Parallèlement à la construction de « murs » bardés d'électronique censés les protéger du chaos libyen, la Tunisie et l'Egypte revoient radicalement leur stratégie dans ce conflit. A Tunis, Béji Caïd Essebsi et son exécutif ont longtemps cru pouvoir gérer la crise libyenne en traitant parallèlement autant - sinon plus - avec le gouvernement « rebelle » de Tripoli que celui « officiel » de Tobrouk. Mais l'effet combiné des attentats du Bardo et de Sousse (dont les auteurs ont été entraînés à Sabratha, en Tripolitaine) et, surtout, du kidnapping de diplomates tunisiens à Tripoli, mi-juin, ont permis à Tunis de mesurer à quel point l'exécutif tripolitain était inextricablement lié aux milices les plus radicales, voire incontrôlables, de la coalition Fajr Libya. Symbole de cette rupture avec Tripoli, le « mur de sable » (doublé d'une fosse) de 220 km entre Ras Jdir et le sud de Dehiba vise autant à mettre fin aux infiltrations terroristes qu'à juguler la contrebande, planche de salut de l'économie de l'Ouest libyen. Cette ligne Maginot sera flanquée d'une « frontière électronique » (caméras, capteurs de mouvements, etc.), dont la construction intéresse fortement Thales. L'électronicien français, qui propose ses services depuis plusieurs mois, pourrait bien voir ses efforts récompensés : Tunis, qui examinait encore il y a peu ce type de solution avec circonspection, envisage désormais d'y consacrer jusqu'à 150 millions de dinars (près de 70 millions d'euros). Soit quinze fois plus que la construction du mur, assurée en partie par l'armée. Côté égyptien, le maréchal-président Abdel Fattah Al-Sissi a lui aussi amorcé un changement de cap. Après avoir longtemps soutenu, y compris par des frappes aériennes, les offensives « anti-islamistes » du général de l'Est Khalifa Haftar, il va se mettre en retrait en calfeutrant sa frontière. Le Caire négocie avec le Pentagone l'achat de 100 millions de dollars de matériel de surveillance électronique mobile. Ce repositionnement semble présager un « lâchage » progressif de l'encombrant Haftar, dont les faucons de Tripoli réclament la mise à l'écart comme préalable à tout accord de paix, et dont l'offensive sur Benghazi s'est totalement enlisée. Washington et Londres, qui tentent de désamorcer le « problème Haftar » depuis des mois, auraient récemment réclamé à Abel Fattah Al-Sissi qu'il mette en sourdine son soutien au patron de l'armée « légitime » de l'Est. Le voyage de Khalifa Haftar, attendu le 8 juillet, semble avoir été annulé. Pour rappel, la réunion au sommet organisée par Khalifa Haftar dans son fief d'Al Marj, le 15 juillet, avait tout du baroud d'honneur. Pour officialiser son refus de quitter le commandement de l'armée de l'Est pour faciliter une sortie de crise, le général était flanqué de tous ses principaux lieutenants, comme pour montrer que son camp faisait bloc autour de lui. Pourtant, la situation de Khalifa Haftar est de moins en moins enviable. Ses alliés Zintan dans l'Ouest multiplient les cessez-le-feu avec leurs adversaires affiliés à Fajr Libya - le dernier en date concerne Zawiya.