Les manifestations du 11 décembre 1960 représentent une grande étape de la Révolution algérienne, dont l'impact médiatique et les réactions diplomatiques ont conduit à l'ouverture des négociations officielles entre le GPRA et le gouvernement français. De Gaulle devait être déculotté par un « bicot ». Reste alors à savoir avec qui négocier ? Les autorités françaises ont à mettre en place les « commissions d'élus créées par le décret du 18 juillet 1960 et qui doivent comprendre des députés et sénateurs, des présidents de conseils généraux, des maires et des personnalités diverses parmi lesquelles ils avaient espéré encore découvrir des interlocuteurs comme avait souhaité le général de Gaulle. Bernard Tricot écrit : « Venant après l'échec de Melun, cette décision est parue à certains révélatrice de la volonté du pouvoir de construire l'Algérie algérienne sans et contre le FLN ». Dans son livre, Tricot nous révèle aussi qu'au début d'octobre 1960, étant à nouveau en Algérie, il constate « chez les musulmans, une hostilité fréquente envers les Européens d'Algérie et la volonté très générale de voir l'Algérie prendre elle-même son sort en main ». Bernard Tricot recevant une à une les personnes qui répondent à l'invitation du préfet, la conscience de n'avoir qu'un seul intermédiaire entre le président de la République, le général de Gaulle et lui, incitait l'invité à surmonter prudence et réserve et à dire ce qu'il avait sur le cœur, ce qui fit que les opinions qu'ils recevaient devaient avoir de la valeur. «Je crains qu'il y ait une contradiction dans la position du général de Gaulle, me dit le magistrat cadi de tendance nationaliste, modéré dans son comportement et très respecté de la population, on ne peut à la fois vouloir un référendum d'autodétermination qui soit libre et maintenir la situation actuelle avec les regroupements, les intervenants et la présence de l'armée qui intervient dans toutes les affaires publiques. Cette contradiction doit être levée et ne peut l'être que par la voie de négociations avec le GPRA portant sur les garanties de l'autodétermination.» « Mais nous sommes bien d'accord pour discuter de ces garanties », répond Bernard Tricot : « Excusez-moi, lui dit le caïd, mais il me semble que ce n'est pas assez clair, vous parlez seulement du cessez-le-feu, il faut aussi négocier au sujet de ce qui se passera après ». En effet, la France n'avait pas tiré les véritables leçons de l'histoire puisqu'en Indochine, ayant refusé une véritable négociation avec Ho Chi Min, elle trouva un « interlocuteur valable » en Bao Daï ; la suite est connue. Au Maroc, elle récidiva avec le Glaoui, cela se termina par le retour triomphal du sultan Mohamed V. En Algérie, elle cherche des Bao Daï et des Glaoui individuels ou collectifs. Elle n'en trouvera pas ; c'est dans l'ALN et le GPRA que le peuple algérien se retrouve. Il faudra bien en prendre acte, hors de cette voie, pas d'issue, ou en est-on vraiment ? Les champions de l'Algérie française se retrouvent à Paris, les 3 et 4 novembre 1960 à l'Hôtel de Ville de Vincennes où les accueille pour leur deuxième colloque le député maire Quinson. Après avoir entendu les rapporteurs, les participants adoptent la motion suivante «la perte de l'Algérie signifierait que l'Europe, investie par le Sud, est en danger de mort. Ce serait non pas la paix, mais la guerre subversive généralisée sur le continent européen». Par contre et d'autre part, souffle et s'accélère le puissant courant de la paix : le 27 octobre 1960, des centaines de milliers de Français sont appelés à manifester dans une «grande journée nationale d'action» leur volonté commune d'en terminer avec cette guerre. Ensemble, la CGT, la CFDT, la FEN et l'UNEF ont défini les mots d'ordres : «Pour la paix par la négociation en Algérie, pour les garanties mutuelles de l'application loyale de l'autodétermination, pour la sauvegarde de la démocratie et ses principes fondamentaux.» Mais aussi large que puisse être le consensus dégagé sur l'objectif de la paix en Algérie, il subsiste de multiples divergences sur les modalités de l'action à mener. Une extrême lassitude et une profonde déception se sont installées depuis qu'ils avaient mieux mesuré la gravité du désaccord de Melun. A Paris, interdiction d'une manifestation des communistes, la raison avancée est que ces manifestations pourraient « entraîner des réactions passionnelles opposées » qui viendraient « troubler l'indispensable sérénité de la cohésion nationale ». Le gouvernement français a pourtant autorisé la manifestation « Algérie française » du 3 octobre 1960 qui s'est déroulée à la place de l‘Etoile à Paris. En dépit des heurts et des divisions, les manifestants ont imposé un fait désormais admis par tous les observateurs et jugé irréversible : la majorité des Français veut la paix en Algérie par l'ouverture de négociations. C'est la grande leçon de la journée du 27 octobre 1960. Le 4 novembre 1960, discours radiotélévisé du général de Gaulle qui parle de la « République algérienne laquelle existera un jour, mais n'a encore jamais existé ». Dans cette phrase, les ultras voient une confirmation de leurs craintes et comme un signe avant-coureur de l'abandon dont ils allaient être l'objet. A l'Elysée aussi il y a des remous. Pour de Gaulle l'Algérie future est une Algérie émancipée où les Algériens eux-mêmes décideront et auront l'entière responsabilité de leur destin, une Algérie qui aura son gouvernement, ses institutions et ses lois, mais l'essentiel est de savoir avec qui sera bâti cette « Algérie émancipée ». C'est la vaine recherche d'une troisième force. Le président de Gaulle n'a pas modifié son attitude vis-à-vis du GPRA. Il exige toujours le préalable du cessez-le-feu avant la discussion. Ce que le GPRA continu de refuser alors qu'en France, même le courant pour la paix se développe, augmentent, grandit et s'accélère. Charles de Gaulle décide donc de contourner l'obstacle et déploie son plan consistant à réorganiser les pouvoirs publics en Algérie en attendant l'autodétermination. II espère certainement que cette réorganisation qu'il va soumettre à référendum favorisera l'émergence des autres tendances et que, du même coup, les conditions seront créées pour forcer la main au GPRA. A cette nouvelle situation qui allait commencer le 22 novembre 1960, il fallait de nouveaux exécutants. A Paris, Louis Joxe est nommé ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes. Pour Alger, il y a un haut fonctionnaire d'autorité, Jean Morin, qui appliquera la politique définie par Paris, et ce jusqu'en 1962. Le président de la République française, de Gaulle, voulant faire avancer ses solutions a, cette fois-ci, décidé de s'entretenir avec les dirigeants des partis politiques français pour obtenir leur adhésion et conforter sa position avant son départ pour l'Algérie. Ce voyage qu'il prépara avec un grand soin est fixé du 9 au 12 décembre 1960. Pourquoi tant de soins à s'assurer des appuis auprès d'hommes dont il négligeait ordinairement les critiques et les avis ? Il entamait une étape qu'il estimait capitale. Et, sans attendre la fin des combats, il décida de mettre en place en Algérie des structures nouvelles sur lesquelles travaillaient déjà les commissions d'élus. Le Parlement et l'exécutif algérien, une fois installés, détermineront en temps utile et favorable la date et les modalités du référendum d'autodétermination. Dans cette perspective, le général de Gaulle a demandé son approbation par une consultation afin de lui laisser les mains libres pour prendre toute initiative nécessaire pour mettre sur pieds et bâtir les nouvelles institutions. Le soir du vendredi 9 décembre 1960, alors que le général de Gaulle était à Aïn Témouchent il fut publié par les journaux du même jour le texte référendaire : la question à laquelle les électeurs seront appelés à répondre par «oui» ou par «non» et la suivante : «Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l'autodétermination des populations algériennes et l'organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l'autodétermination ?» Ce texte soulève la polémique puisqu'il confond dans une interrogation unique entre deux questions différentes : – Approuve-t-on les réformes ? – Désirait-on maintenir le régime ? Par cette question, on demande en fait aux citoyens de se prononcer à la fois sur l'autodétermination et sur un projet de loi qui est, sur le principe, sa négation puisqu'il doit permettre de fixer par décret le statut qui préfigurera celui de l'Algérie future sans négociation préalable avec les représentants de cette Algérie future et sans préciser le cadre dans lequel devra s'exercer «le libre choix des populations». Ce qui se fera sous le contrôle de l'autorité française, précisera Michel Debré. Le général de Gaulle a expliqué à ses interlocuteurs que la voie qu'il a choisie est la seule qui soit à la fois française et qui réponde aux réalités modernes du monde. Ainsi, il s'est acheminé vers une République algérienne étroitement liée à la France. L'intégration réclamée par les partisans de l'Algérie française étant impossible et la sécession inacceptable, ce sera donc « l'indépendance de l'Algérie dans l'interdépendance avec la France ». L'idée n'est pas encore admise par le général de Gaulle que c'est avec le FLN qu'il faudra discuter et pas seulement du cessez-le-feu comme ce fut le cas aux pourparlers de Melun. Vendredi 9 décembre 1960, de Gaulle entreprit son voyage présidentiel en Algérie. L'accueil est significatif. A Alger, tous les commerçants de la ville européenne ont gardé les rideaux de leur magasin baissés répondant ainsi, de gré ou de force, au mot d'ordre de grève générale décrétée par le Front de l'Algérie française pour manifester « leur hostilité à l'égard de la présence du général de Gaulle en Algérie et à sa politique d'abandon ». Ouvriers, employés des usines et bureaux, chauffeurs et wattmen des trolleys et autobus chôment aussi. Des gardes mobiles et des soldats stationnent aux carrefours tandis que de jeunes européens, membres des commandos de choc du FAF, arborent l'insigne « Jeune Nation ». Petit à petit se forment des attroupements et comme prévu par les organisateurs, dès que la foule atteint une certaine densité furent lancés les mots d'ordre : «De Gaulle au poteau», «L'Algérie française» et puis ce fut l'Action directe ; ils s'attaquèrent aux autobus et les placèrent en travers de la rue Michelet (actuelle Didouche-Mourad). Les CRS qui se mirent en marche furent repoussés à coup de pierres et de bouteilles, les vitrines volèrent en éclats pendant presque deux heures ; manifestants et policiers s'affrontèrent enveloppés dans la fumée des grenades lacrymogène. Les ultras du FAF s'attaquèrent avec violence aux CRS et gendarmes ; dans le centre-ville d'Alger les manifestations se poursuivirent jusqu'à la nuit aux cris d'Algérie française scandés sur tous les tons et rythmés par les klaxons et les casseroles. D'autres villes connaissent le même sort, Oran principalement, alors qu'ailleurs le mot d'ordre n'a été que peu suivi ; à Constantine, c'est l'échec total. Le FAF diffusa d'autres tracts appelant à la poursuite de la grève pour le lendemain samedi 10 décembre, menaçant tous les commerçants qui ne fermeront pas leurs boutique.