Il se confie à notre journal, en exclusivité. Lui, c'est Mustapha Dahleb. Il aborde sans détours et en toute transparence, les grandes questions de son parcours professionnel. Suivons-le... La Nouvelle République : La CAN 2015 est à nos portes. Vous êtes certainement, vous aussi, dans cette vague sportive, dites-nous, le résultat réalisé dimanche dernier face aux amis tunisiens (1-1), comment l'interprétez-vous ? Mustapha Dahleb : Excellent. C'est un bon match de préparation dans un contexte défavorable, qui a permis à l'équipe nationale algérienne de répondre d'une bonne manière, mais cela ne reste qu'un match de mise en route pour la suite. Jouer à dix face à un adversaire de qualité sur son terrain et devant son public, n'est-ce pas là une forme d'assurance ? N'oublions pas que les Verts ont acquis une expérience lors des dernières rencontres, notamment celle du mondial. Ensuite, le match de dimanche est un galop de préparation. Pour moi, le score n'est certes pas secondaire, mais il est intéressant de peaufiner sa préparation et de bien démarrer la compétition. Ce nul a quelque peu inquiété nos supporters pour ne pas dire les Algériens... On joue pour gagner, le plus important, c'est aussi le reçu et le comportement des joueurs lesquels sont conscients de ce challenge qui se situe non seulement au niveau du terrain avec l'exécution de la stratégie choisie et la mise en application par le sélectionneur. Je voudrai ajouter aussi, que la qualité d'un joueur se situe au niveau de l'analyse et de l'initiative. Etes-vous optimiste ? Et comment ne pas l'être. Nous avons un statut d'une équipe favorite. Qu'on le veuille ou pas, notre équipe est très attendue après le super parcours du mondial brésilien. Elle entame cette CAN avec une réputation internationale d'où l'obligation et la difficulté de la confirmation, l'Algérie peut être fière d'avoir une équipe aussi bien structurée. La CAN c'est tout les deux ans, est-ce un bon choix ? Je n'ai toujours pas compris pourquoi une CAN tous les deux ans. On a complètement occulté le respect vis-à-vis des joueurs qui sont aujourd'hui des professionnels. On n'oublie souvent le fait qu'ils soient dans des clubs et qu'ils empatissent de part leur longue absence. Nombreux sont les joueurs qui ont perdu leur place dans leur équipe respective. J'ajouterai que la programmation de cette manifestation africaine devrait être revue dans l'intérêt des joueurs. Il faut bien se dire qu'on a une CAN qui se joue avec la totalité des joueurs qui évoluent dans les grands clubs étrangers. En dehors de ces compétitions, il faut reconnaître que le foot africain gagnerait à être plus compétitif, pour la simple raison qu'il n'y a pas de développement, le football africaine n'évolue pas, il n'existe pas de répercussions en interne, le manque d'infrastructures sportive bloque ce développement et isole les jeunes qui veulent aller vers une perfection. Je dis que le fossé s'agrandit de plus en plus. Le football n'a pas su mettre en place, mise à part le Ghana et la Côte d'Ivoire, un plan de développement de ce sport roi. Que faudrait-il faire ? Il serait souhaitable que la FIFA contribue à la mise en place d'une véritable politique d'encadrement des Fédérations, elle cessera de continuer à développer un foot professionnel en calquant sur celui des Européens, ce n'est pas de la sorte que l'on peut sauver le football africain. Répondant à une question d'un confrère sur l'application de la notion du foot professionnel, le président de la LFP disait : «Je le dis franchement, sans risque de me tromper qu'à l'heure où je vous parle, on est loin, très loin du vrai professionnalisme. Dire qu'on l'est ou qu'on est en voie de le devenir, c'est tromper les supporters. Je ne suis pas pessimiste, mais seulement réaliste. Quand on met en place un projet, de surcroît par décret et d'une telle importance, il est impératif d'y mettre les moyens, sinon, c'est un coup d'épée dans l'eau, comme on dit». Qu'en pense Mustapha Dahleb ? Je partage cet avis. Il a parfaitement raison. Sachez que le jour où on a décrété le professionnalisme chez nous, j'étais le seul à dire que c'est une erreur ! J'étais contre cette décision parce qu'elle va à l'encontre de la logique. J'avais donné 8 mois pour que les clubs soient en cessation de paiement... Une telle politique nécessite du temps. Regardez ce qui se passe dans certains clubs européens, nombreux sont ceux qui ne sont pas bien, mise à part quelques clubs qui ont de riches propriétaires. Que restent-ils à ces clubs lorsqu'on leur supprime les droits télévisuels et quelques opérations de sponsoring ? C'est la fin, ensuite vous savez que tous les championnats tournent à quatre équipes. Les charges ont augmenté et on a aggravé les difficultés des clubs... Suite de la page 24 Revenant à l'équipe nationale, selon vous est-il juste que certains locaux ne fassent pas partie du groupe des Fennecs ? Pour moi, il n'y a pas de différence entre les locaux et les professionnels. La seule différence se situe au niveau de la compétitivité des joueurs. Nos locaux réclament des infrastructures et des programmes de formation, qui puissent leur permettre d'atteindre le niveau souhaité, cependant une sélection est une sélection, elle reste l'ambassadrice d'une nation. Elle doit être en mesure de refléter la physionomie du mouvement sportif de la nation. D'où l'impérieuse nécessité de développer la prise en charge des joueurs locaux, ce que Rachid Makhloufi avait très bien fait avec les jeunes du service national. Si on n'améliore pas le championnat par une formation accélérée, on accusera toujours ce retard. Ce n'est pas une question de valeur, nous avons un réservoir extraordinaire, il faut rendre notre foot compétitif, c'est un peu à l'image de l'agriculture, nous avons les meilleures terres mais on ne produit pas assez. Brahimi médiatisé, ne pensez-vous pas que cela pourrait avoir de fâcheuses répercussions sur son image ? Je suis très content pour lui, je l'ai connu il y a douze ans lorsqu'il jouait à Vincenne, je suis extrêmement heureux qu'il ait atteint une telle dimension. C'est bon d'avoir des leaders dans une équipe, il faut des leaders, un super esprit, le plus important est de savoir que le groupe reflète cette mentalité. La Guinée équatoriale ce ne sera pas un terrain facile... Pour nous ou pour les autres, les conditions seront difficiles. Le climat ne choisit pas son équipe. Je suis persuadé que les nôtres sauront s'adapter au climat. Le groupe est difficile certes, c'est l'occasion pour nos représentants de démontrer ce qu'ils valent. Notre objectif est de battre tout le monde. Je reste persuader que ce sera une CAN très relevée. Avant de passer aux années 1982, deux questions Mustapha. La première est relative au changement pour ne pas dire la valse à plusieurs temps d'entraîneurs dans les clubs. La seconde est relative à la violence dans les stades. Qu'en pense Mustapha ? Les changements d'entraîneurs sont liés à la situation globale des clubs, il n'y a pas seulement cette histoire de résultats que l'on sort souvent et d'ailleurs ce pas un cas spécifique à l'Algérie, sauf que nous allons plus vite que les autres. On a vu des entraîneurs partir avant le début du championnat ou alors juste après le second match. Le problème à mon avis est dans l'organisation des clubs. Changer un entraîneur n'est pas une garantie d'échapper aux défaites ou alors renfoncer l'image du club. Sauver le club c'est d'abord la mise en application d'une véritable stratégie à tous les niveaux. Je dis qu'il faut aider le club à s'organiser afin qu'il puisse rentrer dans «une normalité». Il ne faut pas hésiter à aller vers le renforcement de la formation de jeunes, dirigeants, métiers de sports et un vrai plan de réalisation d'infrastructures. A ma connaissance, aucun club, ou presque, ne dispose d'infrastructures. La violence ? Le foot ne doit pas être pris en otage. Il faut arriver à parler de partenariat avec l'ensemble des acteurs du monde du football. Des cas d'écoles européens existent pour éradiquer ce fléau. Quels souvenir garde Mustapha de 1982 ? Vous voulez connaître mon propre sentiment ? Je vais être franc avec vous, jamais je n'ai confié mes sentiments à un journal, vous serez aujourd'hui les premiers, sauf que j'avais déclaré à l'époque que c'était un échec. Des 4 participations à la Coupe du monde, j'ai gardé énormément d'amertume, des regrets et des déceptions. Parce que lorsque vous analysez les déroulements des quatre compétions, je reste sur ma faim. On avait des possibilités énormes d'aller plus loin. Si j'ai bien compris, ces quatre manifestations resteront à jamais marquées d'une pierre rouge. Vous parlez de regrets, c'est quoi au juste ? On a pas su faire exploser le verrou pour passer à un palier supplémentaire. Tout comme les supporters, nous disions dommage ! J'explique, vous savez, ce sont les grands matchs qui contribuent à faire sauter le verrou qui vous rapproche des grandes équipes. Nous sommes passés à côté. Ce n'est qu'à l'arrivée de Vahid que les choses devenaient sérieuses et la dernière Coupe du monde restera une emprunte du passage d'un tâtonnement à un professionnalisme sur le terrain... Le Bosniaque a réussi à monter une grosse équipe, elle était meilleure, meilleure que celle de 1982 à tout point de vue. J'ai énormément apprécié la valeur de la maturité, l'abnégation et la condition physique des joueurs. Revenons à 1982. Dîtes-nous ce qui n'avait pas fonctionné ? D'abord les autorités de cette période avaient opté pour un choix politique et non pas sportif, ils ont éliminé l'organisation qui devait permettre à l'Algérie de se qualifier, et pour les féliciter on les a limogés. En 1986, on m'avait proposé de prendre l'équipe nationale et devant mon refus, on m'a suggéré de faire partie du staff technique avec l'accord de Saâdane, il m'était impossible de continuer à travailler avec cet entraîneur qui ne respectait ni son métier, ni l'équipe nationale ni son institution directe qui lui a assuré toutes les conditions pouvant lui permettre d'accomplir sa mission. Saâdane était le seul et unique décideur, que ce soit au niveau des choix des joueurs et de ses choix tactiques. Les excuses qu'ils avaient avancées pour justifier le bilan négatif de 1986 ne sont aucunement fondées et ce n'est qu'une fuite de responsabilité. Nous avons sincèrement voulu apporter notre concours et notre professionnalisme pour faire de cette équipe nationale une référence. J'ai lu récemment dans certains médias qu'il dénonçait les conditions de travail lors de la Coupe du monde 1986. Bizarre, à ne rien comprendre. Ce sont ces déclarations qui m'amènent aujourd'hui à réagir pour la première fois... C'est vraiment triste d'avoir une attitude pareille vis-à-vis de notre équipe nationale... Nous avons des témoins à ce jour qui sont au niveau des plus hautes instances de notre football et peuvent aujourd'hui apporter leur témoignage. Ce sont de pareilles situations qui font mal à notre foot. Quel est, selon vous, la place du marketing sportif dans l'économie d'un club ? Les investissements des entreprises en terme de marketing sportif ne cessent d'augmenter et les clubs respirent mieux. Un des objectifs les plus importants du marketing est de générer de la croissance sous forme de lancements de nouveaux produits et services. Le foot est aujourd'hui, la piste de décollage pour les produits nationaux. Mais ce marketing sportif ne peut prendre sa place que dans la mesure où son développement est en adéquation avec un vrai professionnel dans le sport. Le mot de la fin... D'abord, je formule mes vœux de paix et de santé à tous les Algériens, à la famille sportive, ensuite je suis extrêmement heureux de noter que notre équipe nationale, cette ambassadrice de notre pays, gagne plus d'échelons et que le message qu'elle libère est très fort, celui de compter sur elle et lui faire confiance. Et nus faire oublier les ratages des années précédentes.