A Cherchell, le Douar de Sidi Semiane se trouvait à mi-chemin des montagnes du Zaccar et de la mer. Il faisait partie de la Wilaya IV de la Zone II. Il est relié d'une route venant de Cherchell au Zaccar Miliana, jusqu'à la vallée du Chlef. Après la bataille de Sidi Mohand Aklouche, dans la circonscription de Cherchell, où le commando de L'ALN sortit victorieux de ce grand accrochage contre l'armée française et particulièrement contre le 29eTM bataillon de tirailleurs algériens installé à Fontaine du Génie (Hadjrat Ennos), le commando ALN restait toujours dans la région à la recherche d'autres batailles. Tels qu'ils étaient cachés, ils voulaient gagner du temps et tenir là jusqu'au soir, de par leur expérience, ils savaient que la nuit était toujours avantageuse car ils avaient constaté, à maintes reprises, que les soldats français refusaient le combat de nuit, parce que l'aviation ne pouvait pas intervenir par manque de visibilité. Soudain, le moudjahid questionna son compagnon: « S'agit-il de soldats qui viennent vers nous? ». Ce dernier lui répondit: «Oui, j'ai fait passer le message à notre chef Si Moussa, lui disant que les soldats français arrivent directement sur moi, que dois-je faire?». Comme ils étaient allongés l'un derrière l'autre, ils pouvaient transmettre sans qu'on puisse entendre leurs messages, de bouche à oreille. La réponse lui parvint de Si Moussa qui lui dit : « Fais très attention et ne tire que si tu vois qu'il n'y a pas d'autres solutions ». L'élément ALN comprit le message. Effectivement, seul Brakni et lui étaient en mesure de tirer car ils étaient allongés du côté gauche d'où venaient les soldats français qui se rapprochaient d'eux. Brakni dit : « Si Chérif, je te fais mes adieux, nous allons mourir, rendez-vous au paradis, Djenet El-Ferdousse ». Il lui répondit: «Incha Allah!» Aucune peur de la mort, ils se préparaient pour faire face à l'ennemi qui avançait vers eux. Le moudjahid Brakni allait tirer sur le premier soldat qui se trouvait à 10 mètres de lui. Brusquement, le premier chef de file se tourna à gauche, continuant sa marche, suivi par les autres soldats. C'est ainsi qu'ils passèrent devant eux, en file indienne, sans un regard dans leur direction. C'était une section du 29ème Bataillon. Que s'était-il passé au juste? Dieu seul le sait, c'était un miracle. Dieu avait aveuglé le soldat, à moins que.... car il se pourrait aussi que, le soldat les ayant aperçus, prêts à tirer sur lui, les ait évités plutôt que d'être tué. D'ailleurs, il ne signala pas leur présence à son commandant. Par la suite, ils comprirent que le commandement militaire français pensait qu'ils étaient tous morts après les bombardements de l'aviation et de l'artillerie, en incendiant la forêt pour les brûler vifs, c'était là, la déduction du commandant Gaudoin. Pour lui, les seuls survivants étaient ceux qui étaient sortis. Le 6èmc groupe, à leur tête Si Djelloul, alors qu'ils étaient encore plus de 60 moudjahid, à l'intérieur. Grâce à Dieu, ils avaient supporté la chaleur. Le commandant Gaudouin, pour mieux s'assurer qu'il n'y avait plus de survivants, donna l'ordre à cette section de rentrer à l'intérieur du bois pour lui faire un rapport; la section, qui passa à côté de nous retourna au PC de commandement; le premier soldat qui allait être abattu déclara: «Mon commandant, je n'ai rien à signaler», il lui répondit: «Maintenant, allumez le feu partout en partant»; ce qui voulait dire «brûlez le douar Nouari», comme si cette lâche décision de brûler le douar leur donnait encore plus de courage, les moudjahidine décidèrent d'attaquer l'ennemi qui se trouvait à leur gauche. A leur arrivée à l'extrémité du bois, les soldats français avaient disparu, ils s'étaient sauvés, laissant derrière eux le douar en flammes. Ils trouvèrent le corps d'un moudjahid étendu par terre. En s'approchant de lui, ils s'aperçurent qu'il était en vie, il ouvrit les yeux, et les ayant reconnus, il leur dit: «Ah, c'est vous mes frères les moudjahidine, Alhamdou-lilah». C'était le chef du groupe, Si Brahim Khodja, ils le déposèrent sur un brancard qu'ils avaient fabriqué avec des branches d'arbres et de la toile de bâche qui servait à la protection de la mitrailleuse. Plus loin, ils découvrirent les corps de deux autres moudjahidine. Tous les deux étaient morts, touchés par des roquettes et achevés au couteau par les soldats français. Les habitants du douar Nouari venaient en courant pour les saluer; ils les connaissaient très bien. Lors de leurs passages fréquents dans cette région, ils leur apportaient du pain, du lait, de l'eau et étaient heureux de les voir vivants, sans s'occuper du feu qui ravageait leurs maisons. C'était émouvant pour les moudjahidine qui se disaient entre eux : « - Je ne pense pas qu'il existe un peuple aussi merveilleux, valeureux et courageux que le nôtre. Notre peuple a tout donné à la révolution armée, surtout les gens de la montagne, le peuple c'est nos yeux, notre guide. Il nous a hébergés et nourris, privant ses enfants pour nous. Souvent, quand on rentre dans un refuge, après une marche fatigante, sous la pluie et le froid, des habitants ôtaient des couvertures à leurs enfants pour nous couvrir; démuni mais fier, notre peuple a tout fait pour libérer son pays du joug colonial, il mérite l'admiration et la considération de certains peuples du monde », se disaient entre eux ces moudjahidine de l'armée de libération algérienne. Pendant que le colonel Amirouche et ses hommes cheminaient vers d'autres régions, parfois rapide pour traverser les terrains découverts, parfois en sautant d'un tronc d'arbre à l'autre pour se dissimuler. Dans tous les cas, il avançait vers son but, encadré par ses hommes toujours prêts à donner leur vie pour sauver la sienne. Constamment prêt à lui servir de rempart humain, sa garde rapprochée ne le quittait pas d'une semelle. Et toujours à l'avant-garde, sautillant et gambadant comme des cerfs, ces jeunes gardes du corps n'avaient d'autres soucis que de protéger leur chef, qui était aussi pour eux une idole d'exemplarité de courage, de bravoure et de simplicité, et au-delà de tout cela, ils admiraient tous l'intelligence de ce grand frère pour lequel, rien d'autre que la libération de l'Algérie ne comptait. Suivi de ses hommes, le colonel Amirouche allait de tout son temps, par monts et par vaux, grimpant et escaladant des escarpements que lui seul connaissait, et que parfois, au grand étonnement de ses hommes qui le voyaient inaugurer des passages qui leur semblaient nouveaux, et jamais utilisés, et qui pourtant étaient praticables. Ces moudjahidine allaient d'un endroit à l'autre suivant toujours les itinéraires que leur chef indiquait, et qui étaient tracés sur le plan qu'Amirouche gardait dans les secrets de sa tête. Véritable bête de somme, infatigable, inusable, il était constant et toujours à poursuivre les obligations du devoir patriotique qu'il s'était imposé et qu'il respectait minutieusement. Ce colonel Amirouche était réellement un bel exemple de combattant, équilibré par et pour son combat. L'équilibre d'un être humain ne dépend-il pas en premier lieu et essentiellement de l'identification de ses origines, par la connaissance de son père et de sa mère, et juste après, par sa famille identitaire ? L'homme se renforce positivement, et s'équilibre un peu plus lorsqu'il a une prise, un contact, avec la terre de ses ancêtres; la source est un besoin vital pour l'âme et l'esprit des êtres qui participe par aisance à servir de repère à un quelconque événement de l'histoire des sociétés. Toutes proportions gardées pour l'événement «Amirouche» qui n'est pas du tout quelconque, puisque ayant été victime, comme tout le peuple algérien, d'injustice productrice de haine et de violence, cet événement historique justifiant la règle, il sut comme beaucoup d'autres chefs FLN/ALN, développer autour de lui un discours tendant à communiquer à son entourage le virus de la haine et de la rancune qui sous-tend toute rébellion contre l'occupant colonialiste, étranger de surcroît. Le colonel Amirouche, ce rebelle à l'autorité française, tant recherché par elle, et qui avait spécialement affecté à son élimination, tout un arsenal d'hommes formés et spécialisés pour cela, placés sous les ordres et la direction du capitaine Léger, chef du 2èrae bureau pour la Kabylie. Ce capitaine Léger n'est pas léger du tout, il pèse lourd sur le plan antiguérilla, et en a lourd sur la conscience, s'il en a une, puisque s'occupant du renseignement, qu'il extorquait par la torture aux prisonniers qui lui tombaient entre les mains, il les achevait lâchement après les avoir vidés de leur substance. Ce capitaine Léger, à la tête du 2ème bureau, était à l'affût de la moindre information sur Amirouche, pour affûter et affiner les traquenards et plans qu'il établissait pour exécution, à l'exemple du commando pivoine, qui continuait sa vaine poursuite, n'apercevant que l'ombre de leur objectif, sans pouvoir la cibler tellement elle était mobile. Et ainsi de suite, ni le capitaine Léger, ni le 2ème bureau, ni le commando, n'avaient réussi à localiser Amirouche, puisque quand l'information leur parvenait, il n'était plus là, il était déjà ailleurs ! Amirouche, le lion de la Soummam, dans sa longue marche, ne faiblissait jamais, il donnait l'impression de quelqu'un qui, durant toute sa jeunesse, avait préparé sa vie à vivre la lutte armée, en se conditionnant et se préparant des années durant, pour vivre et conduire un tel événement. Pour l'armée française, Amirouche demeurait insaisissable malgré la ténacité des hommes du bureau des renseignements et d'action, qui avaient tissé tout un filet sur l'intérieur de la Kabylie, et qui n'avait d'information sur lui qu'après coup, puisque en retard donc inutilisable. Alors que dans d'autres secteurs, ils avaient réussi à éliminer des responsables FLN et ALN au plus haut niveau, les états-majors français étaient contrariés par les échecs qu'ils subissaient en Kabylie. De Krim Belkacem et Si Nasser à Amirouche, tous les plans, des guets-apens aux traquenards et embuscades, n'avaient pas réussi. L'appareil de l'ennemi, froide et sans pitié ne s'arrêtait pas là. Et puisque toutes les tentatives d'élimination de Amirouche n'avaient pas réussi, une seule alternative restait aux stratèges de l'armée française : monter une opération de grande envergure contre Amirouche et la Wilaya 3 toute entière, d'une pierre, deux coups. Ils n'ignoraient pas que l'immense massif de l'Akfadou était le lieu préféré du colonel Amirouche qui, dans l'immensité de ces montagnes avait éparpillé les sièges de ses structures. Il y avait là son poste de commandement, et le centre d'interrogatoire créé spécialement pour les traîtres. Il y avait aussi, éparpillés dans cette forêt, plusieurs infirmeries éloignées l'une de l'autre, et différents refuges. Le Bureau Central de Renseignements et d'Action de l'état-major général des forces armées françaises décida d'écraser la rébellion dans cette région et de donner un grand coup de pied dans la fourmilière du colonel Amirouche. Pour cela, il fit rassembler une redoutable force de 10000 soldats, composée des unités d'élites parachutistes et légionnaires, qui s'appuieront sur la logistique de plus de 5000 soldats déjà en place, composée quant à elle, des unités du secteur et de tous les supplétifs. Ces troupes de plus de 15000 personnes, sous les ordres des meilleurs officiers que possédait la France, une dizaine de généraux et une trentaine de colonels, allaient opérer. Ce fut l'opération «Brumaire» qui devait principalement : Anéantir la wilaya 3. -Eliminer Amirouche. -Démoraliser la population. -Implanter des postes avancés. -Ouvrir des chantiers de «pacification ». -Appliquer la stratégie politico-militaire française. Cette opération était dirigée par le général Faure commandant la Zone opérationnelle de Tizi Ouzou, secondé par plusieurs généraux. Dans la nuit du 24 octobre 1958, tout ce dispositif militaire d'encerclement était disposé, comme l'exigeaient les règles du grand nettoyage militaire. Pendant que les sections de voltigeurs se déployaient en reconnaissance, les troupes suivaient en éventail, tous, balles au canon, prêts à faire feu sans sommation sur tout ce qui bougerait. Tout cela se passait dans un froid glacial.