Messali Hadj (Ahmed Mesli), un homme ordinaire, que le destin conjugué à sa fébrilité et son engagement le mènera à devenir le visage emblématique de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie jusqu'à 1954. Le citadin télémcenien est né le 16 mai 1898. Il aura connu une enfance ordinaire, école française puis décrochage scolaire et des petits jobs. Viendra alors la première guerre mondiale, où l'incorporation obligatoire changera à jamais sa vie. Il se verra, lui l'enfant de la colonie, combattre dans les rangs de l'armée française. Ce changement de parcours l'influença et aura par là même un impact considérable sur l'histoire de l'Algérie de 1924 jusqu'à 1962. Au début de 1918, Messali est incorporé. Il passe à Oran quelques jours avant de s'embarquer vers Bordeaux. Ici, il découvrira les français, les autres français différents des pieds noirs, ceux qu'il voyait exploiter ses compatriotes ‘les indigènes'... Il profita de cette occasion pour s'autoinstruire en lisant des livres et assistant à des conférences à l'université de Bordeaux. Durant sa deuxième immigration à Paris, il s'inscrivit en auditeur libre à l'école des langues orientales pour assouvir son désir d'apprentissage de l'histoire et des relations internationales et combler le manque qu'il avait de ce côté. Le 13 octobre 1923, Messali immigre vers Paris. A l'origine de son exil, il y avait double raison. Tout d'abord économique puisqu'il n'a pas trouvé un travail assez rémunéré pour lui garantir une vie digne. Puis la volonté d'agir et de connaître le monde car il voyait l'Algérie trop passive devant les bouleversements du monde après la première grande guerre. A paris, d'un cercle à un autre, il ne ratait aucune occasion pour côtoyer toute volonté de changement où de résistance à la colonisation, qu'elle soit algérienne ou venant d'un autre pays arabe. Mais il n'est pas satisfait jusqu'à sa rencontre avec le communiste Hadj Ali Abdelkader. La relation compliquée avec les communistes L'Etoile Nord-Africaine est née sous l'égide du PCF. Tous les témoignages s'accordent sur ce point. Même s'il y a des divergences à propos de l'origine de l'initiative, le PCF a aidé et soutenu cette organisation ‘indigène' dans ce moment de gloire des ‘Internationales'. Messali s'imposa comme secrétaire de cette organisation créée en 1924. Il y joua un rôle crucial. Messali admirait la volonté des communistes à agir et soutenir les peuples opprimés, les colonisés à s'émanciper. Mais Il ne voulait aucune fusion avec ces derniers. Il était convaincu que l'Algérie doit se tourner avant tout à son histoire arabo-musulmane et les pays de l'Orient notamment la Turquie. Au début de ce lien entre les ouvriers algériens et le PCF, l'Emir Khaled était la figure de proue de l'Algérie aux yeux des communistes. La collaboration avec le PCF durera de 1924 à 1927. Dès le début Messali, et un de ses amis de parcours Si Djilani, trouvaient que les membres de la commission coloniale du PCF intervenaient, trop même, dans les affaires de l'ENA. L'union sera consommée notamment après un congrès de l'union inter-coloniale à Bruxelles. Messali se montre de plus en plus indépendant et s'efforce de sortir l'ENA de l'enveloppe du PCF. A une époque où la répression s'abat sur le parti communiste, Messali recevait une rémunération de ce dernier puisqu'il s'est consacré à l'ENA à temps plein. Le parti décide de stopper net cette aide. Beaucoup de ses concitoyens partageaient cette méfiance à l'égard du communisme. Mais l'ENA comptait aussi bon nombre de communistes. En novembre 1927, les militants nationalistes et communistes en viennent aux mains. Messali démissionne de son poste de secrétaire général. L'ENA ou l'ENA glorieuse L'ENA est dissoute en 1929 pour ‘appel à l'insurrection'. De suite, l'ENA glorieuse naîtra avec les mêmes hommes et le journal El-Oumma qui remplaça El-Ikdam. Dans les meetings et les journaux, on parlait toujours de l'Etoile Nord-Africaine bien qu'elle soit dissoute par une décision judiciaire. L'homme qui veut agir Messali bouge dans tous les sens. Il surprend ses amis qui n'arrivent pas à le suivre. Il insiste sur l'implantation du parti en Algérie, avec des immigrants qui décident de revenir. En Algérie, l'action commence. Les premières cellules sont animées par Lehoual, Mestoul Mohammed, Khider Amar, Rajef Belkacem et consrots. Il s'impose graduellement comme le Grand Z'aim. «Je ne suis pas comme les autres, les politiciens» En 1936 et 1937 l'Algérie connaissait une grande effervescence avec un militantisme sous différentes égides. L'association des Ulémas travaillait sur l'identité algérienne, le Dr Ben Jelloun et Ferhat Abass avec les élus algériens, l'ENA commençait à s'implanter et se répandre sur le territoire algérien. En 1936, eut lieu le premier congrès musulman regroupant les principales organisations qui militent pour les droits des algériens. Les organisateurs, y compris le Cheikh Ben Badis, craignaient la présence de Messali et ne la voyaient pas d'un bon œil. Mais ils ne pouvaient pas s'en passer vu sa popularité grandissante en Algérie et sa forte implantation au sein de l'immigration algérienne en France. Messali assista. Il n'était pas d'accord avec les appels d'intégration. Les craintes des organisateurs vont se confirmer dans son discours au stade municipal d'Alger. Il les contredit solennellement en désavouant leurs démarches de rattachement pur et simple de l'Algérie à la France. 02 août 1936 : cette terre n'est pas à vendre Devant une foule agitée d'Algériens au stade municipal d'Alger (Stade du 20 août 1955 actuellement), Messali prend la parole après certains orateurs. Il prononce un discours émotionnel. A la fin de son discours, il se penche, prend un bout de sol et prononce sa fameuse formule qui annoncera son entrée fracassante en Algérie : « cette terre n'est pas à vendre..., cette terre a ses enfants, ses héritiers, ils sont là vivants et ne veulent la donner à personne ». Alliance obligée avec Ferhat En 1937, l'ENA est dissoute définitivement. Le PPA la remplace durant deux ans puis connaîtra le même sort suite à l'éclatement de la deuxième grande guerre. La situation lourde durant la guerre, l'incorporation des Algériens en masse, la détresse du peuple, le risque de famine... et plein d'autres bonnes raisons vont obliger la ‘voix de la raison' Ferhat Abbas, et Messali ‘la voix du peuple' (selon les adjectifs de certains historiens) à s'allier, à contre cœur. L'un pensant utiliser les canaux de l'autre, l'autre souhaitant agrandir sa popularité vers diverses couches sociales. Après de longues concertations, naîtra le mouvement Les Amis du Manifeste. C'est le plus grand succès populaire car même les populations qui n'ont jamais montré d'intérêt ni au militantisme ni à la politique adhèrent. 500.000 signatures sont réunies pour soutenir le contenu du Manifeste. Vu le contexte et la situation, c'est un succès incroyable, surtout si on tient en compte la répression en Algérie contre toutes les voix d'opposition à l'époque du Pétainisme. 8 mai 1945, ce n'est pas grave ! Le PPA, dissout mais toujours actif, prépare des grandes manifestations en 1945. Des rumeurs et des rapports courent à propos d'une éventuelle insurrection populaire. Les massacres du 08 mai au triangle de la mort Sétif, Kharatta, Guelma, vont pousser certains militants à se rétracter. L'armée coloniale s'acharne sur la population pour prouver sa force. Au parti, on impute tous les torts à Lamine Debaghine. Il se retire à sa ville, El-Eulma. Son désaccord avec Messali éclate au grand jour. Pour Ferhat et Messali vint le temps de gagner les anciennes positions. Ferhat croit désormais à la nation algérienne et décide de participer aux élections de 1946 pour exploiter la tribune que lui procure la Constituante, tandis que Messali et le PPA boycottent pour protester contre les massacres. Messali ne se laisse pas abattre; en 1947, il constitue le MTLD. Il décide de passer outre les évènements de 1945. OS sous la pression Les plus jeunes des militants sont pressés de lancer la lutte militaire. Les massacres de 1945, le côtoiement des enfants des colonies durant la Grande Guerre, la montée de l'anticolonialisme... les poussent vers la voie armée, seul recours possible face à une colonisation sourde et aveugle. Les ténors du parti, Messali y compris, acceptent la constitution d'une organisation paramilitaire même s'ils ne sont pas trop convaincus par la démarche. Crise du MTLD : «Je suis le père de la nation algérienne» La crise du MTLD incube en grande partie à Messali qui n'acceptait pas que les membres du comité central s'opposent à ses décisions. Les centralistes étaient convaincus qu'ils perdront tout bras de fer avec le grand leader, le père. Ils ont accepté même de démissionner pour lui laisser la possibilité de constituer un comité central à sa guise. Ils mettaient une seule condition. L'organisation d'une assemblée extraordinaire du Parti. Mais même cette sortie honorable, Messali, sous la pression de ses adjoints éventuellement (Bouda et Mouley), ne voulait pas leur accorder. Il organise une assemblée générale du parti à Hornu, en Belgique et exclu tous les centralistes. C'est l'acte de sa mort politique. La révolution éclate. L'histoire donne raison toujours au vainqueur. Si le mouvement des 22 révolutionnaires et 1500 maquisards du 1er novembre ont échoué, et si le mouvement de Messali avait réussi, on aurait parlé aujourd'hui dans nos télévisions et nos livres du Grand Z'aim Messali qui n'avait pas suivi les jeunes aventuriers. Le contraire s'est passé, il est normal que le FLN prenne plus de place dans la conscience populaire et ceci ne constitue nullement une défiguration. Le MNA contrôlait-il vraiment le terrain ? La révolution éclate sans Messali. Les centralistes, en habiles politiques, rejoignent la révolution et acceptent de rester en arrière-plan derrière les jeunes enthousiastes. Ils étaient sûrs que leur expérience en organisation politique les amènera à occuper les premiers rangs le temps opportun. Les centralistes vont investir en masse les instances du FLN. Messali, lui en son exil français fit un autre choix, un autre mouvement révolutionnaire. Vu les actes graves pris par ce mouvement à l'encontre de la révolution, il est naturellement légitime de se poser des questions sur les informations transmises à Messali et sur sa réelle maîtrise des choses sur le terrain. Est-ce que le MNA a instrumentalisé Bellounis, ou c'est le contraire, Bellounis qui cherchait une couverture politique par son adhésion à ce mouvement. L'Indépendance de l'Algérie, la fin en calme d'un grand homme Après l'indépendance Messali tire un baroud d'honneur. Il constitue le parti du peuple algérien en pensant participer aux élections de la Constituante algérienne en 1963 mais les dirigeants de l'époque n'étaient pas prêts à admettre le multipartisme et encore moins la présence de Messali en Algérie. Ils considéraient que l'époque de la construction nécessite le regroupement des efforts dans un parti unique. De 1962 à 1974, l'année de sa mort, il vivra en total isolement avec son fils Ali. Il faut imaginer la souffrance d'un homme qui a toujours été au cœur des évènements se retrouvant d'un seul coup isolé et entouré seulement par sa famille et nombre de fidèles du MNA. Il faut dire que cette épreuve était aussi difficile pour lui que les périodes de prison qu'il a vécues. Il avait refusé de rentrer en Algérie puisque son parti n'a pas été autorisé. Dans cette vie calme, il n'a pas changé ses habitudes. Il lisait beaucoup de journaux et écoutait la Radio afin de suivre ce qui se passe dans le monde. Depuis 1970, il a commencé à rédiger ses mémoires. Mais il n'a pas eu le temps de les finir. Il s'éteint le 03 juin 1974 à la clinique de la rue Assas à Paris. 3 jours plus tard, il sera enterré au cimetière de Cheikh Sennoussi sa ville natale où il repose. La lecture du parcours de Messali nous enseigne qu'il n'avait pas une vision générale idéologique sur l'avenir du peuple algérien et du pays. Il lui manquait cette perspicacité pour suivre l'avancée de l'histoire. Un homme engagé, prêt à faire des sacrifices, mais qui tenait tant à l'Algérie qu'à sa propre gloire. Principales sources n Benjamin STORA, Messali El-Hadj 1898-1974. Hachette littératures, 2004. n Mahfoud KEDDACHE et Djillali SARI, L'Algérie pérennité et résistances (1830-1962), OPU, 2002. n Mahfoud KADDACHE et Mohammed GUENNANCHE, L'ENA par les textes 1926-1937, OPU, 2002.