Alors que l'armée syrienne continue de gagner lentement mais sûrement du terrain sur les «terroristes modérés», bien aidée en cela par l'aviation russe, la partie de poker menteur continue... D'après Fox News qui cite un «senior official» états-unien (cela vaut ce que ça vaut), la Russie se préparerait à ouvrir une base aérienne... à la frontière turque. Des militaires russes et des ingénieurs auraient été vus autour de l'aérodrome désaffecté de Qamishli tenu par le régime dans la zone kurde. La nouvelle est à peine connue que l'on apprend les préparatifs américains visant à ouvrir une base aérienne dans la même région, en violation de la souveraineté du pays. Washington dément mais certains éléments (photos satellite) semblent bien indiquer des travaux déjà avancés. Il est donc vraisemblable que ces deux bases sont (ou seront bientôt) une réalité. Cela amène quelques remarques. Le double jeu des YPG est intéressant. Ces milices kurdes très proches du PKK — donc plutôt sympathiques aux Russes et ennemies de la Turquie alliée aux USA — avaient annoncé la couleur il y a plusieurs mois : «Nous accepterons l'aide d'où qu'elle vienne.» Nous avions déjà vu que Poutine était sur le point de piquer les Kurdes syriens aux Américains, embringués dans des alliances totalement contradictoires. La base US est-elle une réponse à ce changement tectonique ? Tout cela pose évidemment la question des relations américano-turques au sein de l'Otan. L'incident du Sukhoi a-t-il été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour Washington, considérant son allié comme incontrôlable ? Le rapprochement avec les YPG est en tout cas un cinglant désaveu pour Ankara. Dans ce contexte, que penser de la rencontre Biden-Davutoglu au cours de laquelle le vice-président américain s'est dit prêt à une option militaire en Syrie si les négociations échouaient ? Blabla de communication pour rassurer un allié qui voit tous ses rêves s'envoler ? L'histoire de l'Administration Obama et ses innombrables «lignes rouges» plaident pour cette thèse. Ajoutant la confusion au chaos, Biden parle d'intervenir contre Daech, soit la créature des Turcs. Un vrai théâtre d'ombres... Enfin, la grande question sera de savoir comment vont cohabiter Russes et Américains à une si courte distance. Premier élément : la base US ne servirait qu'aux hélicoptères et aux avions cargo. Pas de chasseurs prévus. C'est donc moins que les Russes qui, eux, y enverraient bien évidemment la fine fleur de leur aviation. Peu de risque de collisions, donc. Daech étant le seul groupe rebelle présent dans l'Est syrien, mis à part la présence anecdotique de l'Armée syrienne libre dans quelques minuscules enclaves, le reflux de l'EI profiterait à l'armée syrienne loyaliste, toujours présente à Deir ez Zoor après avoir repoussé l'offensive djihadiste, ainsi qu'à Hassaké et quelques autres villes. Cela dit et dans tous les cas, le grand perdant est une nouvelle fois la Turquie qui devra faire une croix sur toute intervention dans le Nord syrien. Avec les deux grands alliés aux YPG et militairement présents dans la région, c'en est fini du rêve sultanesque de créer une zone d'influence sur les décombres de son voisin. Pis, la présence militaire russe à la frontière et ce que cela implique pourrait booster la campagne du PKK.