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Fête de l'indépendance nationale «Le sang sèche vite en entrant dans l'Histoire...»

Les martyrs n'ont pas affronté la mort pour rien, mais bien pour la récupération et l'indépendance de leur patrie. C'est cela le but suprême de leur action. Mais, paradoxalement, c'est d'abord un investissement, humain personnel : chacun est mort pour une famille ; mort qui n'a eu de répercussions négatives que sur leurs parents et leurs enfants, et non sur l'ensemble de la nation.
Le responsable en question, Si Lakhdar, apprenant que la mère et sœur de Mohamed et Si Hassène, était là, se leva et prit le chemin de la maison où elle se trouvait. Elle retrouva l'homme qui l'avait reçue à l'époque de la guerre, dans le douar Zagmotta. C'était le chef du FLN/ALN de la région. Fou de joie de retrouver cette moudjahida, compagne des jours difficiles, il l'emmena chez lui, là-haut dans le douar où elle avait des années auparavant séjournée, habillée d'une robe, d'un foulard du pays, comme les paysannes de la région ; elle attendait le jour où descendrait vers elle son frère Hassène. C'est ce soir-là qu'une opération de grande envergure avait été lancée par l'armée française. Si Lakhdar se souvenait du moindre détail de cette opération qui coûta la vie à beaucoup d'hommes de l'ALN. Et il dit à l'attention de la mère Fifi : «C'est suite à cette embuscade que Si Hassène est ses djounoud ont dû replier vers une autre région. Et c'est là qu'il a appris que vous avez été arrêtée. Il en a pleuré. Et tous les jours il essaya d'avoir des informations sur vous, et j'ai discuté avec lui de votre cas plusieurs fois». Nous savions que la mère n'a pas été arrêtée, et qu'elle est arrivée à Alger saine et sauve. «Ton mari, Si Chabane ce qui lui a coûté la vie c'est le fait, qu'ils ont trouvé sur lui la lettre de Si Hassène, dans laquelle il lui disait avoir reçu tous les médicaments et l'habillement qu'il lui avait envoyé. Et le fait que Si Chabane travaille à l'hôpital d'Alger. C'est ainsi qu'après avoir été torturé, et qu'il n'a rien voulu avouer de ce qu'il savait, Si Chabane a été abattu, puis le lendemain ce qu'il restait de son corps fut brûlé. Ça nous a fait une grosse peine, au lever des couleurs nous lui avons présenté les armes et observé une minute de silence. Et la rage au cœur nous ne pouvions rien faire parce que toi tu étais encore entre leurs mains. Ce n'est que lorsque tu as été libérée que nous avons soufflé. Et après je t'assure que nous vous avons vengé de tout ce qu'ils vous ont fait». Ils évoquèrent encore quelques autres souvenirs et la dame Chabane posa la question qui lui tenait à cœur : « Dites-moi, Si Lakhdar est-ce que tu as des nouvelles de mon frère Hassène et de mon fils Mohamed ?» L'homme comme s'il appréhendait cette question eut un gros soupir et observa un instant de silence, dans lequel déjà ma mère avait deviné la mauvaise nouvelle, qu'il allait lui annoncer. L'homme, un rude gaillard, sans relever les yeux, pleurant comme un enfant, lui dit : «Estachhad, ton frère Estachhad, ton frère est tombé au champ d'honneur, les armes à la main, même pas trois mois avant le cessez-le-feu». La mère Fifi pleurait, de ces quelques larmes qu'il lui restait et qui sortait du tréfonds de sa souffrance. A un moment, me dira-t-elle plus tard, elle croyait qu'elle pleurait du sang. La femme courageuse, put encore articuler une question. «Et mon fils Mohamed ? Demanda-t-elle encore, à Si Lakhdar». Si Lakhdar après avoir sorti de sous sa djellaba un gros mouchoir, s'essuya les yeux, se moucha le nez, et comme s'il avait pris le temps de réfléchir à ce qu'il devait dire, répondit à ma mère : «Les dernières nouvelles que j'ai eu de ton fils Mohamed remonte à il y a plus de deux ans. Il était passé dans cette région et depuis je n'ai pas eu de ses nouvelles. On saura par la suite que Si Lakhdar, savait que Mohamed aussi était mort, et que c'est Si Hassène lui-même qui le lui a confirmé. Craignant d'annoncer deux morts en même temps, il a préféré dire qu'il ne savait pas. Et la discussion s'éternisa sur les faits d'armes de Si Hassène et son neveu Mohamed «Yeux bleus». Si Lakhdar parlait de ses compagnons morts, en ajoutant une petite plaisanterie à chaque histoire ; c'était sa façon de faire, pour éviter de faire pleurer ; il faisait rire. C'est vrai qu'il réussit à faire rire la mère Fifi qu'il garda chez lui pendant une semaine. L'information circula très vite et ceux qui connaissaient Hassène savaient que sa sœur était là ; ceux qui connaissaient Mohamed savaient que sa mère était là. Si bien que durant tout le temps où elle était chez Si Lakhdar, les moudjahidine de la région, par groupe venaient la saluer et repartaient. Aucune nouvelle de plus que ce qu'elle savait déjà n'avait filtré. Et la mère reprit son chemin à la recherche de ces deux garçons, Mohamed et Nordine. N'espérant qu'une seule chose, et priant pour que ces deux-là, soient vivants : «Mon mari est mort, mon frère aussi, mon Dieu vous n'allez pas encore me priver de mes deux autres enfants, Mohamed et Nordine.» Elle priait et pleurait en silence. Maintenant qu'elle s'était reposée et pris des forces elle a fait son plan : «Mon fils Nordine étant à la frontière tunisienne donc je vais aller jusqu'à la frontière tunisienne ; en cours de route auprès de toutes les casernes sur notre passage, je me renseignerais sur mon autre fils Mohamed.» Et ils reprirent la route en direction de l'est. Et chemin faisant, c'est le même scenario qu'elle répétait à chaque halte. Dès que la voiture, qui transportait ma mère, s'arrêtait devant une des casernes, elle descendait et allait questionner au poste de garde, où dès qu'elle disait je suis veuve de chahid mère et sœur de moudjahid, elle était dirigée vers le commandant, auquel elle montrait les photos de ceux qu'elle recherchait. Et à chaque fois, c'était la même réponse. «Hélas non, nous n'avons pas ces frères parmi nous. Mais prenez la grande route, aller vers l'est, vous rencontrerez d'autres casernes occupées par des moudjahidines ; demandez leur, peut-être allez-vous les trouver là.» Sans se décourager, la mère Fifi accusait le coup et continuait sa recherche. Remontant dans la voiture, elle disait au chauffeur : «Continuer sur la route en prenant la direction de l'est, peut-être qu'on aura plus de chance de les trouver là.» Là-bas, à l'est, c'était l'inconnu, c'était le néant, et pourtant il fallait y aller, avec le risque de ne rien trouver, encore une autre fois. Lorsque à la tombée de la nuit, elle arrivait à un barrage, elle disait qui elle était, d'où elle venait et l'objet de son voyage ; il se trouvait toujours une âme charitable, qui ne voulait pas les laisser aller plus loin, et les inviter à manger et dormir... : « Et demain il fera jour, vous pourrez continuer vos recherches, disait-elle». A chaque fois c'est la même réception dans ces familles d'accueils. La bonté humaine est sans limite. Dès l'entrée dans la maison où ils étaient dirigés, la mère Fifi allait dans la pièce des femmes qui l'attendaient avec les éloges dû à son statut. Et les hommes passaient dans la pièce réservée aux hommes. Coutumes et traditions se mêlant, le meilleur repas était préparé, et servi dans les meilleurs plats qui soient, selon la famille qui les recevait. La discussion ce soir-là, aussi bien chez les hommes que chez les femmes, traduisait le bonheur de la fin de la guerre et de l'indépendance proclamée. Et ainsi de suite, les jours et les semaines passèrent, et d'une caserne à l'autre, d'un endroit à l'autre, bien du chemin fut parcouru. En cours de route, ma mère, n'avait que les souvenirs de ces hommes pour lui tenir compagnie. Et dans sa tête, elle avait beaucoup de films entreposés. Son mari Chabane, elle ne le cherchait pas, parce qu'elle savait qu'il était chahid ; son frère Hassène, elle venait de savoir, qu'il était lui, mort chahid ; elle n'avait d'eux que de bons souvenirs. Que de bons moments passés ensemble avant qu'ils ne partent vers leurs destins. Et les souvenirs de ces deux chouhada c'est ce qu'elle allait dérouler un à un dans sa tête durant tout le reste du voyage. Et lorsqu'elle s'assoupit, semblant dormir, cette mère de famille, pleurait sans mouiller ses yeux, car elle n'avait plus de larmes, elles avaient séché. Lorsque dans un moment d'accalmie, elle se rendait à l'évidence de la puissance céleste qui avait ainsi décidé de la vie de ces hommes, cette femme parlait au Bon Dieu en se parlant à elle-même : « Mon Dieu, vous m'avez pris deux hommes, ça fait rien, il faut des sacrifices pour libérer le pays, mais faites au moins que les deux autres soient vivants. Mon Dieu, je vous en prie, faites qu'ils soient vivants, Mon Dieu faites qu'ils soient...» Et souvent cette femme s'endort avec cette prière à la bouche qu'elle a répété d'innombrables fois. Et la voiture continuait son malheureux parcours. Partout où ce trio passait, les gens étaient heureux et faisaient la fête, le jour tant rêvé était arrivé. L'indépendance tant attendue était là. C'était cette indépendance pour laquelle plus d'un million de chouhada furent sacrifiés. Et tout le monde était heureux, de ce bonheur qui ne s'arrêtait pas au cœur blessé ; ils étaient avec les cœurs joyeux que rien ne pouvait altérer. Se lever et s'endormir dans la joie. La joie du matin au soir, ça vous fait penser aux sacrifices payés pour avoir obtenu cette indépendance, mais vous empêche de penser aux malheurs de toutes ces familles de chouhadas qui, pleurent lorsqu'ils sont seuls et rient lorsqu'ils sont avec les autres, ne voulant pas gâcher leur joie. Encore un sacrifice des sacrifiés. C'est ainsi que ma mère, lorsqu'elle était hébergée chez des gens qui étaient dans cette joie, elle se retenait de laisser paraître son amertume, pour ne pas peiner les membres de cette famille qui chantaient et dansaient de cette joie de vivre la fin de la guerre et d'avoir gagné l'indépendance. Ma mère, la dame Vve Chabane, puisqu'elle savait que son mari avait été tué par l'armée française, n'avait à l'esprit que ces deux garçons Mohamed et Nordine (en l'occurrence moi). C'est avec la guerre présente à l'esprit, que cette dame continuait sa recherche, de village en village, jusqu'à ne trouver personne à qui poser la question de savoir s'il ne connaissait pas ces deux enfants dont elle présente avec précaution les photos à tous ceux qu'elle rencontre dans les barrages de l'ALN. Encore une halte, une autre maison, d'autres gens, une autre
famille tous aussi accueillant que les autres. La veuve Chabane et les deux hommes qui l'accompagnaient se souviendront longtemps des accueils à l'extrême limite des règles et coutumes de l'hospitalité, dont ils ont bénéficié chez ces familles qu'ils ne connaissaient pas et auxquels, seul le trait d'union de la guerre et de ces souffrances les rattachaient ; peut-être était-ce une autre forme de familiarité qui se nouait là et que personne ne connaissait auparavant. Peut-être était-ce cela les nouvelles formes de vie libre et indépendant. Les Algériens avait perdu beaucoup dans cette guerre qui finissait, mais une coutume légendaire leur était restée, l'hospitalité, l'accueil de celui qui vient d'ailleurs, et cela, ça n'a pas de prix, c'est d'une valeur incommensurable, c'est l'épine dorsale de toute société digne d'humanité. (A suivre)


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