'est-ce pas ? Que faut-il de plus à cette pauvre femme dont le cœur bat plus fort que d'habitude. L'homme avait appelé le chef de poste qui, en fixant la photo, dira carrément : «Mais oui, ce djoundi c'est Nord châb. Mettez-vous là à l'ombre, je vais envoyer le chercher.» Le chauffeur souriant gara bien comme il faut la voiture à l'ombre. Et tous se mirent à l'ombre en attendant qui va arriver. La mère était dans tous ses états, guettant qui allait surgir. Un djoundi avec la photo à la main allait de chambre en chambre pour demander après moi. Et il fut dirigé jusqu'à me trouver. J'étais sous un arbre avec d'autres qui nous avions décidé de nettoyer nos armes et ainsi nous formions un joyeux groupe qui rigolait de certains souvenirs de guerre; lorsque j'entendis mon nom, j'ai levé la tête en me disant qu'est-ce qu'il me veut encore celui-là ? Mais lorsqu'il arriva à ma hauteur et me mit la photo sous les yeux en me disant c'est bien toi ici ? Il n'avait pas besoin de continuer la suite, je savais que cette photo c'est moi qui l'avait envoyée à ma mère, et je l'ai reconnue. Je ne me suis pas levé normalement, j'ai sauté, comme un ressort, sur mes deux jambes qui me semble-t-il, ne touchaient plus le sol, tellement je courrais vite, comme une flèche, je filais vers le poste de garde, entendant derrière moi : «C'est ta mère avec deux hommes qui sont là.» Je vivais un moment particulier. Un de ceux qui ne s'oublieraient pas pour toute la vie ; retrouver celle qui vous a mis au monde en temps de guerre, c'est comme retournez à l'embryon qui vous a conçu ; c'est retourner à l'intérieur du ventre qui vous a enfanté. Dans ces situations, le temps si court soit-il, paraît long. Les secondes deviennent minutes, les minutes des heures, et tout cela l'un dans l'autre faisait qu'un temps fou, s'était passé entre le moment de mon démarrage et de mon arrivée, et pourtant j'étais un sacré voltigeur. A quelques mètres de moi, je voyais une silhouette, c'était une femme qui ressemblait étrangement à ma mère, que je croyais être plus jeune. Je ralentissais et de crainte de renverser ma mère dans mon élan, je faisais aller mon torse en arrière, pour mieux m'arrêter. Et puis je ne me souviens plus que d'un contact tellement doux et rassurant que je me suis cru fondu avec cette femme, dont la senteur était ma propre odeur. Je la humais, je la reconnaissais mais je n'avais pas encore vu son visage. Ma tête était serrée contre sa poitrine par ces deux bras, dont la force était celle de la douleur qui l'habitait. Sa poitrine était chaude et son cœur battait si fort qu'il résonnait à mes oreilles comme les explosions auxquelles j'étais habitué. La guerre nous habitait tous les deux ; et relevant ma tête comme pour m'assurer que je ne rêvais pas, ma mère était là, et je me suis mis à l'embrasser comme un fou, comme un enfant, comme s'il n'y avait plus qu'elle au monde et que rien d'autre n'existait. D'autres mains me caressaient le dos comme pour me rappeler leur existence, c'étaient celles de ceux qui accompagnaient ma mère. Ce sont eux qui me prirent dans leurs bras dès qu'ils purent m'attirer à eux. Nous nous sommes mis à l'écart, à l'ombre et on a échangé nos premiers propos des retrouvailles. Mes deux amis qui avaient accompagné ma mère avaient sué avec elle, et leurs craintes qu'elle ne devienne folle, si elle ne trouvait, ceux qu'elle était venue chercher, les hantaient. Certains de mes compagnons, étaient venus saluer ma mère, et après les embrassades, quelques larmes tombèrent. Puis mes compagnons s'en furent chacun rapportant quelque chose à boire et à manger, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Ainsi, un véritable pique-nique était installé. On était détendu et je prenais des nouvelles de mes frères, sœurs et de mes amis. On riait aux souvenirs de certaines choses. Mais arriva le moment où je devais savoir ce qu'il était advenu de mon père, mon frère et mon oncle, et je posais la question de savoir. Ma mère puisant dans ces dernières réserves de courage ne versa pas une larme pour ne pas augmenter la douleur de ce qu'elle allait me dire : «Ton père comme nous nous en doutions, a été tué lorsque j'étais avec lui. Ton oncle Hassène lui aussi a été tué ; quant à ton frère, on n'a aucune nouvelle de lui, mais je crois bien qu'il a été tué lui aussi.» Je n'ai rien trouvé d'autre à lui dire : «Non maman peut-être que mon frère Mohamed est vivant et quand tu vas rentrer sur Alger tu vas le trouver à la maison Inch' Allah.» «Inch'Allah yaaoulidi (mon fils)», me répondit-elle. «Quant à rentrer à Alger sans toi pas question. Tu vas rentrer avec moi, sinon je plante une tente ici et je ne bougerai pas.» «Mais Maman j'appartiens à l'armée, je ne peux pas partir comme ça. Je ne peux pas décider tout seul, j'ai des chefs.» Que trouva-t-elle à me répondre : «Tes chefs ? tu m'emmènes leur parler ; ils n'ont pas le droit de me prendre le seul fils qui me reste». Elle me parlait en français, et je sais que lorsque ma mère dit quelque chose en français, il est difficile de lui faire changer d'avis. D'autant plus que mes amis lui donnaient raison. «Bon je vais aller expliquer la situation à mes supérieurs et voir ce qu'ils me répondront». Depuis notre retour de la base de l'est, Zone sud, nos officiers supérieurs avaient aménagé une grande salle où ils avaient installé leurs lits de camp ; il y avait là, Salah Essoufi, Saïd Abid et Tahar Zbiri. Je leur ai parlé de ma situation, en insistant sur le fait que mon père mon frère et mon oncle étaient tous trois tombés au champ d'honneur et que ma mère une moudjahida arrêtée plusieurs fois et torturer par l'armée coloniale, était venue me chercher et qu'elle refusait de partir sans moi. Si Salah Essoufi, dont je n'oublierais jamais la grandeur d'âme, m'autorisa à partir après avoir remis mes armes au magasin. C'est ce que je fis en vitesse. Et au grand bonheur de ma mère et de mes amis, je repartais avec eux, pour rentrer à la maison comme l'avait exigé ma mère. Heureuse qu'elle fût, elle me cajolait tout le long du voyage, m'embrassant toutes les cinq minutes. (A suivre)

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